jeudi 5 mai 2011

Côte d'Ivoire -Avant sa mort, IB l'Invisible accusait Soro

(Rue 89 05/05/2011)

(D'Abidjan) Le commando invisible n'a plus de chef. Le général autoproclamé Ibrahim Coulibaly, dit « IB », a été tué mercredi 27 avril par l'armée du nouveau président ivoirien Alassane Ouattara. Quelques jours auparavant, il nous recevait dans son QG et proclamait sa loyauté vis-à-vis du nouveau chef de l'Etat, mais estimait que le Premier ministre Guillaume Soro voulait « sa peau ».
Le rôle d'IB dans la bataille entre les deux chef d'Etat rivaux, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, a été pourtant important, surtout dans le quartier populaire d'Abobo au nord d'Abidjan, et Yopougon, où lui et son commando invisible ont réussi à mettre à terre les miliciens pro-Gbagbo avant la capture de ce dernier le 11 avril.
Le commando invisible, né après la marche des femmes
Début décembre 2010, les résultats de l'élection présidentielle donnent gagnant Alassane Outtara avec 54% des voix, un résultat reconnu par la Communauté internationale malgré les contestations du camp Gbagbo. Pendant cinq mois, la Côte d'Ivoire connaît alors une situation ubuesque : un pays, deux Présidents.
Avec l'échec de la diplomatie, les armes reprennent la parole, avec ce que l'on va appeler « la bataille d'Abidjan ». Tout va partir d'Abobo, un fief de Ouattara.
Des femmes effectuent une marche pour la paix début avril, lorsque les hommes de Gbagbo, lourdement armés, ouvrent le feu sur elles. Surgit alors un commando invisible dirigé par Ibrahim Coulibaly.
IB et Soro, des ennemis intimes
Cet homme de 45 ans a un passé sulfureux. En 2001 déjà, il tente un putsch contre Gbagbo. Ses hommes, principalement venus du nord du pays, soutiennent déjà Ouattara. Le numéro deux du commando est alors un certain Guillaume Soro, par la suite Premier ministre de Gbagbo, puis de Ouattara.
Le tandem IB-Soro ne durera que quelques années, et d'amis ils deviendront ennemis intimes dans le courant des années 2000.
Quelques jours avant sa mort, IB nous recevait dans son fief d'Abobo, à PK18. L'homme est grand, costaud et souriant. Avant même de commencer l'interview, il confie :
« J'ai gagné mon grade de général sur le terrain, pas comme ceux qui l'obtiennent en restant assis dans des bureaux climatisés ! Je suis un militaire formé à la Garde républicaine. »
Entretien.
Rue89 : Pourquoi vous faites-vous appeler le commando invisible ?
Ibrahim Coulibaly : C'était la seule façon de livrer un bon combat, sans se dévoiler. C'est une technique que mes hommes [il revendique 5 000 combattants, ndlr] et moi maîtrisons parfaitement.
Avez vous perdu beaucoup d'hommes ?
Très peu grâce à notre discrétion. En revanche, nous avons fait un certain nombre de prisonniers.
Où sont-ils ?
Nous les avons remis à la Croix-Rouge, en particulier les petits miliciens trop jeunes. Les autres ont été remis aux FRCI [les « forces républicaines » pro-Ouattara, ndlr].
Qu'attendez vous du président Ouattara ?
Je le soutiens mais je n'attends rien de lui. Il sait que mes hommes et moi avons défendu Abobo et d'autres quartiers, Yopougon, Anyaman. Nous sommes en liaison directe. Il va me reconnaître. Il n'a pas d'autre choix.
La Côte d'Ivoire est dans une dynamique de réconciliation, il est donc logique de nous intégrer aux FRCI si on veut vraiment aller vers la paix. Tout cela doit se faire dans un cadre bien organisé.
Et si le Président ne fait pas appel à vous ?
Je n'envisage même pas cette hypothèse ! Je suis très populaire et il le sait. Cela ne serait pas dans son intérêt ni dans celui de la Côte d'ivoire.
Comment expliquez-vous cette popularité ?
J'ai deux casquettes en réalité. La première, militaire, qui a fait ses preuves [rires]. Et l'autre, sociale. J'aide le peuple, les gens viennent me demander de l'aide sanitaire, je règle certains conflits…
D'aucuns prétendent que vous avez, à un certain moment, voulu prendre le pouvoir, que vous étiez « le troisième homme » ?
C'est totalement faux. Je suis un militaire, le pouvoir ne m'intéresse pas. Mais je comprends ces rumeurs. Il y a deux explications. Comme je suis très populaire, certains Ivoiriens épuisés par cette situation d'un pays avec deux Présidents ont pensé que je devais assumer la transition.
L'autre facteur tient à mes ennemis : en faisant courir cette rumeur, ils pensaient nuire à ma réputation. J'ai même entendu dire que j'aurais été proche de Gbagbo ! C'est de la foutaise ! Je soutiens et j'ai toujours soutenu Ouattara. Et il le sait !
Le commando d'IB conserve le soutien des habitants qu'il a sauvés
Joint la veille de sa mort par téléphone, IB nous confiait qu'il se sentait menacé et que Soro « voulait sa peau… »
Le 29 avril 2011, les hommes de Guillaume Soro (les soldats de la Force républicaine de Côte d'Ivoire) encerclent son fief et vont abattre IB. Aujourd'hui, le commando invisible garde le soutien des habitants des quartiers où IB et ses fidèles les ont sauvés des miliciens pro-Gbagbo.
Par Valérie Dupont

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