mardi 16 février 2010

EDITORIAL: Journée historique / 16 février : ne crachez pas sur les « morts de la démocratie »

(Le Potentiel 16/02/2010)
16 février 1992. C’est ce jour que tout a changé et que le glas venait de sonner pour le régime Mobutu. A l’initiative des abbés catholiques, les chrétiens avaient bravé le régime en place, exorcisé le démon de la peur pour marcher afin de réclamer la réouverture de la Conférence nationale souveraine. Car quelques heures plus tôt, le Premier ministre de l’époque, Nguz a Karl I Bond, avait fermé « avec force » les travaux de ce cadre de la démocratie, de la liberté d’expression.
Jamais pareille marée humaine n’était descendue dans les rues de Kinshasa pour revendiquer ses droits. Un spectacle inédit. Une image captivante, inoubliable. Surtout au niveau de l’échangeur de Limete d’où les premiers coups de feu ont été tirés. Rameau d’une main, Bible ou chapelet dans l’autre, des milliers de chrétiens marchaient, tout en entonnant des chansons religieuses. Face à eux, des militaires bien armés, doigt sur la gâchette. Du jamais vu à Kinshasa. Du jamais vu en République démocratique du Congo, alors Zaïre.
Mais hélas ! Cette marche pacifique fut brutalement réprimée. Dans le sang. Personne ne connaîtra jamais le nombre exact des morts de la démocratie, de la liberté d’expression.
Quelque chose venait de changer dans ce pays. Face à ce mouvement populaire, Mobutu a été contraint d’instruire son Premier ministre pour que les travaux reprennent au sein de la Conférence nationale souveraine. Même si l’atterrissage a été quelque peu brutal. Toujours est-il que depuis ce jour-là, plus rien n’était comme avant. Que le cours de l’histoire devenait irréversible.
Chaque jour qui passe renforce la conviction des Congolais dans leur volonté de revendiquer leurs droits, de se faire entendre et de demeurer dans les limites internes de leur pays tel que reconnu par le droit international.
16 février 1992 a donc ce mérite d’avoir apporté un plus dans la conscience politique des Congolais que plus jamais, toute dictature, quelle qu’elle soit, ne peut plus leur être imposée. Et depuis ce jour, les Congolais consentent des sacrifices pour préserver les acquis de la dignité, de l’indépendance et de sauvegarder l’intégrité territoriale. Ils n’hésitent point à pousser la classe politique à prendre conscience des opportunités de ce pays pour instaurer au cœur de l’Afrique un véritable Etat de droit, uni, fort et prospère. Les faiseurs des guerres, les démons de la balkanisation ont échoué à chaque tentative machiavélique, grâce à la détermination de ce peuple qui, stoïquement, résiste à toutes les manoeuvres de déstabilisation.
Aussi, le 16 février demeure une journée historique qui permet à tous les Congolais de se ressourcer, d’avoir de l’inspiration, de se doter de ce courage nécessaire à faire face à d’autres défis injustes. A se débarrasser de la peur pour redresser ce front longtemps courbé afin de s’opposer à toute dérive totalitaire. Question d’honorer ceux qui ont payé, ce jour-là, le prix le plus élevé de leur vie : le sacrifice suprême. Devoir de mémoire collective oblige.
16 février : ne crachez pas sur les « morts de la démocratie »
Journée historique aujourd’hui. 16 février 1992 – 16 février 2010. Il y a de cela exactement 18 ans que les chrétiens organisaient une marche pacifique, réprimée dans le sang, pour obtenir la réouverture de la Conférence nationale souveraine. Initiative exclusive de la Société civile, apolitique. Mais curieusement, l’on assiste à un élan très fort d’une récupération politicienne avec comme objectif la reconfiguration du paysage politique en prévision de prochaines élections. Scandaleux. Non. Ne crachez pas sur les morts de la démocratie au risque d’aliéner l’essence de cette journée historique et la vider de toute sa substance.
16 février 1992 – 16 février 2010. Il y a de cela 18 ans, à l’ initiative de la Société civile apolitique, sous la conduite des jeunes abbés de Kinshasa, les chrétiens organisaient une marche pacifique. Ils tenaient ainsi à obtenir la reprise des travaux de la Conférence nationale souveraine fermée « avec force » par le Premier ministre de l’époque, Nguz a Karl I Bond. Une marche qui a connu une forte mobilisation de la population qui exigeait l’instauration de la démocratie et la garantie du respect de la libre expression. Un événement inoubliable tant elle a bénéficié du soutien populaire et sonna le glas du régime Mobutu.
Malheureusement, cette marche a été réprimée impitoyablement dans le sang. Combien de morts ? Le nombre exact des « morts de la démocratie », tombés ce jour-là, ne sera jamais connu.
Quoiqu’ il en soit, le cours de l’histoire étant irréversible, plus rien ne sera comme avant. Chaque jour qui passe, le peuple congolais relève les grands défis de la démocratie, de la libre expression. Les force obscures qui n’en démordent pas avec ce plan machiavélique de la balkanisation de la RDC pour contrôler ses richesses aujourd’hui exploitées illégalement se heurtent toujours à la volonté de ce peuple de ne pas aliéner les acquis de l’indépendance et de la souveraineté nationale.
RECUPERATION POLITICIENNE SCANDALEUSE
Cependant, cette journée risque de perdre toute son essence historique tant la récupération politicienne est si grande. Pire, les politiciens se démènent pour s’approprier cette journée alors qu’ elle est la paternité de la Société civile apolitique.
Elle devrait être plutôt une source d’inspiration pour cette sensibilité sociale dans le but d’honorer la mémoire des « victimes de la démocratie ». Question d’éviter que l’on crache sur ces « morts » pour des raisons politiciennes. En effet, l’on assiste depuis quelques jours, et à l’approche de cette date du 16 février, à un branle-bas au sein de l’Opposition et de certains partis politiques. L’Union pour la Nation donne l’ impression de se reconstituer et a choisi cette journée historique pour lancer son ballon d’essai. La tentative pourrait sûrement conduire à la désignation du « chef » de l’Opposition en l’absence du sénateur Jean-Pierre Bemba, aujourd’hui détenu à la Cour pénale internationale, CPI.
Une marche à l’initiative de l’Opposition institutionnelle est prévue ce mardi. Elle partira de la paroisse Saint Joseph jusqu’à l’YMCA. Cet endroit est le lieu par où est parti le déclenchement des manifestations du 4 janvier 1959 avec le meeting de Joseph Kasa-Vubu.
Certes, on ne peut interdire à des hommes politiques d’être opportunistes. Mais lier la Paroisse Saint Joseph à l’ YMCA pour commémorer la journée du 16 février, c’est tronquer l’histoire, déplacer le contexte de cette journée historique sur fond de la reconfiguration du paysage politique en prévision des prochaines élections.
Comme si cela ne suffisait pas, l’ UDPS entre dans la danse en ordre disparate. Certes, le 15 février 2010, l’ UDPS totalise 28 ans. Mais l’ on fait état de « trois UDPS » qui tiennent à se manifester depuis hier, aujourd’hui et le 20 février. Le premier clan UDPS sous la conduite de Belchika entend organiser des manifestations à N Djili. Le second sous la direction de Mutanda Kasongo a prévu des célébrations eucharistiques à la Paroisse Saint Joseph, dans la commune de Kalamu. Enfin, le Collège des fondateurs dénie aux deux clans le droit d’engager l’UDPS et leur refuse le droit d’organiser une quelconque manifestation.
Cette structure aurait reçu des instructions du président national, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, de patronner toutes les cérémonies. La confusion est totale et porte ombrage à la journée historique du 16 février.
LA SOCIETE CIVILE INTERPELLEE
Comme l’on vient de le souligner plus haut, toute cette agitation autour de la journée du 16 février est consécutive à l’organisation prochaine des élections. L’on assiste donc à une reconfiguration de la scène politique en cherchant à vider le 16 février de toute sa substance.
Et pourtant, la marche des chrétiens a bénéficié du parrainage de la Société civile, apolitique. D’où la présence active des abbés de Kinshasa sans qu’ils aient associé les évêques. Aussi, devant cet élan de récupération scandaleuse et politicienne, la Société civile devrait se lever. Elle aurait dû saisir cette opportunité pour faire l’état des lieux de cette sensibilité sociale en vue de scruter l’horizon et s’appesantir sur les perspectives d’avenir de la République démocratique du Congo.
En effet, la Société civile doit sa crédibilité à cette journée du 16 février pour autant que c’est à partir de ce jour que les choses ont commencé à changer. Que la Société civile soit associée à toutes les étapes du débat national.
Mais depuis que certaines de ces grandes figures ont été alignées à des formations politiques, la Société civile a été déplumée. Preuve ? Avec la création de la Commission électorale nationale indépendante, CENI, elle a été tout simplement et superbement ignorée, oubliée. Il a fallu que le Sénat réagisse pour qu’elle soit repêchée. Encore faudra-t-il qu’au niveau de la commission paritaire « Assemblée nationale- Sénat », cette proposition soit maintenue. Sinon, la Société civile ne siègera pas au sein de la CENI.
Voilà une opportunité qui aurait pu permettre à la Société civile de rebondir. Hélas. La classe politique est en train de la supplanter au risque de cracher sur les « morts de la démocratie ».

Par Le Potentiel

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