(Courrier International 18/08/2011)
Il faut arrêter de traiter l'Afrique comme une victime, estime The East African. L'action des ONG ne fait que maintenir les gouvernements dans un état de dépendance. Et les journalistes étrangers, proches de ces organisations, ne prennent pas la peine de chercher les causes réelles des difficultés que connaît le continent.
La saison des dons a commencé – et pourtant, Noël est encore loin. Les grands organismes d'aide, comme les Nations unies, Oxfam, Save the Children et le Secours islamique britannique, ont lancé des campagnes monumentales pour sauver les milliers de Somaliens qui souffrent de la faim dans leur pays et dans les camps de réfugiés situés dans les pays voisins, comme le Kenya et l'Ethiopie. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies, a demandé 1,6 milliard de dollars d'aide aux donateurs pour la Somalie, et la Banque mondiale a d'ores et déjà réclamé plus de 500 millions de dollars pour les efforts de soutien.
Les appels à l'aide alimentaire ont été accompagnés d'images poignantes. Presque toutes les grandes organisations humanitaires se précipitent dans le camp de réfugiés de Dadaab, au Kenya, pour témoigner de la situation en la photographiant et en la filmant. Nous avons déjà vu ces images par le passé – au milieu des années 1980 par exemple, lorsque Mohamed Amin a filmé la famine en Ethiopie, faisant naître une vague de bienfaisance chez les stars du rock. Depuis, la famine est devenue la chose qu'on évoque le plus au sujet de l'Afrique – et l'une des plus grandes industries.
Les images d'Africains affamés font partie intégrante des campagnes de levée de fonds, tout comme les journalistes. Comme l'a dit un important travailleur humanitaire à Andrew Harding, de la BBC, les Nations unies peuvent bien publier des rapports sans fin, ce n'est que lorsque les images de personnes mourant de faim passeront à la télévision ou en une des journaux que les hommes politiques commenceront à agir.
Le problème, c'est que ce qu'on leur montre ou ce qu'ils lisent n'est pas aussi impartial qu'ils voudraient le croire. Le plus souvent, ces images ou ces faits proviennent du personnel d'organisations humanitaires sur le terrain ou de réalisateurs indépendants. Les agences de presse qui n'ont pas les ressources pour envoyer des reporters sur de lointaines zones de désastre, comme le camp de Dadaab, se lancent dans une alliance contre nature avec les organismes d'aide, au sein de laquelle les porte-parole des organisations humanitaires – portant tee-shirts et casquettes décorés des logos de leurs agences respectives – réalisent des "reportages" par satellite. Et même lorsque des journalistes sont présents sur le terrain, ils se fondent presque exclusivement sur la version du désastre des agences humanitaires. Le récit de la famine en Somalie est par conséquent devenu à la fois prévisible et partial.
La relation confortable qui s'établit entre les travailleurs humanitaires et les journalistes a donc distordu les récits sur l'Afrique. Les journalistes ne vont bien souvent pas au cœur de l'histoire ou ne prennent pas le temps de faire des recherches sur les causes d'une crise particulière. Les Africains ne sont pas très présents dans leurs histoires, sauf en tant que victimes. De façon encore plus alarmante, les agences de presse n'essaient presque jamais de vérifier indépendamment les faits et chiffres disséminés par les agences humanitaires. Or, comme je l'ai découvert quand je travaillais avec une agence des Nations unies, ils sont relativement souvent gonflés ou fondés sur des données erronées.
La tentation d'exagérer l'étendue d'une crise afin de lever plus de fonds est toujours présente, affirme Ahmed Jama, un économiste somalien habitant à Nairobi. Jama pense qu'il est très probable que de nombreuses régions somaliennes ayant été déclarées en situation de sécheresse, comme la région de Lower Shabelle, très fertile – et qui a enregistré des récoltes exceptionnelles l'année dernière –, disposent en réalité de ressources alimentaires suffisantes. Il est également possible que les personnes en souffrance dans ces régions ne soient pas des locaux, mais des migrants originaires de régions touchées par la sécheresse.
Il ajoute qu'il est dans l'intérêt des Nations unies et d'autres agences humanitaires de montrer le pire des scénarios possibles, dans la mesure où cela garantit un flux constant d'aide financière. Jama explique que même si certaines régions de Somalie ont toujours souffert de sécheresses cycliques, l'absence de véritables politiques en faveur de l'agriculture et de l'élevage a permis aux sécheresses de se transformer rapidement en famines, ce qui n'a pas toujours été le cas. Dans les années 1980 par exemple, il raconte que la Somalie assurait 85 % de ses besoins en céréales, grâce aux investissements du gouvernement et de la communauté internationale dans l'agriculture.
Les agences humanitaires rapportent rarement les causes premières d'une famine. Dans le cas de la Somalie, on a tendance à blâmer la guerre civile et les milices comme celle des Chebab, qui empêchaient jusque récemment l'entrée de l'aide humanitaire sur les territoires qu'elle contrôle. Pendant plus de deux décennies, la guerre civile et la famine ont dominé les récits concernant la Somalie. Mais Nuruddin Farah, romancier somalien vivant au Cap, estime que la plupart des commentaires sur la guerre civile en Somalie se basent sur une "fausse hypothèse" – selon laquelle elle serait la conséquence d'un très vieux conflit clanique. C'est une idée qui est malheureusement ancrée dans l'esprit de nombre de Somaliens, qui n'ont aucun souvenir de la Somalie de leur enfance, dans laquelle Mogadiscio, la capitale cosmopolite, "était non seulement l'une des villes les plus belles et les plus colorées du monde, mais aussi incontestablement la plus ancienne d'Afrique subsaharienne, bien plus ancienne que beaucoup de cités médiévales européennes très appréciées".
Selon lui, le véritable conflit en Somalie n'oppose pas tant les clans que les communautés urbaines et rurales, notamment celles ayant migré vers Mogadiscio avant de dévaster la capitale, en 1991, en formant des contingents dirigés par des citadins "armés d'anciennes injustices nouvellement considérées comme des griefs recevables". "Les Somaliens ruraux, par nature phobiques de la ville, écrit-il, la considèrent comme une étrangère, un parasite, et parce qu'elle occupe une place ambiguë dans leurs cœurs et leurs esprits, ils ont progressivement accumulé de l'hostilité envers elle, jusqu'à se résoudre à la détruire."
Ce qui n'est pas non plus mentionné dans les appels aux dons, c'est le fait qu'une grande partie de ces fonds est utilisée pour acheter ou soudoyer des fonctionnaires ou des milices pour permettre le passage des convois d'aide. Dans de nombreux pays, ce ne sont pas les milices, mais les fonctionnaires du gouvernement, qui détournent l'argent de l'aide humanitaire. Il est également bien pratique de passer sous silence le fait qu'une large part des fonds levés est utilisée pour couvrir les frais administratifs et logistiques des organisations humanitaires. En outre, une partie importante des dons ne quitte jamais le pays donateur, y restant sous forme de salaires versés aux experts originaires de ce pays, ou de fonds pour les projets de développement achetés dans ce même pays donateur.
En dépit de ces inefficacités et de ces échecs flagrants, le secteur de l'humanitaire est toujours aussi actif ; en fait, il vole même de succès en succès. Les chiffres montrent que les organisations humanitaires et autres ONG prolifèrent depuis la fin de la guerre froide – au Kenya par exemple, on recense plus de 6 000 ONG locales et internationales, contribuant pour plus de 1 milliard de dollars à l'économie kényane. D'après moi, il existe un lien étroit entre le nombre d'agences humanitaires dans un pays, d'une part, et son niveau de pauvreté d'autre part – plus il y a de donateurs et d'agences humanitaires, moins le pays est susceptible de réduire sensiblement le niveau de pauvreté.
Et voilà pourquoi. Les aides apportées aux gouvernements ont souvent l'effet direct de supprimer l'économie et les initiatives locales. En Somalie par exemple, Maren remarque que la production de nourriture a été supprimée par l'aide alimentaire, les agriculteurs n'ayant pas intérêt à produire leur propre nourriture. L'aide humanitaire rend également les gouvernements moins fiables aux yeux de leurs peuples. En effet, lorsque les tâches du gouvernement sont assumées par les agences humanitaires et les ONG, et lorsque les budgets de ces mêmes gouvernements sont fortement subventionnés – ou entièrement financés – par des donateurs étrangers, les gouvernements sont moins redevables envers leurs propres citoyens et davantage envers leurs donateurs. Il devient également plus facile pour les gouvernements de se plaindre du manque de fonds alloués par les donateurs pour expliquer leur incapacité à mettre en place des programmes de développement. Cela n'aboutit qu'à un jeu vicieux consistant à se rejeter les responsabilités, dans lequel le citoyen ordinaire est toujours perdant.
L'aide des donateurs réduit également la souveraineté d'un pays. L'aide humanitaire est le moyen le plus efficace (et le plus rentable) dont disposent les pays donateurs étrangers pour contrôler d'autres pays sans être accusés de colonialisme. Cela conduit à des situations étranges, dans lesquelles un pays donateur – et, encore plus inquiétant, une organisation humanitaire internationale – définit la politique du gouvernement d'un pays pauvre pendant que le président, les ministres et les secrétaires permanents les regardent faire, impuissants. Les donateurs ont donc tout intérêt à assurer le bon fonctionnement du secteur de l'aide humanitaire. Et ils ne peuvent y parvenir sans leurs agents de terrain, les organisations humanitaires – qui dépendent aussi du financement des donateurs – et les journalistes, qui abandonnent toute prétention de neutralité et d'objectivité en devenant les porte-parole de ces mêmes agences humanitaires. Cependant, ni les donateurs ni les organisations humanitaires ne pourraient jouer leur rôle sans la complicité des gouvernements africains, qui ont incontestablement endossé les rôles de victimes et de mendiants.
Rasna Warah
The East African
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