(Le Monde 20/12/2012) La guerre en cours, dans l'est de la République démocratique
du Congo (RDC), a des airs tragiquement familiers. Des rebelles qui prennent
Goma (le 20 novembre), puis en sortent sous pression internationale, mais
semblent décidés à y revenir. Une armée dont les bataillons, les munitions et
les rations disparaissent comme par enchantement. Des négociations qui piétinent
et menacent d'être le laboratoire de futurs combats. Et, dans tout l'est du
pays, un nouvel exode de déplacés qui fuient exactions et balles
perdues.
Ce n'est pas parce que la maison Congo est en feu que le pays
s'engage dans la guerre totale. Il y a eu moins d'une centaine de soldats
réguliers tués devant Goma. Avec peu d'armes, peu d'hommes, mais l'appui du
voisin Rwandais, et un talent pour la guerre psychologique, la rébellion du M23
est en train d'asséner au pouvoir congolais des coups de boutoir qui pourraient
menacer son existence.
Les rebelles vont-ils marquer une pause ? Ou, au
contraire, vont-ils parvenir à déclencher le grand incendie final, qui
renverserait le président Joseph Kabila ? Leurs forces autour de Goma rappellent
qu'ils peuvent, à chaque instant, redescendre en ville. Pour la suite, le
mystère plane. Pendant ce temps, le pouvoir congolais semble s'en remettre à son
arme favorite : les mots. Les FARDC (Forces armées de RDC) annoncent des
offensives qui jamais n'arrivent, pour mieux éviter les sujets qui fâchent : le
pot-pourri de détournements et de trahisons, qui rend l'armée plus dangereuse
pour elle-même et son président que pour un mouvement rebelle d'à peine 2 000
hommes. Le M23 est peut-être de taille modeste mais, dans sa maîtrise de la
guerre des signes, il montre des "ambitions assez vastes", selon le spécialiste
du Congo, Jason Stearns, directeur de recherche au Rift Valley Institute (RVI).
"Pour la première fois, le mot de sécession est employé." D'autres sources dans
le mouvement se disent certaines de faire tomber, à terme, Joseph
Kabila.
A quelques nuances près, tout cela semble pourtant familier. A
l'orée des années 1990, le Congo s'appelait Zaïre et entrait dans la crise qui
touchait la région, marquée par l'onde de choc du génocide rwandais de 1994.
Deux ans plus tard, une coalition courant de la Corne de l'Afrique à l'Afrique
orientale en passant par la région des Grands Lacs poussait devant elle une
première rébellion congolaise, pour chasser le maréchal Mobutu.
En 1998,
une nouvelle guerre s'allumait et mettait aux prises, sur le sol congolais, deux
coalitions africaines regroupant près de dix pays, avec une nouvelle rébellion
congolaise. Paix, rébellions, négociations, puis guerre encore : plus qu'un
cycle, c'est une tactique. A chaque stade, la gamme des revendications des
insurgés diminue d'un cran. Les premières phases de guerre, au Congo, étaient le
produit d'une époque et d'une combinaison de facteurs explosifs : graves
questions identitaires, nécessité de mettre fin à la vague génocidaire visant
les Tutsi.
Aujourd'hui, il ne reste qu'une "accumulation de
revendications politiques hétéroclites, au sujet de la démocratie, de l'armée,
des droits de l'homme. Mais ils n'ont pas changé d'objectif. Ils veulent un Etat
faible. Et une zone que le Rwanda puisse contrôler", estime Fabienne Hara, de
l'International Crisis Group.
En s'emparant de Goma, le M23 a marqué un
joli coup, giflant l'armée congolaise et 4 700 casques bleus : à peu près deux
fois l'effectif du M23. Depuis, la mission de l'ONU semble dans le déni de cette
"débâcle", comme la qualifient pourtant plusieurs sources onusiennes. Quant au
pouvoir congolais, il feint de ne pas avoir compris le message. Kinshasa s'est
engagé dans des négociations en espérant signer, comme en 2009, un accord
concédant tout aux insurgés et à leurs parrains des pays voisins contre une
apparence de paix. L'humiliation est dans les termes de ce type d'accord, qui a
permis aux chefs rebelles, dont cinq font l'objet de poursuites ou de sanctions
internationales, d'être intégrés dans l'armée régulière et d'y organiser une
chaîne de commandement parallèle pour mettre en coupe réglée des régions
minières. De l'armée aux groupes armés les plus microscopiques, chacun n'a qu'un
objectif : s'emparer des richesses locales en maltraitant la
population.
Le Congo est moins plongé dans une guerre continentale, comme
dans les années 1990, que perdu dans "l'âge du fratricide", selon l'expression
du philosophe Achille Mbembe. Les grands conflits sont en net reflux à l'échelle
de l'Afrique. Selon Scott Straus, professeur à l'université du Wisconsin, le
nombre de guerres civiles a été "divisé par deux depuis les années 1990". La
seconde bonne nouvelle tient aux facteurs qui expliquent cette chute : "Une
société civile plus forte, la croissance économique continue ou des Etats
renforcés", auxquels s'ajoutent des "changements géopolitiques" marqués par une
diminution du "soutien extérieur des Etats aux mouvements insurrectionnels,
l'appui au multipartisme, l'implication renforcée dans les processus de
médiation après la guerre froide et la montée en puissance de la
Chine".
Au Congo, il manque certains de ces facteurs. Les dernières
élections ont été marquées par la fraude. Les pays voisins continuent leur
"soutien extérieur". Pour briser le cycle des guerres, il faudra plus que de
mauvais accords. "Il faut qu'on arrête de mettre du sparadrap sur la frontière
conclut Fabienne Hara. La tactique des rebelles et du Rwanda, c'est la force. Si
on ne veut pas s'y soumettre, il faut une stratégie pour l'ensemble de la
région. Il faut savoir qui en a réellement
envie."
jpremy@lemonde.fr
LE MONDE | 20.12.2012 à 14h01Par
Jean-Philippe Rémy (Lettre d'Afrique)
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Monde
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