mardi 31 janvier 2012

Sénégal - Une crise préélectorale aiguë

(Le Temps.ch 31/01/2012)
Confirmée dans la nuit de dimanche à lundi, la candidature du président sortant Abdoulaye Wade à sa réélection risque de précipiter le Sénégal dans le chaos. Deux personnes sont mortes et cinq ont été blessées lundi dans le nord du pays, lors d’affrontements entre opposants au président et forces de l’ordre. Ces violences font suite à une première flambée survenue vendredi et qui a causé la mort d’un policier. Elles risquent de se poursuivre et de s’intensifier aujourd’hui, lors de manifestations prévues par l’opposition à Dakar, même si celle-ci appelle à un «rassemblement pacifique».
Si la situation devait dégénérer, elle verrait sombrer dans la violence l’un des Etats de l’Afrique de l’ouest dont la tradition démocratique fait, à bien des égards, figure de modèle sur le continent.
A l’origine des tensions, l’obstination d’Abdoulaye Wade, qui avoue 85 ans – un âge très probablement inférieur à celui qu’il a atteint en réalité – à vouloir conserver le pouvoir en briguant un troisième mandat le 26 février prochain. Ses opposants dénoncent une démarche anticonstitutionnelle, faisant valoir que les mandats présidentiels sont limités à deux. De son côté, le chef de l’Etat plaide que des modifications de la charte fondamentale effectuées durant ses douze ans de pouvoir assurent la légitimité de sa candidature.
Youssou N’Dour exclu
Celle-ci a été confirmée dans la nuit de dimanche à lundi par le Conseil constitutionnel – dont les membres sont nommés par Abdoulaye Wade – qui a écarté les recours déposés par huit opposants du président, visant à empêcher son entrée en lice. L’organe, dont la décision ne peut être contestée devant une instance supérieure, a aussi écarté la candidature du chanteur Youssou N’Dour, 52 ans, en arguant qu’il n’était pas parvenu à présenter les 10 000 signatures valides nécessaires pour pouvoir prendre part à l’élection. «Le Sénégal et son peuple ont mal. Nous avons été trahis par cette décision honteuse», a-t-il commenté.
Autre élément qui aiguillonne la fureur des détracteurs d’Abdoulaye Wade: la détention, depuis samedi, par la police, d’Alioune Tine, défenseur des droits de l’homme et coordinateur du M23, qui rassemble à la fois des opposants politiques et des représentants de la société civile.
Le mouvement est né le 23 juin dernier, alors que le président tentait une nouvelle fois de modifier la Constitution en sa faveur, en imposant un double ticket pour l’élection présidentielle, avec, à la clé, la désignation du chef de l’Etat et d’un vice-président sur la base de 25% des suffrages au lieu de la majorité absolue. La manœuvre avait pour but d’installer au pouvoir son fils, le très contesté Karim Wade, 42 ans, qui a notamment échoué à se faire élire à la mairie de Dakar en 2009.
L’ire qui gagne les Sénégalais semble aujourd’hui à la mesure des espoirs qu’avait fait naître en 2000 l’élection de ce libéral, après quarante ans de régime socialiste sous Léopold Sédar Senghor et son successeur, Abdou Diouf. D’après Philippe Hugon, directeur de recherches à l’Institut français de relations internationales et stratégiques, ce n’est pas son bilan qui plombe en premier lieu Abdoulaye Wade, «car malgré le chômage élevé, [49% en 2010], et le conflit lié à la Casamance, toujours en souffrance, celui-ci n’est pas aussi mauvais que le prétend l’opposition, notamment en termes d’infrastructures, d’investissements, ou même de scolarisation.» Le grand problème du président, ajoute-t-il, c’est sa «très faible légitimité démocratique», et, s’il s’obstine, l’exaspération d’une jeunesse qui piaffe de déclencher un «printemps africain».

Sandra Moro

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