(Alterinfo 27/09/2011)
Pressé de libérer la place par les Etats-Unis, Paul Biya s’est résolument placé sous le giron de la Chine en vue de résister aux pressions occidentales visant à le dégager d’un pouvoir autocratique qu’il exerce depuis 30 ans. Sous le regard complice de la France dans un premier temps, un regard désormais perplexe du tuteur, qui masque mal sa nervosité en ce qu’il redoute qu’un soutien prolongé à un président en fin de course ne porte atteinte à ses intérêts économiques à long terme. Cruel Dilemme pour la France.
A contre courant des usages diplomatiques, Hillary Clinton s’est directement adressée au peuple camerounais, le 20 mai dernier, dans un message à l’occasion de la célébration du 39me anniversaire de la réalisation de l’unité du Cameroun, ignorant délibérément ses interlocuteurs institutionnels habituels, le ministre des affaires étrangères du Cameroun et surtout le président de la République.
Dans une allusion limpide aux échéances présidentielles, alors même que le Cameroun est dans l’incertitude sur les intentions de Paul Biya, dont le mandat expire le 30 décembre 2011, la secrétaire d’état américaine a exprimé l’espoir de «voir les Camerounais exercer leur droit de vote au plus tard cette année, lors d’une élection présidentielle libre, transparente et crédible».
Elle assure le peuple camerounais «de l’appui des Etats-Unis» afin que les deux peuples s’engagent dans un partenariat durable et fructueux afin de consolider et d’enrichir leurs efforts au profit d’un avenir plus pacifique et plus prospère.
Cette démarche insolite a suscité bon nombre de supputations sur le fait de savoir si les Etats-Unis avaient lâché le président camerounais ou chercheraient simplement à lui adresser un coup de semonce à l’effet de l’inciter à assurer une transition pacifique de son pouvoir.
Le président camerounais n’a pas pipé mot face à cette mauvaise manière. Sa réplique, mutique, est intervenue, d’une manière oblique, deux mois plus tard avec son voyage en Chine, à la tête d’une importante délégation de personnalités nouvellement promues pour la conclusion d’importants accords de coopération avec le principal rival des pays occidentaux en Afrique.
I- La Chine au Cameroun
La Chine est partenaire financier et technologique du Cameroun dans d’importants projets économiques: Le palais polyvalent des sports de 5000 places à Warda (Yaoundé), l’hôpital gynéco-obstétrique de Douala, le projet Back Bône de transmission par fibre optique à Kye-Ossi, le projet de construction du centre pilote des technologies agricoles de Nanga Eboko, les projets de construction des stades de Limbé et de Bafoussam et le projet de construction de la mini-centrale hydro-électrique de Mekin, constituent certaines des principales réalisations de prestige de la Chine au Cameroun.
Il convient d‘ajouter à cela le projet d’adduction d’eau potable de Camwater dans les villes de Douala et Yaoundé, la construction des barrages de Lom Pangar, de Memve’ele, Mekin ainsi que la construction du port en eau profonde de Kribi.
Le Cameroun, qui entend devenir un pays émergent à l’horizon 2035, a ainsi complété son partenariat avec la Chine par la conclusion d’une série d’accord en juillet.
-Accord cadre relatif à l’octroi d’un prêt préférentiel de 433 millions de yuans (près de 31 milliards Fcfa) destinés à la réalisation du projet e-poste
-Echange de lettres portant sur la fourniture d’un lot d’équipements médicaux en faveur de l’hôpital gynéco-obstétrique de Douala pour un montant de 10 millions de yuans (environ 713 millions Fcfa);
-Echange de lettres portant sur la fourniture d’un lot d’équipements médicaux au centre antipaludique sino-camerounais d’un montant de 1,5 million de yuans, soit 107 millions Fcfa.
-Accord de coopération économique et technique portant sur un don sans contrepartie de 50 millions de yuans (environ 3,5 milliards Fcfa)
-Accord de coopération économique d’un montant de 100 millions de yuans (plus de 7 milliards Fcfa),
-Prêt sans intérêt destiné à la réalisation de projets de coopération économique et techniques convenus entre les deux gouvernements.
L’intensification des relations sino-africaines au cours des trente dernières années témoigne de l’intérêt marqué de Pékin non seulement pour les matières premières et les terres arables, mais aussi de son souci de contourner l’Europe par le sud en vue de s’assurer des réserves énergétiques pour les besoins de son industrie. Les investissements directs étrangers chinois ciblent, en priorité, les pays riches en ressources minières dont le Cameroun.
L’Afrique fournit désormais un tiers du pétrole importé à la Chine, deuxième consommateur mondial de pétrole derrière les Etats-Unis. La Chine se procure ses besoins en hydrocarbures du continent africain de l’Angola (premier fournisseur de la Chine devant l’Arabie Saoudite), du Cameroun, du Congo Brazzaville, du Gabon, du Nigeria et du Soudan., ces deux derniers pays étant les plus gros bénéficiaires des investissements directs chinois sur le continent.
A cela s’ajoute un intérêt non négligeable pour d’autres ressources telles que le bois (60% de la production africaine est vendue en Chine) et les matières premières agricoles pour lesquelles elle déploie une grande politique d’acquisition des terres arables dans les pays comme le Zimbabwe, le Congo ou le Cameroun.
L’Afrique abrite un millier d’entreprises chinoises, un chiffre en constante augmentation. Le volume des échanges a été multiplié par dix depuis 2000 pour atteindre 107 milliards de dollars en 2008.
Sur le plan de l’agriculture, le Cameroun a cédé 10 000 hectares de terres agricoles pour une durée de 99 ans à Sino Cam Iko. La multinationale chinoise spécialisée dans la production et la commercialisation de produits agricoles s’est installée sur trois sites dont Ndjoré, un site de 4000 hectares situé à 100 kilomètres de la capitale camerounaise) et Nanga-Eboko (2 000 hectares situés à 170 kilomètres de Yaoundé). A Nanga-Eboko, Sino Cam Iko a planté des cultures expérimentales de fruits et légumes, de maïs ainsi que 200 variétés de riz, tandis que le site de Ndjoré est affecté à la culture du manioc.
Ce dispositif est complété au Zimbabwe par l’acquisition par la société publique China International Water and Electric du droit d’exploiter plus de 100.000 hectares de maïs dans le sud du pays, en République démocratique du Congo où le géant chinois des télécommunications, ZTE International, a acquis 2,8 millions d’hectares de forêt pour y planter des palmiers à huile, enfin en Tanzanie, où une entreprise de semences chinoise, la Chongqing Seed Corp a décidé de s’implanter sur 300 hectares en Tanzanie où le manque de céréales contraste avec l’abondance des terres cultivables.
L’intensification de la présence chinoise au Cameroun a suscité des critiques, déplorant l’asymétrie de la relation sino-camerounaise du fait de la prépondérance chinoise dans le processus de contrôle des projets communs et de la balance déficitaire des échanges au détriment du Cameroun.
Devant la montée en puissance de la Chine dans l’économie camerounaise, le MEDEF français a laissé percer sa mauvaise humeur. Ainsi M. Patrick Lucas, président du comité Afrique du MEDEF International, en visite au Cameroun du 4 au 8 juillet 2011, a ainsi résumé la position du patronat français: «Je ne sais pas jusqu’à quand le contribuable français va continuer à accepter cette situation», feignant d’ignorer que les offres chinoises sont généralement «mieux disantes» que les concurrents français, feignant d’ignorer l’omniprésence économique française au Cameroun.
II – La France au Cameroun ou «la fin du pré-carré français au Cameroun»
Cent trente filiales d’entreprises françaises opèrent au Cameroun et une centaine d’établissements de droit local appartenant à des ressortissants français sont installés sur place. Les principales entreprises phares du CAC 40 français y ont pignon sur rue, se livrant à la mise en valeur, -en coupe réglé?- d’un pays situé à la bordure méridionale du Sahara, à la limite septentrionale de la forêt équatoriale et du bassin du Congo face au Golfe de Guinée. En un mot à l’épicentre d’une zone de turbulences aiguisée par la compétition des puissances pour le contrôle des ressources énergétiques du Golfe de Guinée et les réserves minières de la zone nigérienne.
Le groupe des entreprises françaises opérant au Cameroun comprend Péchiney, Castel, Brasseries et Glacières International, Lafarge, CFAO pour l’industrie, le Groupe Bouygues, SGE, Comsip Cam pour le BTP, Total-Fina-Elf pour le pétrole.
Le groupe Bolloré, pour la gestion des infrastructures portuaires, et le secteur bois, en compagnie sur ce secteur avec les firmes de Thanry et Pasquet, Rougier.
- Sodecoton (capital à 30% détenu par la Compagnie française de développement des fibres textiles) pour le secteur coton
- Le grossiste Agrisol SA dans le secteur de la banane.
- Deux entreprises à participation française Nocusa et Socusam pour le sucre.
Mais le tableau est loin d’être paradisiaque. Pollution, bénéfices économiques aléatoires pour les autochtones, multiples atteintes à l’environnement émaillent le quotidien des entreprises françaises sous les tropiques.
«L’empire noir de Bolloré en Afrique», objet de deux enquêtes de la presse française, au printemps 2011, a valu à leurs auteurs «France inter» et le journal en ligne «Rue 89» des poursuites judicaires pour diffamation. Le groupe Bolloré passe pour être un des gros utilisateurs de l’armé judiciaire come arme de dissasasion conte toute critique fouilée à son égard.
Premier partenaire économique du Cameroun, la France a paru cédé du terrain au profit de la Chine. Certes le port de Douala est toujours géré par le Groupe Bolloré, le voyagiste de Nicolas Sarkozy, la France n’est plus le principal partenaire du Cameroun.
Dans une interview accordée en mai 2007, Georges Remi Belinga, responsable des douanes dans le Littoral parle de «la fin du pré-carré français au Cameroun » et l’explique par la volonté des Africains de trouver des marchés plus favorables d’acquisition de produits de haute technologie au moindre coût.
III- Pour qui sonne le glas ?
La Chine et les Etats-Unis sont sans passif colonial au Cameroun, contrairement à la France, au Royaume Uni, voire même l’Allemagne, et, l’Amérique peut se targuer de bonnes relations nouées avec ce pays à la faveur des «Peace Corps», ce contingent de volontaires civils envoyés sous la présidence de John Kennedy dans le tiers monde à l’époque de la décolonisation.
Redoutant d’être supplantée par les Etats-Unis sur le plan politique, et, par la Chine sur le plan économique, la France, en pleine campagne présidentielle pour la reconduction du mandat de Nicolas Sarkozy a été contrainte à lever le blocus sur le financement des projets économiques.
Sur le plan politique, Nicolas Sarkozy chercherait à compenser l’érosion de la position française au Cameroun par une percée diplomatique dans la région des Grands lacs. Reniant son discours moralisateur et ses principes humanistes, l’homme du discours de Dakar a programmé la visite en France, en septembre 2011, de Paul Kagamé, le président du Rwanda, celui là même qu’il menaçait de traduire devant la justice internationale du fait de sa qualité de «génocidaire».
Cette visite a suscité une tension au sein du gouvernement français, notamment entre Alain Juppé, ministre gaulliste des Affaires étrangères et l’Elysée atlantiste, ainsi que l’incompréhension et la colère dans certains milieux militaires français. L’association France-Turquoise, présidée par le général Lafourcade, considère ainsi que l’accueil de Paul Kagamé en France équivaudrait à “brader l’honneur de ses soldats et à couvrir un tissu de mensonges».
Les jongleries du saltimbanque Nicolas Sarkozy tant en Libye, qu’en Côte d‘Ivoire qu’au Cameroun, de même que le pas de deux de Paul Biya avec la Chine, suffiront-ils à préserver leur position respective?
Que pense de tout cela, particulièrement de la visite de Paul Kagamé en France, Bernard Henri Lévy, le ministre occulte des affaires étrangères françaises, le pourfendeur des dictatures, lui dont l’entreprise familiale de bois a été mentionnée dans la déforestation de l’Afrique?
Pour qui sonne le glas? Du pré carré français au Cameroun? De la mandature Biya? Des deux à la fois, jumeaux pendant un quart de siècle? Qu’il est dur d’être après avoir été?
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Référence :
A propos de Socapalm au Cameroun,
Un petit empire de l’huile de palme
La Société camerounaise de palmeraies occupe 78 529 hectares de surface concédée (près de 110 000 terrains de football), 25 998 hectares de surface exploitée (36 000 terrains de foot),18 265 hectares de plantations villageoises encadrées (25 000 terrains de foot).
Avec ses cinq plantations, la Socapalm a une capacité de production de 132 tonnes/heure, grâce à laquelle elle pèse pour 42% du marché de l’huile brute.
Dans sa note d’information pour son introduction à la Bourse de Douala, début 2009, la société fait état de 1 314 salariés (dont 603 ouvriers et 83 manœuvres), 2 338 «planteurs privés (sous-traitants)» qui livrent leur production à la société; 2 500 à 3 000 ouvriers employés par des sous-traitants pour la récolte et le transport des régimes. Plus de 30 000 personnes «dépendent directement de l’entreprise», dont 15 000 vivent dans les vingt villages répartis dans les plantations. Bref, un petit empire de la palme.
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Zachee
Mardi 27 Septembre 2011
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