L’ONU condamne l’arrestation du premier ministre, Modibo Diarra, contraint de démissionner. L’intervention militaire dans le nord du pays pourrait être compromise ou différée. Le président malien par intérim a nommé hier soir le médiateur de la République Django Sissoko au poste de premier ministre, selon un décret lu par la télévision publique.
A 4 heures du matin, les traits tirés, le premier ministre malien, Cheikh Modibo Diarra, a annoncé sa démission sur la chaîne nationale. Une annonce faite sous la contrainte: plus tôt dans la nuit, le premier ministre avait été arrêté dans sa résidence à Bamako, la capitale, par des hommes du capitaine Amadou Haya Sanogo, le chef de la junte militaire qui a renversé le président Amadou Toumani Touré en mars dernier.
Ce coup de force, qui, à la différence du précédent putsch, laisse le président dans ses fonctions, pourrait compromettre ou au moins différer l’intervention militaire que les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) essaient de mettre en place avec l’appui de la France et de l’Union européenne. Le Mali s’enfonce dans l’instabilité et, alors que la situation humanitaire des populations du nord du Mali s’aggrave, que les risques d’une contagion régionale s’exacerbent, la possibilité d’une solution militaire à la crise s’éloigne.
Le déroulé des événements de la nuit de lundi à mardi semble établi: alors qu’il se préparait à quitter le pays pour se rendre à Paris à un contrôle médical, Cheikh Modibo Diarra a été arrêté à son domicile par une douzaine de militaires, sous les ordres du capitaine Amadou Haya Sanogo. Mardi, le porte-parole des anciens putschistes, Bakary Mariko, a assuré lors d’une allocution télévisée que le premier ministre avait été écarté en raison d’activités contre l’intérêt de l’Etat. Il a aussi promis que le président Dioncounda Traoré nommerait très vite un nouveau premier ministre.
Depuis des mois, le torchon brûlait entre Cheikh Modibo Diarra, qui plébiscite une intervention extérieure pour restaurer la souveraineté nationale sur les régions du nord aux mains des groupes islamistes, et Amadou Haya Sanogo, ouvertement opposé à cette entreprise militaire. Catherine Ashton, la haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a demandé à l’armée de «cesser d’interférer dans la vie politique».
Début novembre, les pays membres de la Cédéao ont approuvé, avec l’aval de l’Union africaine, l’envoi dans le nord du Mali d’une force militaire internationale de 3300 soldats pour une durée d’un an. L’Union européenne, de son côté, devait s’occuper de l’encadrement et de la formation de l’armée malienne. A cette fin, les ministres des Affaires étrangères des 27 pays de l’UE ont approuvé lundi le «concept de gestion de crise» de la mission militaire européenne, qui prévoyait le déploiement de plus de 200 formateurs européens au cours du premier trimestre 2013. Une mission dont la réalisation pourrait être compromise, même si, mardi, Catherine Ashton refusait cette éventualité.
Contrairement aux promoteurs de la solution militaire, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, invitait les membres du Conseil de sécurité à la plus grande prudence avant de donner leur feu vert. Il craint en effet que l’opération puisse «aggraver la situation humanitaire déjà extrêmement fragile et entraîner de graves violations des droits de l’homme». Il n’est pas le seul à émettre des doutes sur l’efficacité d’une solution militaire. Les Etats-Unis aussi se montraient réticents. «Ils craignent que les chances de réussite de l’opération ne soient compromises par la faiblesse des institutions maliennes. Ce coup d’Etat les confortera dans leurs convictions», explique Frédéric Lejeal, spécialiste de l’Afrique et rédacteur en chef de La Lettre du Continent.
Le nord du Mali est contrôlé depuis le mois de juin par trois groupes islamistes: Al-Qaida au Maghreb islamiste (AQMI), le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et Ansar Eddine. Ils prônent l’application stricte de la charia et ont revendiqué la destruction d’une partie des tombeaux de Tombouctou, inscrits au patrimoine de l’humanité.
Sous la menace d’une intervention militaire, AQMI a entrepris de se réorganiser: promotion de nouveaux chefs de guerre et éviction de Mokhtar Belmokhtar, qui a créé son propre groupe dissident, basé à Gao et allié au Mujao. Les Touareg d’Ansar Eddine se disent prêts à négocier sous certaines conditions. Un quatrième groupe, indépendantiste, et désormais opposé aux islamistes, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), a proposé son aide, à condition qu’il soit pleinement associé à l’entreprise.
«Une intervention militaire sans prendre appui sur ceux qui connaissent le mieux le terrain, les Touareg, serait vouée à l’échec», explique Philippe Hugon, directeur de recherches à l’IRIS: «Le terrain est vaste et accidenté. Les troupes africaines sont peu aguerries et en nombre insuffisant. Seule une alliance avec les Touareg du MNLA et d’Ansar Eddine permettrait de chasser les terroristes d’AQMI et du Mujao, pour la plupart étrangers au Mali. Mais cela implique de privilégier la négociation avant l’intervention.»
En rappelant son pouvoir de nuisance, le capitaine Sanogo a sapé du même coup les institutions maliennes. «Le président Dioncounda Traoré est lui aussi en position de faiblesse face aux militaires. Le pouvoir de négociation du gouvernement malien se retrouve aujourd’hui considérablement affecté», déplore Philippe Hugon. Une situation que regrettent aussi les Maliens, à l’intérieur du territoire ou réfugiés dans les pays voisins, qui voient les perspectives s’assombrir chaque jour davantage.
Boris Mabillard
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