(Le Point 24/12/2012)
Depuis dimanche, près de 12 000 biens ayant appartenu au président déchu et à son épouse sont mis en vente dans la banlieue de Tunis.
"C'est une voiture joujou-bijou qu'il n'utilisait qu'en août", déclare Mohamed Hamaied, le responsable pour le ministère des Finances de la gestion des voitures confisquées. Il présente ainsi la Maybach du président tunisien déchu Ben Ali. Cette grosse berline allemande, le sixième et dernier modèle au monde, est exposée et mise en vente à l'Espace Cléopâtre à Gammarth, banlieue chic de Tunis.
Plus de 12 000 articles ayant appartenu à l'ex-président tunisien et à son épouse, qui se sont enfuis de Tunisie le 14 janvier 2011, sont présentés au public durant un mois. Pour le 23 décembre, première journée d'ouverture, le guichet affichait complet malgré un ticket d'entrée à 30 dinars, soit 15 euros. Près de cinq cents personnes s'y sont rendues dans le but de faire des affaires. Tous ces biens ont été récupérés dans le palais de Sidi Dhrif, à Sidi Bou Saïd et appartiennent désormais à l'État Tunisien en vertu du décret-loi du 14 mars 2011. Depuis l'Arabie saoudite, où il a trouvé refuge, Ben Ali a annoncé le 13 janvier 2012 qu'il comptait porter plainte devant le Comité des droits de l'homme de Genève.
"La voiture de James Bond"
Parures de diamants, chaussures griffées des plus grandes marques de luxe, mais aussi des sacs à main, des ceintures, des manteaux en fourrure, des tapis, du mobilier, tous les biens à moins de 5 000 dinars pourront s'acquérir directement. Pour les autres, des ventes aux enchères seront organisées. Les riches acheteurs intéressés par les voitures et les bijoux feront, eux, leur offre sous pli cacheté. "Ils feront l'objet d'une enquête pour vérifier qu'ils n'ont pas de liens directs ou indirects avec les Ben Ali-Trabelsi", justifie Mohamed Hamaied.
Acquise en 2003, la Maybach, une grosse berline allemande offerte par Muammar Kadhafi, est presque unique au monde. Depuis qu'il a pris son poste en février 2012, Mohamed Hamaied a le privilège de pouvoir la conduire, tout comme la Vanquish Aston Martin de Sakhr el-Materi. "La voiture de James Bond", s'amuse un employé du ministère des Finances. Un véhicule "fait main" en Angleterre, comme l'indiquent les deux plaques - chacune d'une valeur de 9 000 euros - posées près de l'assise de ce véhicule spécialement fabriqué pour le gendre de Ben Ali. "C'est une voiture intelligente. Elle peut être commandée à distance. Lorsqu'on l'a récupérée, nous ne pouvions pas l'ouvrir. Il nous arrivait de revenir à la caserne et de voir les vitres baissées, la radio allumée...", s'est rappelé Mohamed Hamaied, lors d'une rencontre en octobre. Ray-Ban vissées sur le nez, costume bleu ciel, il présentait fièrement les quelque 140 véhicules confisqués jusque-là et parqués au sein de la caserne de la garde nationale.
Patrimoine
Ferrari, Lamborghini ou encore Porsche, la quarantaine de voitures de grand luxe récupérées par l'État tunisien ont été retrouvées un peu partout dans le territoire tunisien. "Certaines avaient été larguées dans des marécages. D'autres étaient à moitié enterrées dans des hangars souterrains", explique Mohamed Hamaied. Près de 25 000 euros, selon lui, ont été dépensés pour "retaper" les véhicules endommagés après le 14 janvier 2011. Certains bolides, importés en Tunisie par la famille, n'étaient même pas enregistrés dans le registre des douanes, comme la berline de Nesrine Ben Ali. "Elle a été confisquée à un jeune étudiant saoudien qui vivait à Londres", raconte Mohamed Hamaied. Depuis, toutes appartiennent à l'État tunisien.
Et ce dernier espère retirer 20 millions de dinars, soit 10 millions d'euros, des ventes "pour participer au développement du pays". De son côté, le ministre de la Culture a intimé au gouvernement l'ordre de ne pas céder certains biens. Des tableaux, mais aussi des statuettes en ivoire, en bronze, autant d'objets précieux "considérés comme patrimoine national. Ils ont des valeurs inestimables. Tout cela vient de Ben Ali, cela fait partie de l'histoire, de son époque. Il faut garder des traces pour les générations futures", explique Hafef Douss, la responsable de l'organisation de cette foire.
"La corruption se trouvait partout"
Au total, le ministère des Finances assure avoir déniché plus de 45 000 articles. Des découvertes qui ont valu des condamnations à l'encontre du président déchu. En juin 2011, lui et son épouse Leïla Trabelsi ont ainsi écopé chacun de 35 ans de prison pour détournement de fonds publics. Quinze jours plus tard, une peine de 15 ans et demi de prison a été prononcée pour détention d'armes, de stupéfiants et de pièces archéologiques.
Pendant 23 ans, Ben Ali et son clan, composé de 113 personnes, ont tissé leur toile d'araignée en Tunisie et partout dans le monde à travers des sociétés-écrans ou encore des biens immobiliers. Une toile que s'échine à démêler la commission de confiscation du ministère des Finances tunisien. "Il nous faudra au moins trois ans pour arriver à tout trouver", estime Nejib Hanène, le président de cette commission, créée par le décret-loi du 14 mars 2011. "La corruption se trouvait partout. Tous les ministères ont été touchés."
Quelque 280 titres fonciers, dont le palais de Sidi Dhrif, 140 véhicules, sur un parc estimé à plus de 200 véhicules, et des participations dans 401 sociétés ont pour l'instant été confisqués. "Les personnes qui ont travaillé avec eux ont reçu un avis en avril 2012 leur demandant de déclarer les biens qu'ils auraient mal acquis." Six participations d'entreprise sont en cours de cession. La dernière en date, les 13 % de capital de la Banque de Tunisie, a été rachetée par la Banque fédérative du Crédit mutuel.
Reste à récupérer les avoirs à l'étranger. Selon Nejib Hanène, le clan avait des participations dans plusieurs sociétés, mais aussi des biens immobiliers. "Russie, Chine, pays arabes, Europe, même les pays scandinaves sont touchés, énumère Nejib Hanène. Je ne sais pas dans quel pays ils ne sont pas allés."
Le Point.fr - Publié le 24/12/2012 à 11:01 - Modifié le 24/12/2012 à 13:24
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