Africa Unite est une fresque historique du panafricanisme. Du président du Ghana Kwame Nkrumah à l’intellectuel sénégalais Cheikh Anta Diop en passant par le psychiatre martiniquais Frantz Fanon et les artistes Myriam Makeba ou Bob Marley, il retrace les grandes heures de réflexion et d’action pour la construction de l’unité africaine. Le Monde Afrique interroge son auteur Amzat Boukari-Yabara sur les pistes d’avenir d’unité africaine, du concept philosophique au mouvement sociopolitique pour la mettre en place.
Que manque-t-il à l’Union africaine aujourd’hui, avec à sa tête Robert Mugabe, pour exercer davantage d’influence ?
Beaucoup de choses. L’Union africaine aujourd’hui, c’est un peu comme si l’Union européenne était dominée par des partis antieuropéens financés par des puissances non européennes. L’Union africaine réunit des dirigeants qui, en partie cooptés au niveau de leur Etat, mènent de manière isolée des politiques conservatrices et non panafricaines. L’élection de Robert Mugabe ne change rien car le principe de rotation veut que dans neuf mois, il cède déjà sa place. D’ici là, comment mener les réformes nécessaires comme la mise en place d’un gouvernement continental, l’instauration d’une citoyenneté africaine, l’adoption d’une monnaie continentale ainsi que la réforme du financement et la décentralisation de l’Union africaine ? L’Afrique n’a pas tant besoin d’hommes forts ou d’institutions fortes, mais de peuples forts, politiquement éduqués et solidaires.
Avez-vous l’espoir qu’une Afrique unie prévienne le départ de ses citoyens et évite les drames comme celui qui a récemment causé la mort de 700 migrants au large des côtes libyennes ?
L’Afrique dispose de toutes les richesses et les ressources pour réaliser des projets locaux et continentaux de nature à mobiliser et maintenir sur son sol des milliers de migrants qui prennent aujourd’hui le bateau. Il revient donc aux sociétés africaines de faire émerger en leur sein des équipes de travail − et non plus des individualités versatiles et égocentriques – qui seront prêtes à investir dans la durée le continent. Nkrumah soutenait le principe de la Pax Africana, c’est-à-dire des solutions africaines aux problèmes africains. De vraies solutions existent. Tous les Africains ne rêvent pas d’ailleurs. Beaucoup, au contraire, reviennent en Afrique ou ne la quitteraient pour rien au monde. Ils s’organisent, et l’avenir nous réserve sans doute beaucoup de surprises.
Comment percevez-vous la corrélation entre la montée d’un panafricanisme anti-occidental et les révoltes contre des présidents aspirant à le rester à vie, soutenus pour certains par l’Occident ?
D’origine anticapitaliste et anti-impérialiste, le mouvement d’idées et d’actions panafricain, est en droit de rompre avec le monde occidental. Le panafricanisme peut dialoguer avec le reste du monde à condition que ce même monde respecte les Africains et les noirs en général. L’actualité montre que ce n’est pas toujours le cas aux États-Unis, au Brésil, en France ou en Inde, et c’est paradoxalement encore moins le cas en Afrique même. Un Africain conscient et informé refuse alors de s’abandonner à des postures victimaires liées au racisme ou au paternalisme. Mais s’il découvre chaque jour un nouveau discours à consonance colonisatrice, il peut légitimement affirmer que l’Occident a intérêt à maintenir via des dirigeants cooptés une Afrique divisée car politiquement mieux contrôlable et économiquement exploitable.
Au-delà des diversités linguistiques, culturelles, économiques et politiques, sur quoi voyez-vous se forger une communauté de destin au niveau africain ?
L’unité africaine manque de moyens matériels pour se concrétiser dans une culture politique commune, autour de projets économiques pour mobiliser les travailleurs africains, les détournant ainsi des mirages européens. Le principal ferment de souveraineté se trouve, selon moi dans la culture. La lutte pour la dignité, la justice et l’indépendance en Afrique s’illustre dans une expression culturelle particulièrement riche. De plus, en enseignant les expériences panafricaines dans le cursus scolaire et universitaire, on créerait un sentiment d’appartenance à une histoire commune.
Faire une nécrologie du panafricanisme ne revient-il pas à laisser entendre qu’il est mort ?
Il est vrai que le livre dégouline de sang, en un sens. De nombreuses grandes figures du panafricanisme ont été assassinées ou renversées pour leurs idées. Mais une nécrologie nous amène à réfléchir à l’avenir. Inscrire le mouvement dans une profondeur historique tend à donner courage et envie aux nouvelles générations de s’inspirer de ses acquis. Frantz Fanon, Patrice Lumumba ou Malcom X auraient 90 ans aujourd’hui. Quelle est leur postérité ? Comment les jeunes du continent prennent leur relève ? Le panafricanisme reste une force motrice de construction de l’unité africaine. L’Afrique a besoin de retrouver son identité comme disait Frantz Fanon. Les lecteurs se reconnaissent, s’identifient et se retrouvent dans cette histoire panafricaine pour préparer l’avenir.
Propos recueillis par Estelle Grenon@Stellafrica6
Africa Unite, une histoire du panafricanisme, paru aux Éditions La Découverte, 300p, 23 €
lemonde.fr
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