«Je veux élever le Congo au rang des nations civilisées. Voilà. Bonne gouvernance, Etat de droit, combat contre la corruption, contre les anti- valeurs. Moralisation de la vie politique, car, dans ce pays, c’est du banditisme. Tout cela sera l’aboutissement d’un combat de trente ans. Dieu nous a aidés en nous gardant la force, qu’il en soit maintenant remercié ». Telle est la quintessence de l’interview que le candidat Etienne Tshisekedi, président national de l’UDPS, a accordée au journal Le Soir paraissant à Bruxelles, sous la plume de Colette Braeckman. Interview dans laquelle il exprime ses inquiétudes, mais aussi ses assurances quant au couronnement éventuel de son parcours politique.
Peu avant de quitter Bruxelles pour se rendre au Canada, Etienne Tshisekedi, président national de l’Union pour la démocratie et le progrès social, UDPS, et candidat à l’élection présidentielle 2011, a accordé une interview au Journal Le Soir. Il répondait ainsi aux questions de Colette Braeckman, sur sa vision de gouvernance. C’est-à-dire, sa façon de diriger le pays. Il s’est attardé également sur le processus électoral, l’insécurité, les réformes dans l’armée, le potentiel des ressources humaines, l’état des lieux de l’Opposition, les perspectives d’avenir et son état de santé.
Empressons-nous de relever ce fait qui frappe en parcourant cette interview : c’est ce langage modéré, loin de ce ton dur parfois choquant qui caractérisait ses précédentes déclarations. Certes, de temps à autre, on relève quelques propos incisifs, c’est de bonne guerre en politique. Mais dans l’ensemble, l’on découvre un Tshisekedi rassembleur, convaincu que seul il ne pourra ni gagner ni réaliser ses promesses électorales si jamais il était élu.
Voilà qui explique cette rencontre avec Kengo wa Dondo, un autre leader de l’Opposition, également candidat à la présidentielle, pour harmoniser leurs rapports. Mais aussi cette visite à Jean-Pierre Bemba, président national du Mouvement de Libération du Congo, MLC, détenu par la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. Au Canada, il compte saisir la main tendue de Vital Kamerhe, président national de l’Union pour la nation congolaise (UNC). Dans cette optique de parler le même langage au sein de l’Opposition. Le fait de parcourir l’Europe et l’Amérique, Tshisekedi a pris la mesure de l’importance de l’environnement international dans la gestion de grandes questions nationales et internationales. Il aborde tous ces problèmes sans détours.
C’est ainsi qu’à la question de la presse belge de savoir s’il ne craignait pas cette élection à un seul tour, avec ce risque de la perdre, Tshisekedi répond : «C’est pour cela que je suis venu ici, que j’ai contacté les autres candidats de l’Opposition. Nous sommes en train de nous entendre afin que seule ma candidature soit reconnue et soutenue. C’est pour cela que j’ai rencontré M. Kengo ici à Bruxelles. Je suis allé en Hollande pour y rencontrer M. Jean-Pierre Bemba à La Haye et il va donner comme consigne de me soutenir, afin que les voix de ses partisans se portent sur moi. A Montréal, où je me rends ce week-end (Ndlr : week-end du 1er au 2 octobre), je vais rencontrer un autre candidat, Vital Kamerhe. D’après ses déclarations, lui aussi serait d’accord de me donner ses voix. Cela commence à faire du monde… »
Cela suppose qu’il y a des accords conclus et à respecter. Tshisekedi rassure : « Tout le monde veut une véritable union de l’Opposition afin de pouvoir isoler Kabila. Nous sommes en politique, la répartition des postes se fera après, suivant les résultats obtenus par chaque partie, par le nombre de députés envoyés au Parlement».
Des inquiétudes
Auparavant, le président national de l’UDPS s’est empressé d’exprimer des inquiétudes sur la gouvernance, l’insécurité, la tricherie lors des élections. Répondant à la question de savoir si les élections se dérouleront correctement, Tshisekedi émet des doutes : «Correctement, entendons-nous… Du côté du pouvoir, il y a toujours des manœuvres, des pressions sur la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour qu’elle ne nous accorde pas l’accès au serveur central. Nous exigeons que soit publiée la cartographie de tous les bureaux de vote à travers le pays, car nous devons pouvoir envoyer nos témoins dans tous les bureaux. Nous voulons que l’on publie le fichier électoral, car la loi prévoit qu’un mois après avoir terminé l’enrôlement des électeurs dans une province, on publie les listes de ces électeurs, cela n’a pas encore été fait. Là où on ne publie pas, c’est là où on risque de tricher».
Tshisekedi n’est pas non plus tendre envers le pasteur Ngoy Mulunda, président de la CENI que certains observateurs présentent comme étant «assez ouvert». «Assez ouvert… Disons plutôt qu’il a un double langage : d’un côté il vous endort, et de l’autre, il y a ce qui se fait sur le terrain, c’est le contraire… Il voit tout le monde, c’est vrai, c’est un pasteur. J’ai été le premier à le recevoir chez moi, il parle bien, mais nous recevons de l’intérieur des rapports alarmants. Il vous promet d’arranger les choses mais en réalité rien ne se passe. Les bureaux de vote sont tellement éloignés les uns des autres qu’il sera impossible que tout le monde aille voter, à cause des distances à parcourir», a encore précisé le président national de l’UDPS. Mais à quel niveau les tricheries pourraient être organisées et comment l’UDPS est-elle organisée ? : « Au niveau du serveur central ; c’est pourquoi on refuse que l’opposition y ait accès. Il y a aussi des bureaux fictifs où on pourra bourrer les urnes. Notre parti qui est implanté partout au Congo devra avoir des témoins partout. Je parlais de notre parti UDPS que c’est à partir du 8 décembre 2010, lorsque je suis rentré de Belgique où j’étais en traitement médical, que l’UDPS et les autres partis ont commencé à s’organiser à travers tout le pays. Nous n’avons eu que 9 mois. Avant cela, on ne tolérait pas de réunions de l’Opposition, on arrêtait les gens, nos partis étaient morts. Sur le plan matériel, on fait appel aux bonnes volontés qui ne manquent pas. On trouve des soutiens, surtout ici en Occident. Quant à la signature du code de bonne conduite, nous exerçons des pressions. On ne peut pas nous faire signer le code de bonne conduite aussi longtemps que nos revendications ne sont pas satisfaites, comme l’accès au serveur central, la cartographie, la publication du fichier électoral, etc.»
Des assurances : regard vers l’avenir
A ce sujet, Etienne Tshisekedi a tenu à se montrer rassurant en tournant son regard vers l’avenir pour adresser un message d’espoir. Il promet de gouverner autrement : «Ce pays va devenir un Etat de droit, avec une vraie justice, une vraie gouvernance… Tous ceux qui craignaient le désordre, l’insécurité, sont aujourd’hui invités à venir investir au Congo, à créer des emplois. Nous avons 95% de chômeurs, il est temps de créer des emplois pour eux».
Mais les investisseurs exigent des garanties. Tshisekedi persiste et signe : «Depuis l’indépendance, le Congo ressemble plus à une jungle qu’à un Etat. Moi, je parle du Congo de demain, car je sais que le peuple congolais me fera confiance. Partout dans le monde, on se plaint de l’insécurité qui règne au Congo, on le considère comme un pays où il n’y a aucune loi, aucune garantie. Au Canada, des sociétés comme First Quantum se plaignent amèrement. Je les ai rencontrées, j’ai expliqué que le Congo allait devenir un Etat de droit, où le climat des affaires allait être positif. J’ai fait un appel pour qu’ils reviennent…»
Pour que tout ceci soit réalisé, il faut d’abord être élu. La presse belge a voulu savoir sur quoi Tshisekedi fonde ses espoirs d’être élu alors que le Katanga et le Kivu sont des fiefs de Kabila. Tshisekedi reste convaincu que sa victoire est certaine et son heure venue : «Alors que je pensais encore qu’au Katanga j’allais devoir composer avec Kabila, des combattants me téléphonaient pour me dire que le Katanga n’était pas différent du reste du Congo, que toutes les provinces voulaient le changement. Au Katanga, mon succès a été total. Les habitants de chaque ville se déplaçaient pour venir m’entendre. J’irai au Kivu aussi, dans le fief même de Kabila, son soi-disant terrain où il avait promis la paix, la sécurité. Je reviendrai de ma tournée à l’étranger en débarquant à Kisangani, puis dans les deux Kivu et au Maniema. Je n’ai pas de promesse à faire aux gens de l’Est. La paix sera la conséquence immédiate du rétablissement de l’Etat de droit. N’oubliez pas que là-bas, l’insécurité est maintenue par des gens qui étaient des compagnons de lutte de Kabila dans le maquis. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il les a abandonnés, c’est pour cela qu’ils se battent, aujourd’hui encore. L’armée, ces militaires qu’on ne paie pas, qu’on laisse en débandade, est encore pire que tous ces groupes armés».
L’armée, c’est vraiment l’épine dorsale à gérer pour que la paix revienne en RDC. Une réforme courageuse s’impose. En outre, la meilleure réforme, c’est celle des ressources humaines. La RDC a-t-elle des capacités nécessaires pour un nouveau coup de rein afin de repartir de bon pied et accompagner comme il se doit cette volonté de changement ? Tshisekedi rassure : «Certainement. Nous allons créer une véritable armée nationale, ce qui n’a jamais existé dans ce pays, même du temps de Mobutu. L’armée a toujours été composée de milices, les généraux bardés de titres étaient des illettrés. Nous allons former une armée classique, comme dans tous les pays civilisés. A l’Est, sans pitié, nous allons désarmer tous ces groupes. Certains parmi eux seront poursuivis pour s’être rendus coupables de crimes. Des officiers de l’armée gouvernementale se sont livrés à des trafics et sont devenus des millionnaires.
L’ordre ? La discipline ? Les moyens ? Absolument, absolument. Vous allez suivre cela. C’est l’impunité qui est la cause de tout cela, à commencer par l’impunité de ceux qui sont au sommet ; ils ne peuvent pas sanctionner leurs congénères, des gens avec lesquels ils ont commis d’autres crimes. Au Congo, on arrête des politiciens, des activistes des droits de l’Homme pour les faire taire. Je vais réactiver l’appareil judiciaire en payant correctement les magistrats. En ce qui concerne les ressources humaines, mais certainement que nous avons des cadres. Dans l’armée, nous avons des officiers qui ont été formés dans vos écoles en Belgique, dans d’autres pays occidentaux. Ajouter à cela l’expertise de la diaspora avec ses membres prêts à rentrer au pays. Eparpillés un peu partout en Europe occidentale, ils attendent le rétablissement de l’Etat de droit pour revenir au pays. Tous en ont assez de la vie qu’ils mènent à l’extérieur. Le Congo a besoin de tout le monde pour se reconstruire. Partout, la communauté congolaise s’est mobilisée massivement. Nous avons beaucoup de cadres à l’étranger et au retour, ils étaient souvent inquiétés».
La santé de Tshisthi
La presse ne pouvait rater pareille opportunité sans poser une question sur la santé d’Etienne Tshisekedi. D’abord à cause de son âge, 78 ans. Ensuite, à la suite de toutes ces rumeurs du fait de ce long temps passé à l’étranger pour des raisons médicales. Va-t-il tenir le coup pendant la campagne électorale avec ces kilomètres à couvrir par voie de route, mer, fleuve et ces saute-moutons par avion. Tshisekedi lâche : «Ah oui, vous le voyez. Quand je vais commencer la campagne, vous allez voir encore. Je vais aller dans l’Est et dans le «Grand Nord ». A Kisangani, je connais la prison de la rive droite et celle de la rive gauche. Dans ces régions éloignées, tout le monde me connait encore, car Mobutu, à l’époque, m’avait déporté, mis en relégation, à Dungu, Isiro, Monga. Les villageois à l’époque venaient m’entendre et je leur passais des messages de changement. Ils se souviennent bien de moi, tout le monde me connait, cela va jouer. On m’appelait l’éternel opposant. Maintenant, c’est mon tour d’être aux affaires, de bonnes affaires pour mon pays…».
© Le Potentiel 2005
rect.cd © 2011
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