(Le Pays 16/03/2012)
A la demande des nouvelles autorités ivoiriennes, les enquêteurs de la Cour pénale internationale (CPI) sont à la tâche à Duékoué, l’épicentre de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. En acceptant de se rendre à Duékoué, la CPI a élargi également ses investigations. Elle remonte ainsi le cours de l’histoire jusqu’aux événements de 2002. C’est la suite logique des engagements pris par les responsables du tribunal international. En même temps qu’ils affichent leur volonté de n’épargner personne, ils confirment qu’ils sont ouverts aux critiques et les prennent effectivement en compte. Toutefois, à ce stade de l’enquête, en dépit des thèses et antithèses qui n’en finissent pas, l’on ne peut accuser qui que ce soit. Il faut plutôt prendre son mal en patience et aider la CPI dans sa quête de vérité pour une justice égale pour tous. Jusque-là, en effet, partisans de Laurent Koudou Gabgbo, chef d’Etat déchu, et d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) au pouvoir, se sont jeté la pierre.
Chacun accuse l’autre camp d’être responsable de ce pogrom qui ne fait honneur ni à la Côte d’Ivoire, ni à l’Afrique. En particulier, les forces loyales au président Ouattara sont accusées par de nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme, d’avoir commis plusieurs massacres dans l’Ouest ivoirien pendant la crise postélectorale. La mission d’investigation de la CPI intervient dans un contexte politique fort particulier : l’ancien chef rebelle et Premier ministre, Guillaume Soro, se retrouve aujourd’hui député, et nouvellement élu presqu’à l’unanimité à la tête du nouveau parlement ivoirien.
Ses adversaires du Front populaire ivoirien (FPI), qui n’ont de cesse de le mettre à l’index, vont certainement faire pression pour que la CPI ne l’ignore pas dans l’examen des dossiers en instance. Reste à savoir, étant donné l’immunité dont l’intéressé bénéficie aujourd’hui, quelles procédures entamer, quel que ce soit le cas de figure. Assurément, l’issue des enquêtes aura un certain retentissement au plan politique. Toutefois, sera-t-on conduit à établir un lien quelconque entre les trouvailles du charnier de Duékoué, le recours aux mercenaires libériens, d’autres charniers du passé et le procès de l’ex-président Gbagbo ? En d’autres termes, des éléments de preuve permettront-ils de l’accabler ou bénéficiera-t-il de circonstances atténuantes ?
Par ailleurs, les populations se montrant très disponibles, il ne faut pas exclure de voir les enquêtes remonter encore plus loin dans le passé et exhumer des dossiers en rapport avec l’ivoirité et l’assassinat de Robert Guéi. Il ne faut pas perdre non plus de vue que les combats auxquels se sont livrés les deux camps, ont fait de nombreuses victimes collatérales : enfants soldats, femmes violentées, etc. Mais, l’on ne dénoncera jamais assez les pogroms et les fosses communes, hauts faits de guerres fratricides. En dépit des rappels incessants des défenseurs des droits humains et de la presse, certains persistent à enrichir leur tableau de chasse lors des conflits. Nombre de pays africains sont gouvernés par des autocrates et des mégalomanes qui bénéficient de la complicité d’élites irresponsables et insatiables.
Après avoir déçu les attentes des citoyens, de nombreux gouvernants n’ont plus aucune retenue : ils versent carrément dans l’ostentation. Ouvertement, ils montrent aujourd’hui qu’ils ne souffrent aucunement de la vie chère. Celle-ci n’existerait peut-être que dans l’imagination des victimes de leurs politiques de développement inadéquates. Leurs concitoyens râlent sous le poids de la misère galopante. Frustrations et rancœurs vont donc en s’accumulant. Un lit d’intolérance, d’incivisme et de violence gratuite irrigue désormais les rapports qui se déshumanisent avec une rapidité effroyable. Surtout que les institutions et les hommes chargés de les animer perdent chaque jour un peu plus de leur crédibilité. La confiance perdant du terrain, chacun aspire à se rendre soi-même justice. L’Afrique bascule chaque jour un peu plus dans l’immoralité et la violence gratuite.
Le recours à la CPI devient alors un exutoire pour tous. Pour ceux qui ont cessé de croire aux institutions et particulièrement à la justice. Il est temps pour les gouvernants et les citoyens de ce continent de se regarder dans le miroir et de constater que ni le repli identitaire, ni la force brutale, ni le rejet de l’autre, ne constituent une solution. Il faut apprendre à s’ouvrir, à se parler, à puiser dans nos ressources morales, intellectuelles et spirituelles, pour trouver le consensus salvateur. Car, la CPI à elle seule ne constituera jamais la panacée aux myriades de problèmes du continent qui handicapent la marche vers le progrès.
Dans le cas ivoirien, il faut saluer la volonté de transparence du gouvernement et son courage d’aller à la vérité pour plus de justice. Il faut espérer que chacun acceptera de bon cœur le verdict de la juridiction internationale. Il est donc souhaitable que les initiatives soient réellement marquées du sceau de la transparence et de la justice. C’est en cela que l’on aidera les uns et les autres à panser les blessures et à réaliser cette catharsis dont le besoin est manifeste, pour passer à la reconstruction de la Côte d’Ivoire dans la paix retrouvée. D’ici-là, il faut souhaiter que les morts « parlent » pour qu’enfin, l’on parvienne à aider ce pays et ses voisins, à tourner ces pages tristes de son histoire. Mais à coup sûr, pour tous, ce sera amer et dur. Sans doute le prix à payer pour une réconciliation réussie ?
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