Slate Afrique - Pensez-vous que l’arrivée au pouvoir de Macky Sall va permettre une rupture avec le système politique actuel, notamment le clientélisme?
Youssou Ndour - De toutes les manières, on va sortir de ce système parce que l’achat des consciences tue la démocratie. C’est un système [l’achat de conscience] qui a toujours été là et que Wade a amplifié d’une manière extraordinaire. Vous êtes devant la télé, il appelle un marabout [chef religieux], il lui donne énormément d’argent à la vue de tous.
Pendant que des gens ne mangent pas à leur faim, pendant qu’une partie du Sénégal est menacé par la famine comme d’autres pays, il distribue des milliards de CFA. Il y a des gens à qui on donne 5.000 francs CFA (8 euros) pour venir à un meeting ou pour voter.
Nous avons énormément travaillé sur l’esprit citoyen durant la campagne et je pense que nous avançons bien. Je ne dis pas que nous réussissons à 100 %. Mais à la veille de ce second tour, les Sénégalais se disent «ok, il nous donne de l’argent, peut-être ils ont fait des bénéfices avec les impôts que nous avons payé, ils ont trop d’argent, ils nous redonnent ça. On reprend cet argent, mais on est conscient, on est citoyen. Pour autant, on sait aussi que nous avons besoin d’un changement.» Et dans l’isoloir, les gens changent. Ils écoutent leur conscience.
SlateAfrique - Croyez-vous que Wade puisse accepter l’éventualité d’une défaite au second tour de la présidentielle?
Youssou Ndour - Il n’est pas trop tard pour qu’il sorte grandi, même en demi-teinte, en acceptant sa défaite. Et il va l’accepter.
Slate Afrique - Donc, vous pensez qu’il n’y aura pas de tentative de fraude?
Youssou Ndour - Si, je m’inquiète et je pense qu’Abdoulaye Wade prépare une fraude extraordinaire. Mais nous sommes vigilants. Par ailleurs, Macky Sall [qui affronte Wade au second tour de la présidentielle] à des partisans partout, les gens de Benno Siggil Senegaal [coalition de l’opposition] vont aussi aider. Tout le monde sera là.
Abdoulaye Wade prépare une fraude, une confusion avec notamment une intimidation et des menaces. Mais les Sénégalais sont prêts à être là, devant les urnes pour sécuriser leur vote. S’il y a des troubles, c’est clair, les populations n’accepteront pas la confiscation de leur vote.
SlateAfrique - Mais si le Président Wade ne veut pas quitter le pouvoir qu’elle peut être l’issue?
Youssou Ndour - Nous n’appelons pas à l’insurrection. Nous ferons le point le jour de l’élection [le deuxième tour de la présidentielle est organisé le 25 mars], s’il y a lieu d’aller le déloger, nous le ferons. Nous le ferons et je ne suis pas le seul, ce sont les populations qui iront. Nous on va avec les populations et s’il y a lieu, on ira le déloger.
«Le pouvoir de Wade, c’est la violence et le sang aussi»
SlateAfrique - Il y a un risque que cela débouche sur des violences. Etes-vous prêt à courir ce risque?Youssou Ndour - Oui, de toute façon le pouvoir de Wade, c’est la violence et le sang aussi. Je crois qu’à un moment les gens verront qu’en face, il y a des gens qui sont prêts à tout pour confisquer le pouvoir et les Sénégalais seront prêts pour prendre le pouvoir. Ca c’est clair et net.
Pour autant, je ne pas voir comment les choses vont se passer, mais il est clair que le 25 mars, les gens seront attentifs et regarderont. Si Wade tente de confisquer le pouvoir, je pense qu’il y aura un soulèvement populaire.
SlateAfrique - Au Sénégal, on a coutume de mettre en avant le respect des anciens. On a parfois l’impression que les attaques sont plus vives contre le fils (Karim Wade) que contre le père Abdoulaye Wade.
Youssou Ndour - C’est vrai, ce respect de la personne âgée retient certains: ils évitent d’aller trop loin dans les commentaires. Mais on sait aussi que cette personne âgée (Abdoulaye Wade, âgé de 86 ans) accepte ce que fait son fils qui est derrière… A titre personnel, je pense que parfois Wade rêve et se dit: «Je suis Karim, Karim est moi.»
Dans l’histoire des gouvernements, on n’a jamais vu un père donner autant de choses visibles à son fils. Je pense qu’au niveau du budget de l’Etat, c’est un tiers. Au niveau des ministères, Karim Wade dirige quatre ministères. Karim fonctionne comme il veut, il débarque qui il veut. Il crée des problèmes. Il crée énormément d’ennemis entre son père, qui est quand même le président de la République, qui est une institution qui doit avoir des relations avec ses concitoyens et des systèmes, et tout ça est bouleversé par quelqu’un qui n’est pas élu. Quelqu’un qui n’est même pas député, ni même maire. Lors des dernières municipales (en mars 2009), même dans le bureau de vote où il vote on ne lui a pas donné la majorité.
Propos recueillis par Pierre Cherruau
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