Les commentaires vont bon train depuis l'attaque, le 19 juillet, contre le président de la Guinée, Alpha Condé. Dans son fief à Kankan, la radio locale Milo relaie des avis généralement teintés de méfiance interethnique.
Assis derrière la vitre du studio de Radio Milo, Alpha Oumar Koïta s’apprête à lancer le journal de 21h00 avec un porte-badge «Alpha Condé» autour du cou. Dehors, l’orage gronde et la pluie tombe à verse. Les quatre minarets de la grande mosquée de Kankan, ville située en Haute-Guinée, émergent au-dessus des manguiers, illuminés par des éclairs. Le reportage proposé ce matin sur les faibles précipitations saisonnières attendra. Le micro-trottoir réalisé dans la journée sur l’attaque de la résidence du président Alpha Condé à Conakry, dans la nuit du 18 au 19 juillet, est en revanche toujours d’actualité.
Des dizaines de militaires ont été arrêtés, parmi lesquels l’ancien chef d’état-major des armées, proche de l’ancien président de la transition Sékouba Konaté. Le ministre de l’Administration du Territoire a déclaré le 22 juillet à la télévision qu’il «n’y aura pas de règlements de compte ni de chasse aux sorcières».
Le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, opposition), Cellou Dalein Diallo, a eu beau condamner l’attaque depuis l’étranger, certains membres de sa famille ont été arrêtés et les locaux du journal d’opposition Le Défi ont été saccagés par des inconnus. Le numéro 2 du parti, Oury Bah, reste introuvable. L’UFDG avait appelé cinq jours plus tôt à une «mobilisation totale» de ses militants et sympathisants pour stopper les «dérives dictatoriales»
Gros nuages sur la démocratie guinéenne
Aucune violence n’a été constatée. Mais, chacun prend ses précautions. En partance pour Conakry, le responsable local du Rassemblement pour le peuple de Guinée (RPP, parti présidentiel), Oumar Kaba, a préféré ne pas voyager de nuit «vu le contexte actuel». De retour de la capitale, le chauffeur d’une ONG européenne a constaté qu’un nombre inhabituel de Peuls quittaient la ville en direction de la Moyenne-Guinée. «Ils savent qu’ils ne sont pas propres», rit l’employé selon qui les Peuls, «compliqués», sont derrière l’attaque qui a visé le président.
A l’antenne de Radio Milo, les étudiants de l’université, interrogés pour le micro-trottoir, font preuve de retenue sur le mode «laissons la justice faire son travail». Les réactions virulentes de militants du RPG seront diffusées le lendemain dans le journal en malinké, une langue parlée en Guinée.
Comme toute la Haute-Guinée, majoritairement peuplée de Malinkés, Kankan a massivement voté pour l’enfant du pays Alpha Condé au cours de la première élection présidentielle démocratique guinéenne en novembre 2010. Une élection marquée, toutefois, par des clivages ethniques.
Le visage du président est partout dans la ville. Sur les pagnes, à l'arrière des taxis-motos et dans les rares cybercafés, alimentés par des générateurs d’électricité. Cinquante-trois ans après son indépendance la quasi-totalité de la Guinée est toujours plongée dans le noir.
Méfiance tous azimuts
Réalisateur du micro-trottoir, Abdoulaye Kaba a tendu son micro aux commerçants peuls sans résultat. «Ce serait très intéressant d’avoir leur avis. Mais, ils ne veulent pas parler», regrette le frère du propriétaire de la radio installé en Allemagne. Malgré quelques ratés, comme la diffusion de chansons pro-Condé pendant la campagne électorale ou des commentaires mal choisis de ses journalistes amateurs, Radio Milo s’efforce d’offrir une information impartiale.
«Je n’ai pas voté au premier tour compte tenu de ma fonction», révèle Saliou Touré, rédacteur en chef de l’autoproclamée première radio privée de l’intérieur du pays, qui porte le nom du fleuve local. Ce professeur de géographie au lycée déplore «le manque de respect de l’éthique et de la déontologie en Guinée» faute de formations appropriées. Mais il tient à rassurer sur la liberté dont ils jouissent:
«On a une totale liberté d’information en évoquant quelques dossiers gênants pour les autorités locales sortis par la radio.»
Si les commerçants peuls fuient les micros, certains évoquent la situation en privée. Ibrahim Baldé tient en centre-ville un minuscule et obscur restaurant dont les services sanitaires ne feraient qu’une bouchée. Quand des violences ont ciblé sa communauté l’année dernière, la plupart des commerçants de Kankan ont fermé boutique et ont rejoint momentanément le Fouta Djalon, craignant la victoire de leur candidat. «Je suis resté, car je savais que Diallo n’allait pas gagner», raconte-t-il dans un mauvais français, en découpant lentement une pièce de viande visitée par les mouches.
Même s’il affirme ne pas rencontrer de problèmes dans ce bastion du pouvoir, il souligne que «les gens du Fouta sont vus comme des étrangers par la population locale». Son opinion sur l’arrestation de membres de la famille de Cellou Dalein Diallo en dit long sur la méfiance qui règne entre les communautés:
«S’ils s’en prennent à un leader de l’UFDG c’est comme s’ils s’en prenaient aux Peuls», commente-t-il.
Après un dernier rappel sur un incendie causé par une mauvaise manipulation d’un générateur, le journal de la Radio Milo s’achève sur les mots pleins d’optimisme du présentateur:
«Chaque jour qui s’annonce est une nouvelle vie.»
Fabien Offner
© SlateAfrique
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