dimanche 30 octobre 2011

R.D.C. - A un mois des élections, «les Congolais considèrent que les jeux sont faits»

(Liberation 29/10/2011) La campagne pour l'élection présidentielle qui se doit se dérouler le 28 novembre (en même temps que les législatives) a été officiellement lancée ce vendredi en République démocratique du Congo – élection à laquelle se représente le président sortant Joseh Kabila. Et déjà quatre personnes d'un parti d'opposition, le Parti travailliste, ont été tuées le même jour par la police, selon la mission de l'ONU, la Monusco.Pour Thierry Vircoulon, directeur du programme Afrique centrale d'International crisis group – qui a appelé aujourd'hui avec 40 autres ONG à des élections «transparentes» – ce n'est «pas très surprenant». Selon lui, il faut s'attendre à des violences tout le long du processus électoral.
A quel type de campagne électorale peut-on s'attendre?
On s'attend à une campagne qui risque d'être un peu agitée à Kinshasa, car il y a déjà eu des violences pré-électorales dans la capitale début septembre. Des tentatives de manifester de l'UDPS, le principal parti d'opposition, ont été contrées par une volonté du pouvoir de leur interdire le droit de descendre dans la rue.
L'autre point chaud potentiel est Lubumbashi, au sud-est du pays, à cause de l'antagonisme traditionnel entres les Kasaïens et les Katangais, deux ethnies de la région. Il y a aussi des luttes de baron du parti au pouvoir dans la deuxième ville du pays qui ont entraîné des troubles ces derniers mois.
Le pays peut-il être déstabilisé?
Il y a deux types d'enjeux. Le premier est celui des violences post-électorales mais aussi celui de la stabilité du régime à moyen terme. En 2006, Kabila avait été obligé de faire un gouvernement de coalition. Si on est dans une configuration différente cette fois-ci, avec un gouvernement composé essentiellement de membres de son Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), il peut y avoir des problèmes de stabilité à moyen terme.
Les quatre morts dans la ville de Mbuji Mayi annoncés ce vendredi par la Monusco, ce n'est pas très surprenant, même s'il faut avoir encore les détails pour connaître les circonstances exactes. La Police nationale congolaise, à part dans la capitale, n'est pas formée pour le maintien de l'ordre.
Certains craignent que les élections ne se déroulent pas à la date prévue.
Le timing est serré, les retards se sont accumulés. Pour le moment, le matériel électoral (ndlr: urnes ou bulletins de vote par exemple), qui doit venir de Chine ou d'Afrique du Sud, n'est pas encore là. Les capacités aériennes de la mission de l'ONU, la Monusco, ne seront peut-être pas non plus suffisantes pour distribuer ce matériel électoral dans tout le pays.
Il y a trois scénarios pour le moment. Soit les élections législatives et présidentielle se tiendront bien le 28 novembre, soit elles sont toutes les deux reportées. Troisième possibilité: on ne reporte que les élections législatives, ce qui pourrait entraîner une crise politique et des troubles.
L'opposition a-t-elle une chance de se faire entendre?
Dans la région, les oppositions n'ont pas une grande tradition de remporter les scrutins électoraux. Pour le moment, l'opposition n'a pas été capable d'avoir un candidat unique, donc cela les handicape beaucoup pour la présidentielle. Cependant, pour les législatives, il n'est pas impossible que tous ensemble ils approchent la majorité au Parlement.
On pourrait potentiellement se retrouver avec une situation de cohabitation. Mathématiquement, c'est un scénario probable, après, dans la réalité, on sait que c'est impossible. Pas dans ce pays.
Quel est le profil du principal opposant Etienne Tshisekedi, le leader de l'UDPS?
C'est quelqu'un issu du mobutisme, il a été premier ministre de Mobutu dans les années 70, il a rompu dans les années 80, il a été banni, et a subi une traversée du désert. Au début des années 90, lors de la période de démocratisation, il est revenu et a pris la tête des démocrates, mais cela a raté. C'est l'opposant historique, mais c'est aussi l'éternel perdant. Il a cependant une vraie popularité en RDC.
Les Congolais attendent-ils quelque chose de cette élection?
Contrairement à 2006 lors de la dernière présidentielle, il y a un désenchantement assez fort, notamment chez les électeurs de Kabila. Ceux du Kivu, à l'est du pays, à qui on avait promis que la paix serait restaurée, n'y croient plus. Et l'ouest du pays continue de rester assez opposé au président.
Pour cette élection, il n'y a du coup pas beaucoup d'attente de renouveau. Seuls les militants de l'UDPS pensent que leur candidat a des chances. Les autres considèrent que les jeux sont un peu faits.
Kabila est maintenant au pouvoir depuis dix ans, quel bilan peut-on tirer de son action?
C'est un peu la question que se pose les électeurs. En 2006, il avait fait des promesses très simples dont rétablir la paix dans l'Est et développer le pays: c'était les «5 chantiers». Ces chantiers n'ont eu qu'un début de commencement, assez récent. Il n'y a pas eu un travail d'une grande constance avant.
Sur la corruption par exemple, si on regarde l'index de Transparency international, on voit qu'il n'y a pas vraiment eu de changements. Il y a des paroles, mais il n'y a pas d'actes.
Les pays limitrophes sont souvent déstabilisateurs. Quelles sont leurs positions pour cette élection?
Je n'ai pas le sentiment qu'ils aient une position tranchée. Tout le monde est plutôt attentiste. Ce qui est évident cependant c'est que la période électorale coïncide avec celle des tensions avec Brazaville. Le voisin protège en ce moment le général Munene, qui a été accusé de vouloir comploter contre Kinshasa. Il a déjà été jugé par contumace, la RDC réclame son extradition mais le président Sassou-Nguesso a dit qu'il ne le rendrait pas.
Et, il y a quinze jours, des hommes ont été arrêtés par l'armée congolaise venant du Congo Brazaville. Ils ont déclaré qu'ils venaient destabiliser le régime en place, donc il y a eu à nouveau des tensions diplomatiques.
Du côté du Rwanda, il y a une alliance claire et nette entre Kinshasa et Kigali. En Ouganda, on est ni pour, ni contre.

Recueilli par Quentin Girard
© Copyright Liberation

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