(L'Humanite 24/12/2012)
Alger, envoyé spécial. Si du côté du pouvoir algérien, c’est la satisfaction, côté acteurs de la société civile et politique, critiques et interrogations ne manquent pas que ce soit sur le passé colonial ou sur l’accord avec Renault.
Après la visite de François Hollande, l’Algérie et la France ont-elles mis fin à 50 ans de rapports crispés du fait d’un passé marqué par le poids de la colonisation et d’une guerre qui a laissé de terribles séquelles, des mémoires blessées ? La question fait débat. « François Hollande a reconnu les crimes de la colonisation, et encore le mot «crime » n’a jamais été prononcé, sans s’excuser. Il nous demande de tourner la page. On veut bien. Certes, nous sommes les enfants de l’indépendance algérienne. Mais quand on voit que l’État français rend hommage à Bigeard le tortionnaire, la moindre des choses c’est que nos dirigeants exigent de Hollande de présenter des excuses. Ils ne l’ont pas fait. On n’est donc pas déçus parce qu’on n’est pas dupes. Hollande est venu pour faire des affaires et il a réussi parce qu’il aime son pays », explique Azwaw, 45 ans, employé à la SNCF algérienne, qui a perdu son bras gauche dans l’explosion d’une grenade durant le soulèvement populaire d’octobre 1988 à Alger !
L’argent de l’Algérie attire les occidentaux
Place du 1er mai, à Belcourt, Kader, 30 ans, et ses copains ne sont pas allés place Audin quand Hollande a marqué un temps d’arrêt pour rendre hommage au militant communiste. « C’est bien ce qu’il a fait. Mais il y a ces milliers de jeunes disparus durant la bataille d’Alger, qu’est-ce
qu’il en fait ? En regardant les télés françaises, il a dit qu’il parlerait des harkis. Ok ! Mais, écrivez-le : pas question que les harkis reviennent comme si de rien n’était. Ils ont choisi leur camp. Pour le reste, on est prêt à pardonner. Les enfants de harkis ? C’est comme les enfants des terroristes islamistes, ils n’ont pas à payer pour les crimes de leurs parents. Ils sont les bienvenus » explique-t-il. Rachid, 40 ans, cadre administratif, ne semble pas surpris. La mémoire ? « Hollande a fait un geste. Mais notre malheur, c’est l’argent de l’Algérie qui attire les occidentaux comme la confiture attire les abeilles et les guêpes. Et pour s’offrir un quatrième mandat, Bouteflika, qui a besoin du soutien de la France, est prêt à vendre le Sahara » !
Côté politique, les réactions sont plus contrastées. Sur le contentieux colonial, le chef de l’État français « a eu le discours que tout le monde attendait » a estimé le ministre de l’Intérieur algérien, Dahou Ould Kablia, surnommé « Dok » par certains commentateurs algériens. « C’est un discours qui n’a occulté ni le passé ni l’avenir » a renchéri le chef de la diplomatie algérienne Mourad Medelci ». Hollande a même trouvé grâce auprès de la tonitruante leader du Parti des travailleurs (trotskiste), Louisa Hanoune pour qui François Hollande « a reconnu les méfaits du colonialisme, l’injustice du système colonial. Il les a nommés ».
Et les excuses !
Seuls bémols, Saïd Bouhadja, dirigeant du FLN, qui a estimé que « le peuple algérien s’attendait beaucoup plus à des excuses, pas à des déclarations partielles » ou encore Ahmed Batache, chef du groupe parlementaire du Front des forces socialistes (FFS, socialiste), cité par El Watan assurant « quand le pouvoir français demande à la Turquie de reconnaitre les crimes qu’elle avait commis contre les Arméniens, le peuple algérien est lui aussi dans son droit de demander à la France non seulement de reconnaître ses crimes mais aussi des excuses ». Et pour des raisons diamétralement opposés, les islamistes, surtout leurs sites, ont convoqué - pour les besoins de la cause - le million de martyrs tombés durant la guerre d’indépendance algérienne, font feu de tout bois contre cette visite et le fait qu’Hollande a fait des affaires sans faire « acte de repentance pour les crimes commis par son pays » !
Signe des temps, en dépit de l’accueil populaire réservé à François Hollande, les algériens agitant des drapeaux français se comptaient sur les doigts d’une main. Place Audin, il n’y avait qu’une seule personne brandissant l’emblème français. A Tlemcen, les gens ont refusé les drapeaux de l’ancienne puissance coloniale proposés par des employés de la municipalité. « S’il avait fait des excuses, au lieu de choisir ses mots pour ne pas heurter la droite française, les Algériens n’auraient pas hésité un instant à brandir l’emblème français » affirme Fayçal, militant associatif.
Pour résumer, « ce n’est pas tout à fait une page dans les relations franco-algériennes qui se tourne mais prosaïquement une nouvelle partition musicale qui s’écrit » commente Boubekeur Hamidechi, le chroniqueur du Soir d’Algérie. Pour lui « grâce à cette sortie sur l’impasse mémorielle, il (Hollande) peut justement demander à ses interlocuteurs algériens de passer à autre chose. Celle pour laquelle il a choisi de donner la priorité diplomatique de son voyage : le business ».
Renault, un contrat très politique
Et sur ce plan, notamment concernant la signature de quatre contrats, les interrogations et critiques ne manquent pas. L’accord sur l’installation d’une usine d’assemblage Renault en Algérie est celui qui suscite le plus de questions. Dans un article publié par des quotidiens algériens, l’économiste Abdrehamanne Mebtoul s’est montré plus que réservé. L’usine Renault qui sera construite à Oran revient plus cher que celle installée à Tanger pour un coût d’investissement équivalent, soit un peu plus d’un milliard d’euros. En termes de niveau d’emplois ou de productivité, elle est bien inférieure à sa sœur marocaine. L’usine de Tanger produira à termes 400 000 véhicules de gammes différentes par an dès 2013, alors que celle d’Oran, détenue à 51% par l’État algérien, n’en produira que 70 000 unités d’un seul modèle, avec quasiment un effectif de salariés équivalent. Qui plus est, Renault a obtenu qu’aucun autre constructeur ne s’installe en Algérie durant trois ans. Et le fait que Wolkswagen ait été écarté au profit de Renault fait dire à beaucoup d’algériens que le contrat obtenu par Renault est plus de nature politique que commerciale.
Hassane Zerrouky
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