(Le Monde 28/07/2011)
Le président Alpha Condé est-il un démocrate sincère ou alors un autocrate en puissance, un de plus sur un continent qui n'en a que trop ? Neuf mois après l'élection à la présidence de la Guinée-Conakry de "l'ancien opposant historique", selon la formule consacrée, plusieurs indicateurs, déjà menaçants, viennent de passer au rouge : atteintes à la liberté d'expression, absence de dialogue avec l'opposition, tergiversations sur le calendrier électoral...
C'est une déception au-delà des frontières de la Guinée. On avait espéré que ce pays, après avoir concentré tant de malheurs, serait à la pointe d'un certain renouveau politique en Afrique de l'Ouest.
Certes, cet homme de 73 ans qui a passé plus de temps en exil en France que dans son propre pays, bénéficie de circonstances atténuantes. Il est arrivé au pouvoir dans un paysage politique chaotique, sur fond d'économie exsangue.
L'impéritie et la corruption de ses gouvernants successifs ont mis à genoux une Guinée qualifiée de "scandale géologique", tant son sous-sol regorge de richesses. A Conakry, capitale verdoyante d'un pays qui est aussi le "château d'eau de l'Afrique de l'Ouest", l'eau courante est un luxe. Et l'électricité, intermittente. M. Condé est le premier président élu démocratiquement depuis que la Guinée a rompu le lien colonial avec la France, en 1958. Avant lui, il y eut la folie sanguinaire de Sékou Touré (1958-1984), puis l'agonie du régime autocratique et népotique de Lansana Conté. Fin 2008, ce fut la parenthèse Dadis Camara, caricature d'officier qui s'enivre de pouvoir politique ; enfin, la transition démocratique assurée par le général Sékouba Konaté, et, en 2010, l'élection d'Alpha Condé - qui laissait entrevoir que la malédiction guinéenne était peut-être un mythe.
L'homme tarde à combler les espoirs placés en lui. Le ton de sa campagne avait déjà inquiété : un discours ethniciste qui attisait chez les Malinké, Soussous et autres forestiers le sentiment anti-Peuls, la puissante communauté de son adversaire politique, Cellou Dalein Diallo. En Guinée comme ailleurs, ces arguments-là peuvent être explosifs.
Depuis son installation à la présidence, les attaques contre l'opposition - y compris physiques - n'ont pas cessé, alimentées par la perspective d'élections législatives qu'Alpha Condé, sous la pression internationale, a promises pour la fin de l'année mais qu'il chercherait à retarder.
Dernièrement, c'est sur les médias qu'il concentre ses foudres. Victime d'une mystérieuse tentative d'assassinat, il y a dix jours, par un commando armé, il vient d'interdire toute information sur le sujet. Que veut-il cacher ? Avant la presse, il avait saisi l'occasion de l'attaque contre son domicile pour s'en prendre à l'armée. L'opposition, elle, est l'objet d'arrestations ciblées.
C'est grave, parce que l'élection de M. Condé était un message pour toute l'Afrique : même dans un pays martyr, il n'y a pas de fatalité du malheur. A Conakry, ils sont nombreux à vouloir encore le croire.
Mis à jour le 28.07.11
Article paru dans l'édition du 29.07.11
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