(Afrik.com 17/09/2011)
Avec la pacification progressive de la Côte d’Ivoire et la pratique effective du pouvoir par Alhassan Ouattara, et le passage des partisans de Gbagbo dans le camp de l’opposition avec le nouveau parti LIDER de Mamadou Koulibaly, le processus démocratique ivoirien se trouve à la croisée des chemins. Une question s’impose : quelle nouvelle opposition pour la Cote d’Ivoire ? Dans cette contribution, Mohamed Sylla, chercheur ivoirien, montre les limites et les travers de l’approche adoptée (exigence de la libération de Gbagbo comme un préalable) par les partisans du FPI comparativement à celle suivie par le LIDER de Koulibaly. L’auteur plaide pour une nouvelle pratique démocratique basée sur le débat intellectuel et non sur des joutes orales cachant des intérêts parfois inavouables.
Le relativisme qui caractérise nos sociétés modernes affirme que « toute croyance est fragile et que toute interprétation du monde est bonne à être déconstruite ». Dès lors, il induit la multiplication des rapports de forces et des batailles : aucun repère n’est davantage valable qu’un autre, aucun objectif clair ne se dégage, les mots eux-mêmes perdent de leur substance. En Cote d’Ivoire les mots deviennent de plus en plus vides de sens. L’opposition politique cherche à se réorganiser sur les restes du pouvoir déchu de la Refondation. Les positions tranchées entre les Refondateurs, restés fidèles aux idéaux de la refondation, et les Refondus, qui se sont laissés enivrés par l’argent et le pouvoir suscite chez l’observateur un certains nombres de réflexions qu’il convient d’exposer.
Le but de la démarche n’est pas tant de prendre position pour un camp contre l’autre mais plutôt de faire en sorte que les opinions laissent place aux arguments. Le but final de tous étant le même : donner au pouvoir en place une opposition capable de faire avancer la démocratie. Entre le jeu des institutions et celui des rapports des forces, l’opposition, c’est la minorité qui, ne participant pas au pouvoir, entend en contester certaines décisions. Elle est un contre-pouvoir nécessaire. En Côte d’ivoire la notion semble aujourd’hui illusoire pour un FPI qui n’a jamais voulu envisager l’hypothèse d’une défaite électorale.
Winston CHURCHILL disait que « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ». Il nous paraît important de réaffirmer ici, à une époque où l’on assiste à un scepticisme croissant du public à l’égard du politique, à une perte des repères intellectuels , le principe fondamental de la démocratie selon la philosophie des Lumières – et selon la tradition libérale qui en est issue – qui affirme que chacun est habilité à disposer d’un contrôle ultime sur les décisions qui le concernent, directement et indirectement.
Comment définir alors l’opposition ivoirienne nouvelle ? Quelles sont ses caractères ? La réponse du point de vue structurel est simple : elle sera soit réformée et crédible soit elle sera nostalgique et moribonde. Tout sera fonction de la ligne politique adoptée.
Inertie politique ou politique rationnelle ?
L’axe central de la réflexion sera alors de ne subordonner la renaissance de l’opposition ivoirienne à aucun préalable émotionnel et surtout pas à la recherche d’une uniformisation des positions. Prôner l’uniformisation des idées est la meilleure voie vers la division. Ça été là la plus grande erreur du FPI après le 11 Avril et le point d’ancrage de la création de Liberté et Démocratie pour la République.
Après le 11 Avril 2011, l’arrestation de Laurent Gbagbo et sa déportation dans le nord de la Côte d’Ivoire, le FPI s’est retrouvé « couché à même le sol, gisant inerte dans les ruines encore chaudes de la démocratie qu’il a instauré en Côte d’Ivoire ». Dans l’émoi et la consternation qui se comprend sur le moment le FPI s’était alors terré dans la clandestinité, dans la peur. Dès lors l’interrogation, que l’on retrouve à la base de toutes les controverses et qui constitue en quelque sorte un passage obligé pour les analystes de la politique ivoirienne est la question de la libération de Laurent Gbagbo.
Le rapport de force ayant changé, exiger la libération de Gbagbo comme étant une priorité, un préalable à la suite de l’action politique du FPI est contre productif, le FPI n’étant pas, en ce moment, en position d’exiger quoique ce soit. La logique voudrait dans cette hypothèse que l’opposition reste en marge de la construction de la Côte d’Ivoire, tant que Gbagbo ne sera pas libre. Aussi invraisemblable que cela puisse paraitre le parti de la refondation se limite à cela aujourd’hui, naviguant à vue.
D’une approche basée davantage sur des valeurs érodées il faut aller vers une approche plus rationnelle de l’autorité. Cette caractéristique manque fortement aux nouveaux tenants du FPI qui s’enferment dans des discours vides de sens même si les mots sont élégants, l’érosion de leur combat se drape dans l’utilisation de visions à courte vue sans prendre conscience des dangers que cette attitude génère sur l’existence même du parti.
Contrairement au FPI, LIDER a une assise doctrinale fondée sur des idées pour une opposition avec des arguments non pragmatiques et non politiciens. LIDER entend militer pour des politiques plus libérales en promouvant les libertés individuelles et les droits de propriété et en œuvrant à la construction d’une Nation ivoirienne libre, solidaire avec les autres peuples, souveraine et capable de construire sa prospérité en toute responsabilité.
Le grand défi de LIDER sera donc de changer la manière dont se fait la politique : non des joutes politiciennes sur la base de la défense d’intérêts parfois inavouables, mais bien un débat intellectuel fondé sur des visions du monde cohérentes du point de vue doctrinal, un changement des objectifs politiques, un changement des instruments qui permettent de concrétiser et de mettre en mouvement l’action de développement et un changement des cadres institutionnels qui structurent l’action de l’Etat.
Les ivoiriens qui aspirent à autre chose doivent imiter LIDER, et s’engager dans le combat politique fondé sur les idées avec détermination, courage et humilité. La détermination fait référence à la présence d’une vision claire et articulée des changements à mettre en œuvre, le courage au fait d’aller de l’avant malgré les intérêts qui sont remis en cause et l’humilité renvoie à une conception du rôle du politique comme étant celui qui doit être au service de ceux avec qui il s’est engagé.
Mohammed Sylla, Chercheur ivoirien.
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