(Courrier International 13/09/2011)
L'avocat français affirme avoir remis à Jacques Chirac et Dominique de Villepin des sacs de billets, venant notamment de Laurent Gbagbo. Mais Abidjan est loin d'en avoir tiré le profit escompté, constate avec aigreur le quotidien Le Nouveau Courrier, favorable à l'ex-président ivoirien.
Dans son interview [au Journal du Dimanche du 11 septembre] où il raconte par le menu les moeurs des dirigeants français en matière de gangstérisme d’Etat, Robert Bourgi évoque les 3 millions de dollars [2,2 millions d'euros] que [l'ancien] président Laurent Gbagbo aurait donnés à Jacques Chirac comme "contribution" à sa campagne électorale [celle de 2002 ; Robert Bourgi affirme avoir remis cette somme en mains propres à Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l'Elysée]. Mais cette demi-révélation n’apprendra rien de fondamental aux personnes les mieux informées à Abidjan, qui ont toutes entendu parler de cette histoire.
Robert Bourgi ne raconte pas comment tout a commencé. Cet avocat, qui a connu Gbagbo lorsqu’ils enseignaient tous les deux à l’université d’Abidjan, au début des années 1980, avait commencé par sensibiliser le président nouvellement élu [en 2000], et qui avait déjà subi une tentative de coup d’Etat venant du Burkina Faso [en septembre 2002]. Lors d’un repas à la résidence présidentielle, il a expliqué, devant des convives médusés, qu’il fallait que Gbagbo soit "généreux" pour avoir la paix. Il a raconté cette pratique franco-africaine "traditionnelle", racontant ce que les autres chefs d’Etat africains, notamment Omar Bongo Ondimba [président du Gabon], faisaient. C’est ainsi que tout a commencé…
En réalité, les révélations de Robert Bourgi n’en sont pas, vues d’Abidjan. Toussaint Alain, conseiller en communication de Laurent Gbagbo pour l’Europe, avait déjà levé le lièvre. Dans l’édition du Figaro du 7 février 2003, il avait mis Villepin en garde, dans le "feu" de Linas-Marcoussis et de la conférence de Kléber [une allusion aux accords de Kléber, signés en janvier 2003 à Linas-Marcoussis; les parties ivoiriennes avaient été invitées près de Paris pour négocier une issue à la guerre qui opposait alors les forces pro-Gbagbo et la rébellion]. "Villepin devrait se méfier. Les dessous des relations franco-ivoiriennes, notamment à l’époque où il était secrétaire général de l’Elysée, ne sont pas toujours très reluisants. Nous sommes un peu étonnés qu’après toutes les largesses dont la Côte d’Ivoire a fait preuve à l’égard de l’Elysée, Monsieur de Villepin se comporte ainsi. Nous aussi, nous avons des dossiers", avait-il lâché. De son côté, Mamadou Koulibaly [l'ancien numéro 2 du régime de Laurent Gbagbo, qui a confirmé la remise de 3 millions de dollars à Dominique de Villepin] avait raconté, lors de rencontres politiques, le "harcèlement" auquel le clan Chirac avait soumis les autorités ivoiriennes de l’époque pour qu’elles paient leur obole françafricaine. Il vient de récidiver dans une déclaration à l’AFP. "J’ai dit au président [Gbagbo] que nous étions un pays pauvre et que nous n’avions pas d’argent à financer des élections d’hommes politiques des pays riches", se souvient-il, rappelant que Robert Bourgi avait évoqué les vertus de la "générosité".
Toutes ces "largesses forcées" n’ont pas été très rentables pour Gbagbo, en tout cas. Cinq mois après la présidentielle de 2002, Jacques Chirac, Dominique de Villepin, Omar Bongo le "Parrain" et [le président burkinabé] Blaise Compaoré – qui envoyait ses sous à l’intérieur de djembés, puisque Villepin a des goûts "culturels" [toujours selon le récit de Robert Bourgi] – parrainaient la rébellion qui devait balafrer la Côte d’Ivoire pendant neuf longues années.
Benjamin Silué
Le Nouveau Courrier
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