(Courrier International 19/07/2011)
Au cours de sa minitournée africaine, le Premier ministre français a affirmé que la Françafrique n'avait plus "aucune réalité dans le monde d'aujourd'hui". Un journaliste béninois se montre sceptique.
Mensonges d'Etat. Mensonges politiques. Mensonges diplomatiques. Mensonges. C'est ce qu'il s'est empressé au lendemain de la célébration de la fête nationale française de venir servir aux Africains. Le Premier ministre français a pourtant, par les destinations choisies de sa tournée africaine – à une relative exception, le Ghana –, laissé entrevoir la contradiction. Entre le discours mirifique exhibé aux dirigeants complices et aux peuples embobinés et les enjeux inavoués d'un déplacement calculé.
Côte d'Ivoire, Ghana, Gabon. Entendez cacao, pétrole, bois... Les destinations choisies sont celles de l'intéressement. Avant d'être celle d'amis et de partenaires politiques. Je dirai même celle de complices politiques. Les relations entre la France et l'Afrique ont mis en exergue ces dernières années deux au moins des Etats où le Premier ministre François Fillon a décidé de se rendre. La longue crise militaro-politique qui a déstabilisé la Côte d'Ivoire d'une part et la succession au Gabon d'Ali Bongo à son père d'autre part ont prouvé, autant qu'il eut pu en être encore besoin, que les rémanences de la Françafrique sont là et bien là. Quant au Ghana, ancienne colonie d'une Grande-Bretagne de plus en plus désintéressée, coincé entre Etats francophones, en passe de devenir le nouvel eldorado pétrolier du golfe de Guinée, il y a des raisons plus qu'évidentes pour qu'il entre en ligne de compte des appétits français en Afrique.
A la recherche des motivations particulières, chaque destination est en effet bien pourvue. En Côte d'Ivoire, Alassane Dramane Ouattara doit dans une large mesure son accession au pouvoir à l'action décisive de l'opération française Licorne [avril 2011]. Sans cela, rien ne permet de dire qu'à l'heure actuelle l'affreux bain de sang, qui faisait de la terre de Félix Houphouët-Boigny brasiers et carnages, aurait déjà pris fin. La visite du Premier ministre français, quelques mois seulement après l'investiture en grande pompe, porte au moins deux messages.
Le premier, à l'endroit des derniers sceptiques qui se refusent à reconnaître en la personne du nouveau président ivoirien le dépositaire légitime de la souveraineté dévolue par le peuple ivoirien. Concrètement, c'est la réaffirmation du soutien de la France à celui qu'il a porté à bout de bras, de son exil parisien jusqu'à son accession au pouvoir. Elle se traduit par une aide budgétaire de quelques millions d'euros que la France aura tôt fait de récupérer dès que les affaires auront recommencé à tourner entre les deux capitales. Le second message était peut-être tout autant nécessaire que le premier. Il est adressé à Alassane Dramane Ouattara en personne. Il rappelle sans aucun doute à l'homme sa redevance envers la mère patrie. Ce que doit Ouattara à la France, il le devra payer. Et nous savons tous comment.
Deuxième étape du séjour, le Ghana. Nation ouest-africaine réputée pour la qualité de sa gouvernance. Pas une étape obligée, mais pourquoi ne pas jeter un peu de poudre aux yeux de ces Africains tatillons ? Montrer patte blanche en s'affichant sur la photo de famille d'un régime exemplaire est toujours une bonne chose. D'autant plus que le pays en question a depuis quelques années découvert du pétrole sur ses côtes. Des gisements importants qui ne demandent qu'à être exploités. Le président John Atta Mills saura peut-être se souvenir en son temps des grandes puissances occidentales qui lui ont décerné, même si c'est après d'autres, le satisfecit de la bonne gouvernance. Et composer avec elles.
Troisième étape du parcours, plus qu'évidente celle-là : le Gabon. Terre du "parrain" de vénérée mémoire, Omar Bongo Ondimba. Depuis l'accession d'Ali Ben, son fils et successeur à la magistrature suprême, les voyages officiels et officieux se sont plus souvent effectués dans l'autre sens. Fillon vient corriger le tir. Il ne l'a d'ailleurs pas caché. Le partenariat stratégique entre les deux pays est l'un des plus robustes en Afrique. Chacun ayant besoin de l'autre. La France pour le pétrole, le bois et d'autres ressources naturelles qu'elle exploite à monnaie de singe au Gabon. Les autorités gabonaises pour les privilèges et la protection que leur accorde une France qui se bat pour leur enrichissement perpétuel et leur impunité au pays dit des droits de l'homme. Si cela vous étonne, c'est que vous faites semblant. La Françafrique, cette ignominie de l'Histoire, a commencé à avoir cause liée avec l'Afrique à partir du pays de l'okoumé [essence d'arbre endémique du Gabon].
En somme une tournée pour consolider les bases des intérêts français en Afrique et pour développer de nouveaux partenariats stratégiques. Après, ils viendront nous chanter, Nicolas Sarkozy en tête, que les pratiques que l'on a désignées sous le vocable de la Françafrique sont celles d'un autre temps. Révolu. Vous le croirez si vous voulez. Pas moi.
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