vendredi 21 octobre 2011

La Tunisie tient ses premières élections libres de l'après-Ben Ali

(Les Echos 21/10/2011)

Les Tunisiens votent dimanche pour les premières élections libres de l'après-Ben Ali. Le mouvement islamiste Ennahda est donné favori du scrutin, mais les abstentionnistes et les indécis pourraient peser lourdement sur les résultats.
Ne votez pas. Je vais m'occuper de vous. » L'affiche, sur fond rouge, représente un Ben Ali qui s'adresse aux Tunisiens. Elle est surmontée d'un « votez ! » écrit en arabe. A deux jours d'un scrutin historique -les premières élections libres du premier pays arabe à avoir chassé son dictateur -, l'exposition « Vote » de l'avenue Bourguiba, en plein coeur de Tunis, cherche encore à convaincre les 7,3 millions d'électeurs potentiels d'aller voter. L'abstention est l'une des grandes inconnues de l'élection. Les Tunisiens disent n'avoir pas confiance dans les partis et se sentent souvent perdus face aux 1.500 listes, aux 11.000 candidats et aux 116 partis qui s'offrent à eux. A l'inflation de l'offre s'ajoutent des thèmes de campagne parfois abstraits, puisque les Tunisiens doivent élire dimanche les 217 membres d'une Assemblée constituante dont l'objectif principal consistera donc à rédiger une nouvelle Constitution. « On parle de pouvoir législatif, de décentralisation, témoigne un observateur averti. Or, ces sujets sont à des milliers de kilomètres de ce qui préoccupe les Tunisiens, c'est-à-dire l'emploi, la sécurité et le tourisme, et non pas de savoir si le futur président pourra dissoudre ou non l'Assemblée. » Dans cette Tunisie qui doit tourner dimanche la première page de l'après-révolution, le chômage touche encore 19 % de la population et près de 25 % des jeunes diplômés. Et ces derniers mois ont été émaillés de violences et de grèves qui n'ont pas vraiment rassuré les investisseurs étrangers.
Quels choix feront les Tunisiens ? Beaucoup disent vouloir voter Ennahda. Le parti islamiste, interdit sous Ben Ali, et dont des milliers de militants et de sympathisants ont connu les geôles de l'ancien régime, est le seul parti vraiment connu dans l'ensemble du pays. Les derniers sondages autorisés, fin septembre, le donnaient en tête des intentions de vote, avec 20 à 30 % des suffrages. Son leader, Rached Ghannouchi, cherche à rassurer. Il affirme être à la tête d'un parti « islamiste et démocratique », « proche de l'AKP turc ». « Nous ne voulons pas imposer la charia, nous ne toucherons pas au statut de la femme », répète-t-il. La montée en puissance d'Ennahda séduit les uns et en inquiète d'autres. L'attaque du domicile du président de la chaîne privée Nessma TV par des extrémistes salafistes, après la diffusion, le 7 octobre, du film « Persépolis » -représentant Dieu et donc jugé blasphématoire, car contraire à l'islam -a choqué. La direction d'Ennahda a condamné la violence et ne veut surtout pas être assimilée aux extrémistes. Mais les partis de gauche dénoncent une relation ambiguë d'Ennahda avec les salafistes et nombre d'observateurs insistent sur un parti hétérogène, divisé entre une aile modérée et une aile dure.
Dans le pays, la tension est palpable. « Il y a un risque de manipulation des résultats des élections », déclarait avant-hier Rached Ghannouchi, menaçant de descendre dans la rue avec ses militants en cas de fraude. « Nous serons aussi vigilants qu'eux sur toute forme de manipulation des résultats », a rétorqué le président d'Ettakatol, Mustapha Ben Jaafar. Le Parti démocrate progressiste (PDP) d'Ahmed Néjib Chebbi, l'autre grand parti de centre gauche, a embrayé en appelant à « ne pas jouer sur les peurs ». L'intervention du leader d'Ennahda survient alors que plusieurs partis dits progressistes ont entamé des pourparlers en vue d'une coalition qui ferait barrage aux islamistes dans la future assemblée constituante. Mais, pour l'instant, personne n'entend dévoiler ses cartes, tant le score de l'élection-dont les résultats sont attendus lundi -est incertain.

marie christine corbier, Les Echos
ENVOYÉE SPÉCIALE À TUNIS
Ecrit par
Marie Christine Corbier
21/10
Marie Christine Corbier
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