(Le Figaro 27/07/2011)
REPORTAGE - Hospitalisé dans la cité balnéaire qu'il a fait édifier, le président égyptien déchu est coupé du reste du monde.
Entre les montagnes brunes du Sinaï et les eaux turquoise de la mer Rouge, Charm el-Cheikh clignote à la nuit tombée comme un petit Las Vegas. Les touristes ne sont pas aussi nombreux que d'habitude cette année, mais les clients sont revenus peu à peu ces dernières semaines, attirés par les prix cassés, la garantie d'un soleil sans nuages et d'une mer chaude comme un bouillon. Dans les centres commerciaux aux décors pseudo-pharaoniques, les étrangers en short déambulent, rouges de coups de soleil, russes ou anglais, français ou italiens.
Mais le maître des lieux, celui qui plus que tout autre présida au développement de ce petit village de Bédouins perdu à la pointe sud de la péninsule désertique du Sinaï, et à sa transformation en une destination touristique internationale, est le seul à ne pas profiter de sa villégiature.
Hosni Moubarak, le président égyptien déchu, est reclus depuis la mi-avril dans une aile de l'hôpital international de Charm el-Cheikh, sous haute surveillance médicale, mais aussi policière. Une dizaine de camions de police sont garés devant l'entrée du bâtiment, coiffée d'une pyramide d'acier qui rappelle celles des pharaons, et des escouades de forces antiémeutes montent la garde derrière des barrières métalliques.
À l'article de la mort
Relégué en résidence surveillée dans sa villa de Charm el-Cheikh au lendemain de la révolution du Caire, en février dernier, Moubarak a depuis été victime d'une attaque cardiaque et hospitalisé à la mi-avril. Tombé dans le coma depuis la mi-juillet, il serait aujourd'hui à l'agonie. Du moins selon ses avocats. Ses opposants, qui réclament que l'ancien président soit jugé, dénoncent une maladie diplomatique.
Son mari à l'article de la mort, ses deux fils Gamal et Alaa emprisonnés au pénitencier de Tora, près du Caire, Suzanne Moubarak reste seule à occuper la luxueuse villa où l'ancien président passait depuis des années déjà le plus clair de son temps.
Si son prédécesseur Anouar el-Sadate reste celui qui a rendu le Sinaï à l'Égypte après le traité de paix avec Israël de 1979, c'est Moubarak qui en assure le développement fulgurant. Dès la fin des années 1980, alors que les Israéliens n'ont pas encore évacué l'ensemble de la péninsule (ils ne renonceront à la petite enclave de Taba qu'en 1989), le régime Moubarak s'affaire, dans tous les sens du terme, à faire de cette côte désertique une destination touristique de réputation mondiale. L'ancienne base stratégique qui verrouille le détroit de Tiran, et l'entrée du golfe d'Aqaba, devient, grâce à ses plages immenses et à ses récifs coralliens prisés des plongeurs, le joyau du règne de Moubarak.
Avec son aéroport international, ses 300 hôtels et ses casinos aux façades de faux temples égyptiens, la ville est aujourd'hui un mélange de luxe et de vulgarité, de vacances au soleil et d'affairisme débridé, sur l'une des plus belles côtes du monde.
«Charm», comme la surnomment les Égyptiens, est la ville rêvée pour un autocrate. Avec ses avenues rectilignes bordées de palmiers, ses hôtels protégés par des murs, ce petit rêve d'urbaniste est l'exact opposé de l'immense agglomération du Caire, chaotique, populeuse, polluée et frondeuse. L'endroit est facile à contrôler : seuls un aéroport et une route y mènent. Les attentats qui ont ensanglanté Charm el-Cheikh en 2005 ont conduit à renforcer la sécurité, et les points de contrôle de la police gardent encore tous les carrefours de la ville.
La ville n'a d'ailleurs pas vraiment connu de révolution comme le reste de l'Égypte depuis février dernier. «Ici on ne dit pas de mal de Moubarak», explique un chauffeur de maître qui évoque tous les chefs d'État étrangers invités par le régime qu'il conduisait dans sa limousine. «Tout le monde fait des erreurs, mais ici, c'est lui qui a tout créé.»
À la sortie de l'aéroport ultramoderne, construit en forme de gigantesque tente bédouine, l'ancien président égyptien sourit toujours sur la fresque dressée en commémoration de la conférence de paix de 1996, en compagnie de Bill Clinton et d'une quinzaine de chefs d'État du Moyen-Orient. Personne n'a eu l'idée de la maculer de slogans.
Le président et le parrain
Même s'il y résidait presque en permanence ces dernières années, Moubarak n'a jamais eu de palais à Charm el-Cheikh. Lui et sa famille y possédaient cinq villas de grand luxe, dont l'histoire résume assez bien le fonctionnement de son système.
Les villas, au bord de la mer, se situent à l'intérieur de l'immense périmètre du Maritime Jolie Ville Golf Club, oasis artificielle située entre l'aéroport et la baie de Naama, en bordure de l'une des plus belles plages de Charm el-Cheikh.
Ce complexe compte quatre hôtels de luxe, un golf international et le centre de conférences où se tenaient depuis les années 1990 la plupart des conférences internationales organisées par l'Égypte. Ce terrain de choix avait été attribué sans réel appel d'offres par le régime à un richissime homme d'affaires égyptien, Hussein Salem. Qui fera en retour le don gracieux des villas à Moubarak et à ses fils.
Spéculateur avisé, Hussein Salem a pris la fuite pendant la révolution de janvier dernier, d'abord pour Dubaï, et ensuite pour l'Espagne, où il possède de nombreuses propriétés à Marbella. Personnage clé du système Moubarak, cet homme d'affaires discret, pour ne pas dire secret, a finalement été arrêté le mois dernier en Espagne et attend son extradition vers l'Égypte. Le parrain de Charm el-Cheikh doit répondre de plusieurs accusations de malversations financières, comme d'avoir accordé des tarifs préférentiels à Israël pour ses livraisons de gaz via sa société d'exploitation East Mediterranean Gas Co, contrat aujourd'hui remis en question par les autorités égyptiennes. Les opposants de Moubarak ont, quant à eux, planifié pour le 5 août prochain une manifestation à Charm el-Cheikh, la première du genre, pour réclamer le procès de Moubarak. Le rêve ensoleillé de Charm, fait de luxe, dollars et volupté, à fini par être rattrapé par la réalité.
Par Adrien Jaulmes
Incertitudes sur le procès d'Hosni Moubarak
Après avoir réclamé et obtenu la chute de Moubarak en février dernier, les révolutionnaires égyptiens demandent aujourd'hui son procès public. L'ancien raïs est accusé d'avoir ordonné la répression des manifestations de janvier, motif pour lequel il risque la peine de mort. Il doit comparaître le 3 août prochain, mais son état de santé se serait considérablement dégradé ces dernières semaines, et sa comparution apparaît déjà comme peu probable.
Le procès de Moubarak est devenu l'objet d'un bras de fer entre le Conseil suprême des forces armées, l'aréopage de généraux qui assume l'essentiel du pouvoir en Égypte depuis la révolution, et les révolutionnaires égyptiens, qui ont réoccupé ces dernières semaines la place Tahrir. Sur fond de rumeurs, manifestations et communiqués médicaux, le sort de Moubarak déchire l'Égypte.
Pressions de l'Arabie saoudite
La junte se serait sans doute volontiers contentée de maintenir l'ancien président en résidence surveillée, en attendant qu'il ne décède de mort naturelle. Les généraux n'ont pas hésité à lâcher Moubarak dans les semaines de la révolution. Mais ils sont réticents à devenir le premier gouvernement arabe depuis l'Irak à juger un ancien chef d'État. Sans parler des pressions de l'Arabie saoudite, qui fait tout pour éviter à son ancien allié le sort de Saddam Hussein.
Mais sur la place Tahrir, redevenue le centre névralgique de la contestation, les familles de martyrs de la révolution, victimes de la police pendant les manifestations de janvier, veulent que s'ouvre le plus rapidement possible un procès public.
La tension est accrue par l'état de santé déclinant de l'ancien président, âgé de 83 ans, et que l'on dit malade depuis plusieurs années. La procédure judiciaire suit à peu près parallèlement la dégradation de l'état de Moubarak, faisant craindre qu'il ne meure avant d'avoir pu comparaître.
Le raïs et ses fils, Gamal et Alaa, ont été mis en examen le 13 avril dernier, et inculpés ; les deux fils ont été transférés dans la prison de Tora, près du Caire. Mais Moubarak, victime le même jour d'une crise cardiaque, est depuis en soins intensifs à l'hôpital de Charm el-Cheikh.
Le 31 mai, le procureur général Abdel Meguid Mahmoud, qui a ordonné l'inculpation de Moubarak, a annoncé que le comité de médecins chargé d'examiner l'ancien président avait jugé son état de santé préoccupant. Selon eux, Moubarak, affaibli, plongé dans une profonde dépression, n'est pas en état d'être transféré en prison, sans même parler de comparaître devant un tribunal. D'après son avocat Farid el-Dib, Moubarak souffrirait d'un cancer de l'estomac à un stade avancé, de tumeurs à la prostate et au pancréas, en même temps que d'insuffisances cardiaques.
Depuis la mi-juillet, il serait tombé dans le coma. À l'approche du ramadan, qui verra les activités publiques considérablement réduites en Égypte pendant un mois, l'ouverture prochaine du procès de Moubarak apparaît comme de moins en moins certaine, en tout cas en sa présence. Mais les généraux égyptiens ne peuvent prendre le risque d'apparaître comme ayant cherché par tous les moyens à protéger celui qui fut l'un des leurs.
Par Adrien Jaulmes
Le Figaro Par Adrien Jaulmes
27/07/2011
Mise à jour : 12:19
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