(La dépèche diplomatique 21/07/2011)
Il y a, au Gabon, un changement perceptible. Si Bongo-fils a pris la suite de Bongo-père - ce qui n’était pas la meilleure des choses, quelle que soit la compétence du fils - sans que cette dévolution du pouvoir (même avec l’onction d’une élection, nul ne peut nier que, d’emblée, les dés étaient pipés et que c’était bien d’une dévolution qu’il s’agissait) ait provoqué de tensions irréversibles, il faut bien reconnaître que l’art et la manière de gouverner le pays a changé.
Moins de politique, plus d’économie ; moins de Bongo à la « une » des médias gabonais ; moins de Gabon sur la scène continentale et internationale. Le père était incontournable, éprouvant une réelle jouissance à mettre le nez dans toutes les affaires de Libreville, du Gabon, de l’Afrique et du monde ; le fils est bien plus dans la retenue. Bongo-père était le champion d’Afrique des entretiens avec la presse internationale ; en près de deux années passées au pouvoir les interviews de Bongo-fils sont des denrées rares. Question de tempérament. Certes. Mais c’est aussi une bonne perception de ce qu’il fallait faire dans un contexte particulièrement délicat.
Ali Bongo Ondimba a été élu pour un mandat de sept ans dans des conditions « acrobatiques ». Libération, qui avait fait la « une » avec son élection, titrait dans son édition du vendredi 4 septembre 2009 : « Bongo. Tel père, tel fils. Après la proclamation de la douteuse élection d’Ali Bongo, des émeutes ont éclaté au Gabon, notamment contre les intérêts de la France, jugée partiale ». Deux ans plus tard, le climat politique et social s’est apaisé et chacun, désormais, semble faire « avec ». « Avec » Bongo-fils et « avec » un Gabon confronté à une conjoncture excessivement difficile. De quoi calmer les ardeurs de ceux qui pensaient que le cuisinier avait changé mais que la mangeoire serait la même.
Etant le fils de son père (même si c’est un sujet de polémique au Gabon) - d’un père dont la réputation était particulièrement sulfureuse sur tous les plans - et ayant accédé à la présidence de la présidence de la République à la suite d’une « élection douteuse » (élection à un tour et avec 41,7 % des voix pour Bongo !), confronté, d’emblée, à une contestation d’autant plus forte que beaucoup voyaient la main de la France dans ce tour de passe-passe, Ali a choisi le repli stratégique plutôt que l’offensive. Avec un septennat en poche, ses conseillers (notamment étrangers) savaient qu’il avait du temps devant lui pour reconquérir le terrain même s’il lui fallait, d’emblée, frapper les imaginations. Le temps du « tsunali » ne durera pas. Il fallait rompre avec la tentation du changement pour le changement et entreprendre de convaincre par l’exemple plutôt que de séduire par la parole.
Le président de la République du Gabon, par ailleurs conscient qu’il était le plus jeune dans le grade le plus élevé en Afrique centrale, a joué un jeu diplomatique d’autant plus soft que l’héritage laissé par son père était régionalement désastreux. Le Gabon n’est plus, aujourd’hui, un pôle d’intérêt majeur en Afrique centrale ; la Guinée équatoriale (bête noire de Ali quand il était ministre de la Défense, du fait du contentieux territorial sur les îlots de la baie de Corisco), qui préside l’Union africaine et vient d’accueillir le dernier sommet, polarise l’attention de tous les investisseurs et de tous les « prédateurs ». C’est d’ailleurs un équato-guinéen qui dirige désormais la BEAC après l’éviction de la direction gabonaise pour mauvaise gestion.
En retrait sur la scène politique nationale et la scène diplomatique continentale, Ali Bongo concentre tous ses efforts, laisse-t-on entendre à Libreville, sur la « rénovation » de l’administration gabonaise et de l’économie nationale. Dans l’entourage du chef de l’Etat, on évoque le nécessaire « changement de mentalité » et la fin de « l’argent facile ». On souligne, dans le même temps, que ce sont là deux tâches particulièrement ardues.
Quand on a connu le Gabon de Bongo-père, on imagine sans mal que Bongo-fils est confronté à bien des résistances pour éradiquer les fonctionnaires fantômes, les fonctionnaires absents, les fonctionnaires incompétents et tous les autres (selon un audit officiel, 5.683 agents seraient en situation « irrégulière »), les dépenses ostentatoires ou injustifiées des ministres et des patrons du secteur public, la corruption et la prévarication qui étaient le fondement du « système Bongo ». « La mobilisation des bras et des volontés » : qui se souvient que c’étaient les mots d’Albert-Bernard Bongo, le 1er janvier 1968, lors de son premier discours de Nouvel An, lorsqu’il avait entrepris d’expliquer aux Gabonais ce qu’était « l’esprit de la Rénovation ». Il venait, lui aussi, d’accéder au pouvoir dans un contexte délicat : il était « l’homme des Français », le bras droit du président Léon Mba (décédé le mardi 28 novembre 1967), il venait d’avoir 32 ans… !
La première étape de la « Rénovation » sera la création du Parti démocratique gabonais (PDG) présenté comme le cadre de l’action politique dont « la mission première est de créer et de maintenir sur le territoire gabonais un climat politique, économique et social propice à l’épanouissement équilibré et harmonieux de la société gabonaise et d’y établir la paix et la démocratie, fondées sur le dialogue, la tolérance et la justice ». En fait, le PDG servira, pendant plus de quatre décennies, de « pépinière » : il sera l’accès au monde des affaires politiques, diplomatiques, économiques, sociales, culturelles ; et au monde des « affaires » tout court…
Sous Bongo-père, le système se résumait à un homme ; tout passait par lui et il décidait de tout. Il était le Gabon. Enfin, il en était persuadé et ses interlocuteurs, gabonais ou étrangers, ne faisaient rien pour l’en dissuader. Un territoire plutôt homogène, des ressources pétrolières significatives, une population réduite (nettement moins de 1 million d’habitants), une connexion quasi exclusive avec Paris (pour ne pas dire l’Elysée) vont caractériser le Gabon de Bongo-père. A compter des années 1990, cette image « d’émirat du golfe de Guinée » va être rudement remise en question. Et la dernière décennie de Bongo-père sera celle de l’agonie d’un pays immensément riche ; le délabrement a remplacé l’opulence passée, y compris en ressources humaines.
Ali se trouve être un héritier sans héritage ; après, il est vrai, que la famille Bongo l’ait fortement dilapidé, profitant pleinement des dérives du système mis en place par Bongo-père. Devenu président de la République, Ali a pu prendre conscience des dégâts provoqués par ce système et s’est attelé, prioritairement, a en corriger les aspects les plus évidents (notamment une administration sur-dimensionnée et passablement incompétente qui n’était qu’un gouffre budgétaire même si elle était un moyen de redistribution permettant une certaine paix politique et sociale). Bongo-père pensait pouvoir vivre sur ses acquis ; il n’en avait pas ou ils étaient obsolètes (dans une nature, il est vrai, particulièrement hostile) ; pour Bongo-fils, la sphère économique, aujourd’hui, l’emporte sur la sphère politique. En espérant que, dans le même temps, la sphère sociale n’explose pas sous le triple effet de la rigueur qui lui est infligée, d’une conjoncture mondiale fortement détériorée et d’une exaspération exacerbée.
Des projets économiques et des projets d’infrastructures, du volontarisme, des contrats, des entreprises et des entrepreneurs… On se croirait revenu aux années 1960-1980 quand tout était encore à faire et que l’on pensait que tout était faisable. Un chemin de fer, des barrages hydro-électriques, des ports et des aéroports, une compagnie aérienne, des ranchs et des complexes agro-industriels, des télécommunications, une station de radio mondiale, des mines et des gisements de pétrole onshore et offshore, une raffinerie etc. On ne peut pas dire que Bongo-père n’ait rien fait ; sauf que de tout cela il ne reste pas grand-chose ; parfois même rien.
Jean-Pierre BEJOT
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