(Les Afriques 24/10/2011)
La résiliation brutale du contrat de Getma, ancien concessionnaire du port de Conakry, évincé au profit du groupe Bolloré, n’en finit pas de faire des vagues. Que s’est-il vraiment passé le 8 mars 2011 ?
L’affaire franco-française opposant Getma, ancien concessionnaire du terminal à conteneurs du port de Conakry, et Bolloré Africa Logistics, nouveau vizir du port, « chouchouté » par le nouveau président Alpha Condé, continue de tourner en eau de boudin et de plomber les rapports entre l’ancien concessionnaire et l’Etat guinéen. Lequel a décidé via le décret D/2011 071/ PRG/SGG du 8 mars 2011 de résilier la convention de mise en concession du TC du port du 22 septembre 2008.
Avant son éviction manu militari, Getma International affirme avoir investi plus de 30 millions d’euros dont 15 sous forme de ticket d’entrée. « S’il y a des raisons quelconques à cette éviction, elles ne sont, en tous cas, pas à chercher de ce côté-là », avance une source technique qui suit le dossier depuis plusieurs mois.
Les nouvelles autorités, aux affaires depuis décembre 2010, ont décidé unilatéralement de résilier le contrat de concession du terminal à conteneurs de Getma sur la base d’un seul argument : non-respect aux engagements liés aux investissements. « Une thèse qui ne tient pas la route », soutient-on du côté de la rue Pierre-Charron (8ème arrondissement parisien) où l’on y voit une grosse machination orchestrée par le concurrent français, Bolloré, qui avait dans sa ligne de mire le port de Conakry.
Documents officiels
En réalité, dans cette guerre des docks, « le pouvoir a presque perdu le sens de la lucidité », soupire une source proche du dossier. Au profit de l’amitié et du business ?
Beaucoup d’observateurs pensent que le chef de l’Etat a été mal informé et poussé à l’erreur. Dans quelle mesure, sa proximité avec l’industriel breton, Vincent Bolloré, a pesé dans cette affaire ?
La thèse des griefs de la « défaillance » du groupe Necotrans a du mal à convaincre les spécialistes du droit commercial maritime. Les zones d’ombre sont légion. Par exemple, jusqu’ici, Bolloré n’a toujours pas montré le texte conventionnel du contrat.
Getma, lésé dans la démarche du président guinéen, qui a opté pour la fermeté, attend toujours de la présidence, de l’administration portuaire ou du ministère de tutelle, le document officiel retraçant les manquements constatés dans la gestion de la concession.
Un haut cadre du ministère des transports qui a requis l’anonymat ne cache pas son étonnement de constater que l’Etat ait pu attribuer dans l’empressement la gestion du PAC à Bolloré, classé second au terme de l’appel d’offres. Alors que l’adjudicataire est en train d’exécuter son plan d’investissement « On ne peut pas confier une concession à la sauvette à un opérateur, fût-il deuxième ou troisième, après un appel d’offres. Une phase de négociation est obligatoire avec l’opérateur défaillant, dans le cas où l’option du lancement d’un nouvel appel d’offres y sied » reconnaît un officiel guinéen, qui avait pris part à l’élaboration du dossier technique, financier jusqu’à la signature de la convention de mise en concession du terminal à conteneurs.
Plusieurs sources, contactées par Les Afriques sur place, avouent que s’il y a des manquements, c’est bien du côté des anciennes autorités de la transition qui tardaient à faire libérer l’emprise. Getma, en conformité avec le cahier de charges, avait lancé un appel d’offres pour l’extension du terminal à conteneurs. De bonne foi, Getma monte au filet et organise même une visite sur le chantier à l’intention des entreprises qui voudraient soumissionner. Depuis le 15 juillet dernier, date de la pose de la première pierre des travaux d’extension, c’est la société française Satom qui exécute le marché pour le compte de Bolloré Africa Logistics. Ce dernier, dirigé par le Français, Jean Michel Maheut, SDV Guinée, a pris ses quartiers à Conakry et mis en place son staff au lendemain de la résiliation du contrat de Getma. Sans y mettre la forme, l’Etat et le port de Conakry poussent brutalement Getma à sortir des eaux guinéennes. Le matériel de Getma a été finalement réexporté depuis le 11 août dernier vers le port de Lomé après le décret de levée de main présidentiel. Une sorte de police portuaire est mise à contribution pour superviser l’entrée en grandes pompes de Jean Michel Maheut et son équipe. Seulement, coup de théâtre ! Six mois après son arrivée, le nouvel opérateur n’enchante point les travailleurs du port. Sur le quai, on a enregistré déjà deux morts du côté des manutentionnaires. Conakry Terminal a décidé de licencier quelque 70 travailleurs avant la fin de l’année. « Bolloré a promis d’investir 500 millions d’euros. Mais le matériel roulant déployé actuellement au port, nettement inférieur à celui de Getma, ne rassure guère. Une des deux grues est tombée en panne. Le PAC a dû utiliser abusivement la grue de Getma pendant qu’il était en réquisition », souffle une autorité. Le port empoche, pour cette opération 100 000 euros que lui verse Bolloré. Getma demande des comptes au port. En vain. Encore une entorse, confirme un spécialiste du droit. « C’est un délit d’abus matériels », renchérit un avocat de la place.
Où est passé l’argent de la deuxième tranche du ticket d’entrée ?
Le plus intriguant dans cette affaire douteuse est sans doute l’argent de la deuxième tranche du ticket d’entrée (7,5 millions d’euros) versé par Getma sur le compte du port. A Paris, on est formel : nous avons libellé le chèque d’un montant de 7,5 millions d’euros au nom du port, contrairement à la première tranche versée dans un compte du trésor public. Cette opération de versement du second reliquat du ticket d’entrée avait été effectuée sous la transition militaire du général Sékouba Konaté. Etaient aux commandes du régime, l’ancien Premier ministre, Jean Marie Doré, le ministre des Transports, Mathurin Bangoura et le DG du port, Mamady Sanko. Ce dernier avait tenu, confirme une source autorisée, « à ce que Getma libelle le chèque au nom du port et non pour le compte du Trésor ».
A l’époque, l’argument avancé était que les 7,5 millions d’euros devraient servir au financement des travaux de dragage au niveau du port. Qu’a-t-on fait de cet argent ?
Un officiel, proche du dossier, nous a révélé avec persistance, que l’ancien ministre des Finances de l’époque, Kerfalla Yansané (actuellement reconduit à son poste) avait exigé des autorités portuaires que le versement de cette deuxième tranche de ticket d’entrée devait être effectué sur un compte du Trésor public. Toutefois, l’argentier d’alors, Kerfalla Yansané qui aurait subi de fortes pressions, indique-t- on, a laissé faire. « Pourquoi le nouveau régime n’a pas demandé à ce qu’on fasse la lumière sur la destination et l’utilisation des 15 millions d’euros du ticket d’entrée de Getma, jusque là », se demande un officiel.
Un réseau d’intérêts
Ici, tout le monde croit dur comme fer, que l’ex-opérateur a fait les frais d’une campagne de dénigrement auprès des nouvelles autorités. Nos investigations nous ont permis de déceler un réseau d’intérêts sur l’axe Paris-Conakry, minutieusement orchestré par les détracteurs de Getma, qui dans l’ombre avaient entamé, entre 2008 et 2010, une campagne visant à ternir l’image de Getma auprès de certaines hautes personnalités politiques et militaires du pays. Sans beaucoup attirer l’attention ni susciter la colère des autorités de la transition de l’époque.
En coulisses, bon nombre de personnalités ont été manœuvrées pour tomber dans le piège des intermédiaires véreux. Au cours de notre enquête, qui nous a amenés à interroger une dizaine de hauts responsables bien introduits dans les arcanes du port, on découvre autour de cette affaire un tissu d’amalgames et de contre-vérités. A suivre dans notre prochaine édition.
Enquête réalisée par Ismael Aidara
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