(Le Monde 26/09/2011)
Johannesburg (correspondance) - La victoire de Michael Sata est nette, sans appel, et met fin à une période de tensions post-électorales qui menaçait de dégénérer en affrontements. L'opposant a remporté l'élection présidentielle à un tour en Zambie, avec 45 % des voix devant le candidat sortant, Rupiah Banda, qui n'en recueille que 36 % selon les chiffres de la Commission électorale indépendante confirmés par la Cour suprême, vendredi 23 septembre, trois jours de tension et d'attente après un scrutin à risque.
Rarement une victoire d'opposant à une élection présidentielle aura suscité un tel soulagement, et pas seulement pour de bonnes raisons. Car Michael Sata avait laissé planer l'hypothèse de violences si la victoire lui échappait une nouvelle fois. En 2008, lors de la dernière présidentielle, Rupiah Banda ne l'avait emporté qu'avec 35 000 voix d'avance (sur 5,1 millions d'électeurs). Son parti, le Front patriotique (PF) avait dénoncé des fraudes, et des émeutes avaient secoué la Zambie, comme lors de sa défaite lors du scrutin précédent. Allait-on vers un déchaînement plus grave en cas d'une nouvelle défaite de Michael Sata, qui s'appuyait sur les résultats d'un sondages pour prédire sa victoire ?
"NE DIS RIEN"
Les militants du parti de Michael Sata ont d'abord respecté son mot d'ordre "Don't kubeba" ("ne dis rien", signifiant par là qu'il leur fallait accepter tous les cadeaux électoraux du parti au pouvoir, le Mouvement pour la démocratie et le multipartisme (MMD), surtout en nature, feindre de suivre ses consignes de vote, mais garder son bulletin pour l'opposition le jour du scrutin). Si la discipline avait fonctionné, allait-elle mettre au service de violences généralisées, comme cela avait le cas dans d'autres pays africains (au Kenya par exemple) au cours des années écoulées, en cas de défaite
de l'opposition ?
Des forces de sécurité avaient été déployées et préparées dans cette hypothèse. Lors des interminables journées nécessaires au décompte, des incidents ont fait au moins deux morts dans la zone d'extraction du cuivre, la "copper belt" (ceinture du cuivre), fief électoral de "King Cobra", comme les villes, où il a séduit un électorat populaire grâce à des promesses de partager la nouvelle manne du cuivre "dans les 90 jours". En raison de la hausse des cours et de celle de la production zambienne (premier producteur d'Afrique, septième mondial), les recettes à l'export du pays ont augmenté cette année de plus de 40 %, pour atteindre 10,2 milliards de dollars (dont 8,4 milliards pour le cuivre). Face à cette pluie de métal rouge, le gouvernement a tardé à assurer la resdistribution, alors que plus de 60 % des Zambiens vivent avec moins de deux dollars par jour, et que les inégalités entre pauvres et riches sont désormais parmi les plus élevées au monde.
Les groupes miniers et les investisseurs ne partagent pas le point de vue des Zambiens, inquiétés par l'engagement, dans le passé, pris par Michael Sata de rendre obligatoire la possession par des Zambiens de 25 % au minimum du capital de toutes les sociétés opérant dans le pays, rappelant la politique d'indigénisation du Zimbabwe, dont le président Robert Mugabe, est un modèle proclamé de "King Cobra".
LES FRAUDES REDOUTÉES N'ONT PAS EU LIEU
Toutefois, lors de la campagne électorale, Michael Sata a adopté un ton plus mesuré, concentrant ses efforts sur sa victoire. Celle-ci, c'est bon départ, ne peut être remise en question. Les fraudes redoutées par le parti de M. Sata n'ont pas eu lieu. Pendant le dépouillement, une plateforme réunissant les tweets ou les messages de citoyens dispersés dans le pays avait veillé au grain, rassemblant toutes les informations à ce sujet. Des violences circonscrites ont bien éclaté çà et là, mais sans entraîner de dérapages.
Il est impossible de reprocher à Michael Sata de n'avoir voulu qu'à moitié devenir président de la Zambie. Pas quatre fois, l'ex-haut responsable du parti unique recyclé dans l'opposition, devenu
le héraut des pauvres et défavorisés du premier producteur de cuivre africain, a tenté sa chance de toutes ses forces. Lors de la campagne, il traversait les quartiers pauvres juchés sur un hors bord, installé sur une remorque, et promettait aux foules de mettre le cap avec elles vers un monde meilleur.
La Zambie, dont la "copper belt" (ceinture du cuivre), est également riche en cobalt, comme la région frontalière du Katanga, en République démocratique du Congo voisine, a subi de plein fouet une conjonction de facteurs : avec la chute des cours dans les années 1970, et l'effondrement du système de gestion mis au point par le père de l'indépendance, Kenneth Kaunda, l'"humanisme", qui impliquait la nationalisation des mines, le pays s'est enfoncé dans la pauvreté. Le retour au multipartisme a entraîné la défaire de Kenneth Kaunda en 1991. Michael Sata, alors gouverneur de Lusaka, y avait vu sa chance et avait alors rejoint le parti d'opposition en train d'apparaître. Il n'en sera pas le candidat et, ulcéré, finira par aller créer un mouvement dissident, le PF.
M. SATA JOUE SUR LE SENTIMENT ANTI-CHINOIS
Dans la période suivante, l'appareil industriel et minier zambien va être bradé lors de privatisations menées dans la précipitation et l'opacité. Des responsables politiques s'enrichissent, tandis que la Zambie, prospère une décennie plus tôt, s'enfonce dans la pauvreté, touchée de surcroît par la pandémie de sida, avec désormais plus de trois millions de séropositifs dans le pays.
L'arrivée de groupes étrangers dans ce contexte va offrir à Michael Sata l'un de ses thèmes favoris. "King Cobra", comme on le surnomme en Zambie, est un tribun né, qui sait manier les foules.
Il joue sur le sentiment anti-chinois. Les entreprises minières chinoises sont très présentes dans le secteur du cuivre, et elles ont eu beau bénéficier des mêmes avantages (notamment fiscaux) que les autres pour s'installer, cela n'empêche pas le ressentiment populaire de les viser en priorité, alimenté, il est vrai, plusieurs incidents graves où, confrontés à des mouvements de grève violents, des cadres chinois ouvrent le feu sur leurs employés.
Désormais aux commandes du pays, Michael Sata va devoir satisfaire son électorat, tout en préservant les investissements en cours (plus d'une dizaine de milliards en cours) qui doivent permettre à la Zambie de doubler sa production de cuivre dans les quatre prochaines années.
Jean-Philippe Rémy
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