(Le Figaro 25/10/2011)
La victoire électorale d'Ennahda est renforcée par le succès de partis modérés prêts à s'allier avec lui pour gouverner.
Ennahda peut pavoiser. Interdit pendant plus de vingt ans, «la Renaissance» mérite comme jamais son nom. Le parti islamiste est le grand gagnant du premier rendez-vous des Tunisiens avec la démocratie. Il sera en position de force dans l'Assemblée constituante, qui doit jeter les bases de la deuxième République tunisienne et désigner un nouvel exécutif jusqu'aux prochaines élections générales, prévues dans un an. Les islamo-conservateurs vont obtenir environ 40% des voix et récolter au moins 60 sièges sur 217, selon des projections à confirmer mardi par l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE). Ils devront toutefois nouer des alliances s'ils veulent gouverner.
Leur victoire n'est pas vraiment une surprise, mais son ampleur marque les esprits. En l'absence de scrutin de référence, le poids des islamo-conservateurs se situait, selon les estimations préélectorales, dans une fourchette comprise entre 25% et 40%. Voici quelques jours, les responsables d'Ennahda espéraient rassembler au moins un électeur sur trois. De leur côté, leurs adversaires les plus résolus estimaient que la poussée islamiste «resterait gérable» jusqu'à 40%. Ils sont aujourd'hui sous le choc. Ils redoutent que le courant islamo-conservateur pousse son avantage. Leurs peurs se cristallisent sur la mouvance salafiste qui risque de profiter de la nouvelle donne pour multiplier les provocations.
Union nationale
La constitution d'un front commun pourrait être facilitée par le classement aux places d'honneur de deux partis de centre gauche prêts à participer, sous certaines conditions, à une large union nationale. Ettakatol de Moustapha Ben Jaafar et le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki obtiendraient chacun environ 15% des suffrages. Ces formations réformistes ont la particularité d'avoir adopté une stratégie d'ouverture et d'avoir connu une montée en puissance au cours de la campagne. En rupture avec l'ancien système, elles ont cherché à rassembler au centre plutôt que diviser. Ensemble, elles obtiendraient une soixantaine d'élus, de quoi créer un pôle d'équilibre face à Ennahda.
«Ettakatol et CPR, qui étaient très faibles au départ, se retrouvent avec une stature nationale pour construire la vie politique et instaurer une modernité rationnelle dans un pays arabo-musulman», a assuré Khalil Zaouia, numéro 2 d'Ettakatol. «On espère être les seconds», s'est réjoui, de son côté, Moncef Marzouki, le leader du Congrès pour la République (CPR), un ancien opposant à Ben Ali longtemps exilé dans la banlieue parisienne, à Créteil. «De toute façon, ce qui compte, c'est que nous avons désormais une véritable cartographie politique.» Ces deux partis distancent les sociaux-démocrates du Parti démocrate progressiste (PDP) d'Ahmed Najib Chebbi et du Pôle démocratique moderniste (PDM), animé par Ahmed Brahim, qui défendaient l'idée d'une alliance anti-Ennahda. L'un et l'autre ont reconnu leur échec. «Ennahda a réussi là où nous avons échoué, nous devons nous restructurer, nous devons nous unir une nouvelle fois», a reconnu Riadh Ben Fadhal, du Pôle démocratique moderniste.
Laminé avec moins de 10% des voix, le Parti démocrate progressiste (PDP), parti tunisien du centre gauche qui était donné par les sondages en seconde position pour le scrutin historique de dimanche, a pris acte de sa déroute. «C'est la décision du peuple tunisien. Je m'incline devant ce choix», a déclaré Maya Jribi, la secrétaire générale du PDP, affirmant que son parti se rangerait dans le camp de l'opposition à la future majorité. «Je pense que la Tunisie est en train de vivre un tournant», a-t-elle ajouté.
Le PDP semble payer sa volonté de refus d'un compromis dans un contexte politique qui se veut, dans la période transitoire, consensuel. Il a, contre son gré, effrayé l'opinion publique, tandis qu'Ennahda parvenait à la rassurer.
Par Thierry Oberlé
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