mercredi 12 décembre 2012

Au Caire, duel à distance entre partisans et opposants de Mohamed Morsi

(Le Monde 12/12/2012)
Dos à dos. Partisans et opposants du président Mohamed Morsi ont défilé, mardi 11 décembre, par dizaines de milliers dans les rues du Caire et de plusieurs grandes villes égyptiennes. Les uns pour rejeter, les autres pour soutenir le projet de Constitution soumis au référendum. Impossible de savoir quel camp a le plus rassemblé, mais au moins cette nouvelle journée de manifestations n'a pas dégénéré en violences majeures, comme le 5 décembre, qui avait vu partisans et détracteurs de l'islamiste Morsi s'affronter à coups de pierres, de cocktails Molotov et d'armes à feu sous les fenêtres du palais présidentiel, causant neuf morts et un millier de blessés. Les deux cortèges ont pris soin de s'éviter. Mais le désaccord reste entier, comme si les deux camps parlaient de deux pays différents.
Rassemblés dans le quartier de Medinet Nasr, tout près du mémorial où Anouar Al-Sadate a été assassiné le 6 octobre 1981, les islamistes formaient une foule disciplinée. "Nous sommes là pour soutenir le président Morsi parce qu'il a été élu démocratiquement en juin", explique Khaled Owais, un homme d'affaires, membre tout à la fois des Frères musulmans et de leur branche politique, le Parti de la justice et de la liberté (PJL). "Il est faux de dire que le pays est coupé en deux. Ceux qui manifestent contre la Constitution et le président sont une petite minorité de gens de l'ancien régime et de chrétiens, qui ne veulent pas d'un islamiste au pouvoir. Pas plus de 10 %. Ils sont soutenus par les Etats-Unis, Israël et l'Arabie saoudite, qui ne veulent pas d'un islamiste élu par le peuple. Même l'Iran finance Hamdin Sabbahi ."
Un complot étranger mené par une clique de revanchards et de coptes donc. C'est également la version servie à la tribune par Mohammed Al-Beltagui, étoile montante de la confrérie et du parti, entre deux chants à la gloire de la Constitution et de la charia. "La Constitution reconnaît les droits des chrétiens et même des juifs, assure M. Owais. Ce n'est pas le problème. Ce qu'ils veulent, c'est le départ de Morsi. La preuve, les manifestants demandaient que le président annule le décret du 22 novembre. Il l'a fait samedi, et pourtant, ils continuent."
CULTURE DE LA PERSÉCUTION ET DE LA PARANOÏA
Bien qu'elle soit, jusqu'à présent, la grande bénéficiaire d'une révolution qu'elle n'a pas lancée, la confrérie a du mal à se défaire de sa culture de la persécution et de la paranoïa. Ses militants sont persuadés que la police a laissé faire les manifestations contre le palais présidentiel et le saccage de ses bureaux dans une vingtaine de ville, dont la capitale. Ils se plaignent de ne pas être aimés par l'Occident alors que Washington s'est montré beaucoup plus conciliant avec M. Morsi que l'opposition égyptienne. Enfin, les Frères musulmans assurent que les neuf victimes du 5 décembre sont toutes des islamistes, comme le martèle la télévision d'Etat, désormais aux ordres du nouveau pouvoir. Alors que plusieurs témoignages, étayés par Human Rights Watch, font état d'une cinquantaine de cas de torture et de détention d'opposants anti-Morsi dans l'enceinte même du palais présidentiel par le service d'ordre de la confrérie.
A 3 kilomètres du rassemblement de Medinet Nasr, les manifestants anti-Morsi se sont installés tout autour du palais présidentiel, dont les abords commencent à ressembler à une place Tahrir-bis, avec graffitis, photos des "martyrs de la révolution", sit-in et chansons. Eux aussi sont persuadés de mener une lutte existentielle, eux aussi revendiquent les morts du 5 décembre. "Les Frères ont volé la révolution", s'insurge Sayed Ghadban, blessé à l'œil pendant les terribles journées de janvier 2011. "Et maintenant, ils veulent finir le travail, imposer une Constitution religieuse et conservatrice avec l'aide de l'armée." Le président Morsi a en effet demandé aux militaires, ménagés dans la nouvelle loi fondamentale – ils auront la maîtrise de leur budget et pourront toujours juger des civils –, d'assurer la protection du palais présidentiel et la sécurité du référendum. Ils le font de manière débonnaire pour l'instant, laissant, mardi, les opposants détruire un mur de protection sans réagir et se posant une nouvelle fois en recours.
Concernant le référendum, l'hétéroclite coalition des opposants n'a pas encore tranché entre le boycottage et le "non". Sayed est pour le boycottage : "De toute façon, ils vont bourrer les urnes, je ne veux pas leur donner de légitimité en votant, même 'non'." Le Club des juges, principale organisation syndicale des magistrats, a annoncé, mardi, qu'il ne superviserait pas la consultation, conduisant la Commission électorale à annoncer le lendemain que le scrutin, initialement prévu sur une seule journée, se tiendrait en deux jours, les 15 et 22 décembre.

LE MONDE
12.12.2012 à 12h02Par Christophe Ayad - Le Caire, envoyé spécial
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