jeudi 4 août 2011

R.D. CONGO - Escalade verbale : L’Opposition écrit à J. Kabila

(Le Potentiel 04/08/2011)
C’est bien reparti pour une nouvelle escalade verbale entre le pouvoir et l’Opposition, sans oublier la CENI en passant. Aux préalables posés par l’Opposition et aux sit-in de certains partis politiques, particulièrement l’UDPS, le gouvernement avait répondu à l’Opposition en dévoilant toute sa stratégie de franche collaboration pour que les élections aient lieu. Les moyens nécessaires tant financiers que logistiques sont mis à la disposition de la CENI qui vient d’instaurer un dialogue avec les partis politiques. Mais voilà que l’Opposition rebondit dans une lettre ouverte adressée au président de la République, Joseph Kabila qui n’est rien d’autre que des accusations étayées sur 10 points. Entre les deux faits, la CENI a lancé un ultimatum au Parlement au sujet des lois annexes à la loi électorale. Faute de quoi, les élections seront découplées. Juste ce qu’il fallait pour alimenter l’escalade verbale.
Dans une lettre ouverte, datée du 30 juillet 2011, adressée au président de la République, Joseph Kabila, l’Opposition politique congolaise le prévient qu’il portera toute la responsabilité s’il ne « cesse pas de prendre en otage le processus électoral en cours ». Lettre oui. Mais il s’agit plutôt des accusations portées contre le président de la République et étayées sur dix points. Notamment autour de la violation de la Constitution par lui-même, lit-on dans cette lettre ; la politisation à outrance de certains services et entreprises de l’Etat ; les nominations au sein de la petite territoriale ; l’exhibitionnisme de la Majorité présidentielle déjà en campagne électorale ; l’affichage de son effigie ; la violation de la Constitution par la fixation de la date des élections présidentielle et législatives ; le non respect des droits de l’Homme ; la dégradation de la situation sociale ; des ratés dans la réforme de l’Armée, de la Police et des services de renseignements sans oublier le silence « coupable du gouvernement après la publication du Rapport Mapping » ; et enfin l’attitude sélective sur l’application de la « politique de Tolérance zéro ».
Auparavant, l’on se souviendra que l’Opposition politique avait adressé un mémorandum à la CENI contenant ses préalables à la poursuite du dialogue instauré par cette même CENI. Préalables qui portent sur un partenariat franc et sincère dans le processus électoral, notamment en ce qui concerne le contrôle du fichier central, la mise en place du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, CSAC, de la Cour constitutionnelle et des autres juridictions devant intervenir dans ce processus. Faute de quoi, l’Opposition politique en tirera toutes les conséquences qui s’imposent.
Escalade verbale
Il est un fait indéniable que cette lettre de l’Opposition entraînera une réaction, si pas de la part du gouvernement, mais de la famille politique du président de la République. La réaction du gouvernement relative aux préalables est déjà connue. Sa stratégie a été dévoilée et l’attitude de l’Opposition visant à bloquer le processus électoral est interprétée comme une fuite en avant. Une attitude que les observateurs étrangers n’ont pas du tout appréciée, invitant les protagonistes à s’impliquer pour la tenue des élections apaisées.
L’effervescence est donc en train de battre son plein si l’on retient que le dernier ultimatum de la CENI au Parlement autour des lois annexes à la Loi électorale a suscité de vives réactions. La CENI a été accusée d’interférence et de rouler seulement pour des élections présidentielles dans la mesure où elle sait pertinemment que les prérogatives du découplage des élections revient au Parlement et non à la CENI. Le Parlement n’étant pas encore convoqué en session extraordinaire, la gestion du temps commence à soulever d’autres interrogations. Le RCD de Azarias Ruberwa a déjà évoqué le report des élections.
La joute verbale s’annonce donc serrée.
Réaction du MLC
Dans un communiqué dont la copie est parvenue hier mercredi 3 août au journal Le Potentiel, le Mouvement de libération du Congo (MLC) a relevé que depuis la fin de l’opération de révision du fichier électoral, l’attitude du bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) face aux inquiétudes de la classe politique et les prises de position cavalière de son président préoccupent au plus haut point le MLC qui dénonce ce qui suit : l’attitude du président de la CENI qui tend à mépriser les partis politiques et à briser l’esprit de collaboration et de partenariat souhaité par tous en vue des élections apaisées ainsi que sa tentative de remise en cause unilatérale du choix du couplage des élections présidentielle et législatives ; les prises de positions du président de la CENI sont de nature à jeter le doute dans l’esprit des Congolais quant à la neutralité et impartialité de la CENI ; la volonté manifeste du bureau de la CENI à vouloir présenter au Parlement un projet d’annexe à la loi électorale sur base des données brutes (sans avoir nettoyé au préalable le fichier électoral) comme l’exige la loi électorale ; le refus de répondre aux exigences de l’opposition consécutives à la fiabilisation du processus électoral. Déterminé à participer aux élections crédibles à tous les niveaux, le MLC exige ce qui suit : le respect scrupuleux de l’esprit et la lettre de la loi portant organisation et fonctionnement de la CENI quant à sa neutralité ; le respect et la prise en compte des réoccupations légitimes des partis politiques en tant que partenaires essentiels dans le processus ; l’accélération de la nouvelle mise en place dans l’administration électorale ; des garanties quant à la conduite responsable des élections ; la prise en compte de tous les enrôlés dans le serveur central ; la publication, après concertation de la classe politique, d’un calendrier réaliste tenant compte du retard enregistré dans la mise en œuvre de certaines étapes importantes du processus électoral et, prenant en compte les contraintes actuelles en vue d’éviter toute navigation à vue.
Ci-dessus la lettre de l’Opposition politique au président de la République.
Lettre ouverte sur la situation politique, économique et sociale du pays Monsieur le Président de la République.
Nous avons l’honneur, en tant que patriotes, de Vous transmettre, ces observations en rapport avec la vie politique, économique et sociale du pays à la veille des élections pluralistes prévues pour le mois de novembre 2011.
De prime abord, nous aimerions Vous rappeler qu’aux termes de l’article 69 de la Constitution qui nous régit que « le Président de la République est le chef de l’Etat. Il représente la nation et il est le symbole de l’unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux».
Aussi, conformément à l’article 74 alinéa de la même Constitution, Vous avez prêté devant la Cour suprême de justice le serment ci-après :
« Moi, Joseph Kabila Kabange, élu président de la République démocratique du Congo, je jure solennellement devant Dieu et la nation :
- D’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République ;
- De maintenir son indépendance et l’intégrité du territoire ;
- De Sauvegarder l’unité nationale ;
- De ne me laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine ;
- De consacrer toutes mes forces à la promotion du bien commun et de la paix ;
- De remplir loyalement et en fidèle serviteur du peuple, les hautes fonctions qui me sont confiées ».
Cet engagement solennel, exigence constitutionnelle du respect de la parole donnée, détermine les bornes symboliques et juridiques de la puissance et de la légitimité du dépositaire de la volonté du peuple que Vous êtes.
Ainsi, nos observations, dans la présente lettre ouverte, s’articulent autour de quelques points pour lesquels nous aimerions obtenir, de Votre part, des réponses claires en termes d’engagement sincère susceptible de conduire le pays vers un avenir meilleur :
1. La Constitution est sans cesse violée par Vous-même et par les acteurs de Votre famille politique et, ce, sans faire l’objet d’une quelconque sanction. La non promulgation des lois dans les délais constitutionnels, la tenue des réunions inter institutionnelles, l’inféodation du pouvoir judiciaire et la révision constitutionnelle de janvier 2011, particulièrement nous paraissent être révélatrices de cette volonté de Vous mettre au-dessus de la Constitution et des lois de la République.
2. En tant que démocrates, la politisation à outrance de certains services et entreprises de l’Etat où ont été nommés des représentants de la Majorité présidentielle dans l’optique d’y asseoir le label de cette mouvance politique au détriment de l’Opposition politique, contrepoids indispensable au bon fonctionnement de la démocratie, nous écœure.
En outre, l’adhésion au PPRD tend à devenir un impératif dans certains services étatiques et établissements publics auxquels on impose, ainsi qu’à leurs employés, de cotiser pour faire valoir leur qualité de membre et protéger leur emploi. Ce comportement antirépublicain viole à la fois l’article 193 de la Constitution et l’article 36 de la loi électorale qui stipulent respectivement :
- Article 193 : « L’Administration publique est apolitique, neutre et impartiale. Nul ne peut la détourner à des fins personnelles ou partisanes. Elle comprend la Fonction publique ainsi que tous les organismes et services assimilés »
- Article 36 : « Est interdite, l’utilisation à des fins de propagande électorale des biens, des finances et du personnel de l’Etat, des entreprises, établissements et organismes publics et des sociétés d’économie mixte ».
Pourtant, l’argent de ces entreprises est souvent mis à contribution pour financer certains projets politiques de la Majorité présidentielle, reléguant ainsi aux calendes grecques leurs priorités.
3. Nous nous insurgeons contre les nominations qui se poursuivent allègrement au sein de la petite territoriale au mépris de la loi électorale et de la loi portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces.
4. L’activisme qu’affichent vos affidés sur l’espace sociopolitique, sur fond d’exhibitionnisme en entretenant une atmosphère de pré campagne électorale inquiète. La Majorité présidentielle, dont Vous êtes le chef, s’investit précocement dans cette action à travers l’organisation des manifestations et rassemblements aux senteurs électoralistes relayés par les médias officiels dont l’accès est toujours difficile pour l’opposition. C’est une situation qui dessert les autres formations politiques dans un contexte d’absence de fait du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), censé garantir la libre expression de tous dans les médias et l’égal accès de tous les Congolais à une information contradictoire et libérée de toute injonction.
Aux fins de sécuriser le processus électoral, l’opposition exige donc l’installation, sans délai, du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication ainsi que la mise en place de la Cour constitutionnelle et des ‘ autres juridictions devant intervenir dans ledit processus.
5. Dans les grandes artères et sur les édifices publics tant à Kinshasa qu’à travers toute la République, de grands panneaux publicitaires, avec Votre effigie, sont érigés. Cela s’apparente à une campagne électorale permanente qui ne dit pas son nom. Et, dans un Etat démocratique, de telles pratiques, qui jettent une suspicion légitime sur la transparence et la crédibilité des élections, sont prohibés et par conséquent nous Vous prions de faire enlever tous ces panneaux géants.
6. En ce qui concerne le déroulement du processus électoral, non seulement la fixation des élections présidentielle et législatives au 28 novembre 2011 viole les prescrits de la Constitution en son article 73 mais, de surcroît, les assurances du président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sont démenties par la réalité des faits sur terrain qui démontrent à suffisance qu’on est encore très loin du compte en termes de préalables liés à l’organisation de ce scrutin.
En effet, pour ne citer que quelques préalables, nous notons notamment l’absence de recensement et d’identification des nationaux, de l’audit du fichier électoral et le non accès à la gestion du serveur central par l’un des partenaires au processus qu’est l’opposition politique.
Par ailleurs, l’insécurité entretenue dans les territoires de l’Est où sévissent des groupes armés, les irrégularités flagrantes notamment l’enrôlement des mineurs, des hommes en uniforme, des étrangers, le déplacement massif des populations d’une circonscription vers celle où l’on est candidat portent à croire qu’il y a une volonté délibérée d’organiser des élections non transparentes.
Comment par exemple expliquer que la province du Katanga avec une superficie de 496.877 Km² et une population estimée à 9.255.514 (soit une densité de 18.6 habitants par km²) en en 2010 puisse enrôler 1.400.000 électeurs de plus que Kinshasa qui a une population estimée à 9.71 0.804 (soit une densité de 974.5 habitants par km²) et qui vit sur 9.965 km² seulement ?
7. En matière de respect de droits de l’Homme, notre pays continue à s’illustrer par des violations massives, et qui sont régulièrement dénoncées par Ies organisations nationales et internationales.
Pour ne citer que quelques cas notoires : le dénouement de l’affaire Floribert Chebeya nous laisse perplexe étant entendu que la Cour n’est pas arrivée à faire toute la lumière sur l’assassinat de cet activiste des droits de l’Homme assassiné le même jour que son chauffeur Fidèle Bazana dans des circonstances non encore élucidées totalement, le colonel Daniel Mukalay et ses complices n’auront été que de simples exécutants.
Le blanchiment de l’inspecteur général de la police nationale, pourtant considéré comme le principal suspect dans cette affaire, jette le doute sur l’arrêt prononcé par l’instance judiciaire. Nous exigeons que le concerné soit effectivement jugé car beaucoup d’éléments, du reste détenus par les ONG des droits de l’Homme, établissent clairement la responsabilité personnelle de cet officier général de la Police nationale congolaise.
Nous exigeons aussi que toute la lumière soit faite sur l’assassinat du député provincial Daniel Boteti, d’Armand Tungulu, de Madame Consolate Kanyere, Bukueba Kazire, Serge Lukusa et de tous les journalistes et autres activistes de droits de I’homme assassinés. Nous exigeons en outre la libération des compatriotes notamment Kutino, Mokia, Molabo. Me Firmin Yangambi, Jonathan Tshibasu, Elie Kapend, Etienne Ilunga, Roger Mayamba et consorts, tous, combattants de I’opposition. Prisonniers d’opinion qui croupissent injustement en prison.
L’opposition politique déplore en outre la non implication de Votre gouvernement dans le suivi du dossier judiciaire du Sénateur Jean-Pierre Bemba détenu par la Cour Pénale Internationale à La Haye.
Enfin, nous dénonçons la traque, par les agents de l’ANR, des Congolais de l’étranger particulièrement ceux provenant du Royaume-Uni, arrêtés arbitrairement à leur arrivée ou départ à Kinshasa ainsi que des journalistes et artistes musiciens, proches de l’opposition : les cas de Gérard Mavula Mapela, de Georges Ekofo Botamba et de Baby Balukuna et de I’ artiste musicien Marie-Paul.
Il en est de même de l’interdiction de sortie du territoire national imposée aux opposants, cas du professeur Gaston Dyndo
Le non agrément du parti politique Bundu dia Mayala, pourtant en règle avec les lois de la République, suscite beaucoup d’interrogations au sein de l’opinion. Et, ceci démontre à suffisance que la liberté d’expression en RD Congo est devenue une faveur résultant du «fait de prince ».
Partant, l’opposition exige que cette formation bénéficie de son droit de fonctionnement.
8. Nous Vous rappelons que lors de Votre discours à la nation du 07 décembre 2009, Vous avez proclamé 2010 » l’année du social » L’opposition politique note avec stupéfaction qu’aucune avancée significative n’a été enregistrée dans les domaines de la santé, de l’éducation, l’emploi et dans l’amélioration de la desserte en eau et électricité.
9. En ce qui concerne la formation d’une armée et d’une police nationale et républicaines, nous constatons que Votre pouvoir n’a pas été capable de mettre en place une armée, une police et des services de sécurité professionnels et républicains à même de restaurer la paix, de sauvegarder et de préserver I’ intégrité du territoire national.
Quels sont, par exemple, ces critères de sélection pour les nominations des commandants dans l’armée et la police qui font que, dans le Nord et le Sud Kivu ainsi que dans la Province Orientale, il n’y ait que des commandants d’une même obédience ?
Par ailleurs, le silence coupable du gouvernement après la publication par les Nations Unies du » Rapport Mapping », faisant état de crimes de génocides, crimes de guerre et de crimes contre l’humanité (notamment les viols massifs des femmes, des hommes et des enfants érigés en arme de guerre) commis sur le sol congolais nous laisse perplexe en ce que les auteurs nommément cités (Bosco Tanganda) dans ledit rapport n’ont fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire
10. En dépit des proclamations’ sur la « politique de tolérance zéro », qui n’est un slogan creux, nous constatons malheureusement que le pillage des ressources naturelles et autres richesses nationales amplement dénoncé par le « Rapport du Panel des Experts des Nations Unies sur l‘Exploitation illégale et le Pillage des Ressources Naturelles de la RD Congo », la corruption érigée en système de gouvernement, l’opacité dans la procédure de passation des marchés publics, le système de prédation qui gangrène l’économie nationale, le blanchiment d’argent à origine douteuse, l’existence d’un gouvernement parallèle, le mauvais climat des affaires, la paupérisation de la population, le vol, l’incurie ainsi que le clientélisme et le népotisme, conduisent à la régression notoire de la République démocratique du Congo et minent son développement.
Tout ce qui précède démontre à suffisance que l’intérêt privé a pris le pas sur l’intérêt général et que le pays n’est pas géré pour le bien commun.
En définitive, pour avoir échoué sur tous les plans, politique, économique et social, et à cette heure tragique où la Nation est en danger, Votre pouvoir ne mérite plus la confiance du peuple. Ainsi, toutes les forces de l’opposition politique Vous invitent à en tirer toutes les conséquences qui s’imposent tout en Vous demandant de cesser de prendre en otage le processus électoral en cours.
Faute de quoi, Vous en porterez toute la responsabilité devant le peuple et l’histoire. Recevez, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos sincères salutations patriotiques.

Par Le Potentiel
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