(Les Afriques 30/08/2011)
« Nous voulons constituer le patronat féminin, qui devra avoir un grand poids dans la balance de l’économie togolaise », déclare Sylvia Adjoa Hundt-Aquereburu, présidente de l’AFCET.
Première femme notaire du Togo, Sylvia Adjoa Hundt-Aquereburu est aujourd’hui à la tête de l’Association des femmes chefs d’entreprise (AFCET), un ensemble de plus de 25 entreprises qui opèrent dans la petite industrie, l’architecture, la prestation de services, le conseil, le commerce, etc. Elle dévoile ici, à Les Afriques, leur univers de femmes chefs d’entreprise, leurs perspectives, et la problématique de leur accès aux crédits et aux garanties dans un Togo en pleine relance économique soutenue par des fonds bilatéraux et multilatéraux.
Les Afriques : Qu’est-ce qu’être femme chef d’entreprise dans l’univers des opérateurs économiques au Togo ?
Sylvia Adjoa Hundt-Aquereburu : L’univers des opérateurs économiques au Togo n’est pas si différent de celui de bon nombre de pays du Sud. Evidemment, il a des points qui lui sont propres et le distinguent des autres. C’est dans cette particularité, dans un Togo en pleine relance économique, avec des réformes tous azimuts, qu’évoluent les femmes chefs d’entreprise. En fait, être femme chef d’entreprise au Togo signifie faire montre d’une grande intrépidité face aux aléas des affaires, de fortitude et de goût du risque, à pouvoir créer sa propre société, avoir à la fois la capacité et les compétences doublées d’un sens pointu des responsabilités pour diriger et aussi assurer au maximum son leadership. C’est aussi être performante et offrir des services de qualité pour émerger dans un rude environnement des affaires.
LA : Pourquoi l’AFCET et quels sont ses objectifs ?
SAHA : En fait, l’AFCET a été créée en 2001 par des femmes qui ont senti l’urgence de s’organiser pour impulser une nouvelle dynamique au monde des affaires au Togo, afin de participer de manière cohérente et efficace aux efforts économiques en faisant jouer le potentiel inouï de femmes entreprenantes, autres que le stéréotype qui leur est collé. La vision générale est de mettre en place une plate-forme pour la promotion et la défense des femmes entrepreneurs au Togo. Mais de façon spécifique, elle axe ses démarches sur le lobbying auprès des autorités politiques et administratives, le partenariat intersectoriel, le renforcement des capacités de développement des membres et la promotion de l’image de la femme chef d’entreprise. Ce regroupement est ouvert aux femmes ayant immatriculé leur entreprise au Registre du commerce et du crédit immobilier.
Vous savez, nous assistons, dans les pays occidentaux, et même asiatiques, à ce qu’on peut appeler « la fin des hommes » ou la « mort du macho ».
LA : Quelles sont les véritables difficultés qui entravent, au Togo, le plein essor des femmes chefs d’entreprise ?
SAHA : D’abord, il faut noter que les femmes ont les mêmes difficultés que les hommes entrepreneurs. Mais je crois que les femmes chefs d’entreprise au Togo sont plus éprouvées par les difficultés à s’installer dans le formel, ce qui explique leur pléthore dans l’économie informelle. Il n’y a rien qui les stimule. Etant donné qu’elles sont des femmes battantes dans tous les secteurs de la vie économique du pays, elles n’hésitent pas à lutter contre vents et marrées pour, d’abord, entreprendre, puis produire de bons résultats. Un autre point est qu’elles sont victimes de toutes les formes de violences dans leurs activités professionnelles, de discrimination en tous genres, et qu’elles accèdent difficilement au crédit, faute de disposer des garanties demandées par les institutions financières.
LA : Cela suffit-il pour motiver la création d’un monde à part, l’Association des femmes chefs d’entreprise ?
SAHA : Cela vaut la peine. En se mettant ensemble, nous ne créons pas en réalité un monde à part. Nous entendons simplement nous unir pour mieux nous défendre sur des aspects spécifiques et catégoriels, mettre en commun nos connaissances et atouts individuels afin d’en faire une force pour un meilleur statut de la femme entrepreneur au Togo. Ce regroupement nous permet d’avoir notre place dans toutes les branches du secteur privé. C’est important pour nous d’être présentes.
LA : Comment se présente pour vous la recherche de financements et de garanties ?
SAHA : Actuellement, trouver des partenaires techniques et financiers constitue un véritable problème. Nous éprouvons déjà des difficultés liées à l’accès au crédit, il en est de même pour les garanties. Il nous faut encore travailler beaucoup sur les produits financiers adaptés à nos entreprises. C’est là un mobile de notre association.
LA : Que fait votre association face à cette problématique et quels résultats avez-vous déjà obtenus ?
SAHA : Nous sommes en discussion avec des institutions financières de la place pour qu’une discrimination positive soit faite pour les femmes, en leur facilitant un peu les choses. Pour le moment, rien n’est encore conclu. Dans cette perspective, l’AFCET jouera le rôle d’intermédiaire. Elle pourra présenter les dossiers des femmes et les aider à la consolidation des garanties. Il y aura à établir les titres de propriété, à évaluer les biens, que ce soit les biens immobiliers ou les fonds de commerce, afin que les dossiers à présenter aux institutions financières soient solides et bancables. Les expertises ne manquent pas. Nous avons parmi nos membres beaucoup de compétences, notamment des consultantes, notaires, avocates, architectes, etc.
LA : Les forces et les faiblesses de l’AFCET, où les situez-vous ?
SAHA : En effet, nous constituons une grande force, surtout que nous sommes la toute première association qui se soit organisée dans le domaine de l’entreprenariat féminin, et nous entretenons un bon partenariat avec les institutions et organisations du secteur privé. Les autorités politiques et administratives ont connaissance de notre existence et nous sommes désormais consultées avant la prise de grandes décisions de la vie économique du Togo ; un pari gagné ! Notre grande faiblesse réside en la non-disponibilité des femmes, qui sont toujours plus occupées par la gestion quotidienne de leurs affaires. Nous en avons conscience et avons besoin de recruter, à cet effet, du personnel spécialisé.
LA : Des espaces d’expression, en avez-vous ?
SAHA : L’AFCET est représentée au sein de plusieurs commissions telles que la Commission nationale OHADA, l’Autorité de régulation des marchés publics, la Cellule de concertation secteur privé-gouvernement, la Commission de relance du secteur privé, la Commission de réflexion sur la vie chère, etc. Elle a plusieurs partenaires avec lesquels les relations sont de type privilégié, notamment le Conseil national du patronat, la Chambre consulaire régionale de l’Uemoa, la Chambre de commerce, l’African Business Roundtable, les organisations de la société civile, la Renaissance africaine des femmes de l’Afrique de l’Ouest (RAFAO), qui est une organisation régionale, etc.
LA : Et quelles sont vos perspectives, au regard de l’environnement dans lequel vous évoluez ?
SAHA : Vous savez, nous assistons, dans les pays occidentaux, et même asiatiques, à ce qu’on peut appeler « la fin des hommes », ou la « mort du macho », et à une révolution globale qui voit non seulement l’avènement d’un pouvoir féminin, mais aussi l’effondrement masculin. La domination masculine n’est pas due à la compétence, elle a tiré sa source simplement d’un état naturel. Bien des études sérieuses ont confirmé que « la femme est le plus prometteur des marchés émergents ». Nous sommes confiantes que cette situation se vivra très prochainement en Afrique et au Togo. L’AFCET sera là pour être représentative de cette situation, mais avant, elle veut servir de levier et de moteur pour les jeunes femmes désireuses de créer une entreprise. Ceci au travers d’une Maison de l’entreprise qui aura pour mission d’accompagner les jeunes femmes dans les aspects juridiques de la création d’entreprise, et aussi de les soutenir dans l’accès au financement. Cela comprendra la constitution d’un fonds de garantie pour les jeunes filles porteuses de projet et qui peinent à trouver des prêts devant leur servir de fonds de démarrage. Nous voulons constituer le patronat féminin, qui devra avoir un grand poids dans la balance de l’économie togolaise.
Entretien réalisé par Olivier Tovor, Lomé
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