(Le Pays 26/02/2010)
Une semaine après avoir déposé Tandja – bien malheureux aujourd’hui pour n’avoir pas eu le temps de terminer ses chantiers - la junte désormais au pouvoir dévoile sa stratégie. Et elle procède par la politique des petits pas. Après avoir confié à Salou Djibo la fonction de chef de l’Etat, elle vient de se choisir un Premier ministre pour conduire la politique du gouvernement.
Fraîchement nommé par la junte, mardi 23 février 2010, le nouvel élu, Mahmadou Danda, ne fait pas mystère de la vision qu’il tient à avoir de la mission à lui confiée. « J’ai demandé des garanties nécessaires pour être sûr de m’engager dans un processus devant aboutir à la restauration réelle de la démocratie ». L’homme ne fait pas dans la langue de bois, et de toute évidence, n’entend pas faire de la figuration au moment où la charge de conduire l’action gouvernementale lui est confiée. Civil nommé par des militaires qui ont eu la responsabilité du coup d’Etat du 18 février, l’homme a le mérite et l’intelligence de chercher à comprendre pleinement ce à quoi il s’engage avant de mettre les pieds à l’étrier. Sage précaution sans doute. Le rôle de Premier ministre, simplement de façade et qui ne sert même pas à inaugurer les chrysanthèmes, ne l’enthousiasme pas. En cela, il se sera instruit sans doute du cas pathétique de l’ancien Premier ministre guinéen, Kabiné Komara, certes un bon technocrate, mais qui s’était littéralement fourvoyé au sein d’une junte militaire dont les membres avaient presque tous la caractéristique d’avoir de la chose politique, une autre vision que lui.
Les garanties que Mahmadou Danda demande concernent deux volets : primo, les délais « les plus corrects possibles » pour un retour à la vie constitutionnelle ainsi que l’organisation d’élections. Secundo, une précision dans les détails d’un agenda de la transition ainsi qu’un chronogramme clair du travail qui sera à faire. A supposer que la junte puisse les lui fournir, cela présentera sans doute au moins un double avantage. Le nouveau Premier ministre, sachant réellement et clairement ce qui l’attend, saura sans doute prendre les dispositions idoines pour s’y atteler et s’interdira toute forme de navigation à vue. Et la junte de son côté, devra forcément se sentir liée par ces engagements qu’elle aura pris et qu’elle aura obligation de tenir comme un réel contrat la liant à cet homme apolitique qu’elle a bien voulu choisir justement en raison de son refus volontairement affiché de toute affiliation à quelque parti politique que ce soit. A supposer que les militaires d’un côté, et le Premier ministre de l’autre, jouent, chacun, à perfection, son rôle, c’est le Niger qui en serait le grand bénéficiaire. Car, il serait inconvenant que ce pays traîne les pieds à l’infini, pris au piège d’une situation d’exception qui, à la longue s’attarde, se prolonge et au final devienne usante, à l’instar d’un provisoire qui dure. Car, il faut le reconnaître, l’enthousiasme populaire peut se révéler un feu de paille. Le Premier ministre a besoin de se commettre dès à présent, à l’immense tâche qui l’attend.
La junte, elle, devra aussi s’atteler à régler le cas – de conscience - que représente aujourd’hui l’ex-président Mamadou Tandja. On le sait vivant, détenu dans une villa cossue où il mène une vie de détenu de luxe. Que va en faire la junte ? Va-t-elle le garder dans sa prison dorée ad vitam aeternam ? La chose paraît impensable. Peut-elle opter pour l’exil politique dans quelque pays « ami et frère » ? Difficile, à priori. Tandja, au faîte de sa splendeur, avait tellement nargué ses pairs au point que presque tous, à quelques rares exceptions près, en étaient irrités au plus haut point. Qui, à l’heure actuelle s’aventurerait à accueillir chez lui un fieffé tripatouilleur vomi par ses propres concitoyens ? On attend de voir. Même le royaume chérifien qu’une rumeur avait présenté comme désireux de jouer les « hôtes humanitaires » s’est fendu d’un démenti catégorique. Alors, que peut faire la junte de son bien encombrant bagage ?
Une chose est sûre. En déclarant qu’elle ne jugerait pas Mamadou Tandja, elle fait là sa première erreur politique. Car, il lui sera extrêmement difficile de justifier une décision qui s’apparente à un déni de droit. Tout comme il lui sera quasiment impossible de faire face à certaines accusations d’une collusion réelle ou supposée de tous ou d’une partie de ses membres avec le désormais ex-président nigérien. Car, de toute évidence, on ne choisit pas de renverser un chef d’Etat pour rien. Sous d’autres cieux, ce que tout le monde a vu Tandja faire le conduirait sans détour devant la Haute cour de justice pour haute trahison. La junte veut-elle faire comprendre que Tandja ne s’est rendu coupable d’aucun crime ? Et si cela était le cas, pourquoi l’avoir renversé ? Il eût été meilleur de le laisser à sa place. Il aurait alors eu le temps de terminer ses chers chantiers.
On le voit, le boulevard des questionnements conduit tout droit à un dilemme pour la junte. Et ce, d’autant plus qu’il se susurre que Tandja, s’il parle, devient dangereux pour plus d’un militaire présent dans la junte. Or on imagine mal un procès au cours duquel on devrait refuser la parole à l’accusé pour qu’il se défende.
Les militaires au pouvoir à Niamey seraient bien inspirés de pleinement s’assumer. Ils ne devraient pas faire le travail à moitié. Plus, ils auraient tout intérêt à terminer le chantier « Tandja ». Il est tout à fait normal que l’homme d’Etat qu’il a été, puisse un jour rendre compte à ce peuple qu’il a servi. Sans haine ni rancune.
Seulement pour que serve la vérité. Ici, on ne chasse pas de sorcières, on demande à un dirigeant de haut niveau de rendre compte de sa gestion. Refuser de le faire à présent, s’il escamote une difficulté réelle du moment, ne l’efface certainement pas pour toujours. Et il constituera toujours un hic qu’il faudra un jour ou l’autre, régler. Tôt ou tard. Et à la vérité, plutôt tôt que tard.
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