(Seneweb 31/05/2011)
Alors que tous les regards sont tournés vers Kadhafi, la Cour pénale internationale (CPI) suit de près la situation de quinze pays à travers le monde. Cette instance travaille sur six "situations" et une dizaine de cas. Simultanément, l'adjointe du procureur de la CPI, Fatou Bensouda, traite également des crimes perpétrés en Afrique de l’Ouest.
Quelle est la raison de votre présence en Afrique de l'Ouest ?
Nous sommes essentiellement au niveau des enquêtes préliminaires. Suite aux événements survenus en 2009 en Guinée, le procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, et moi avons fait comprendre aux autorités en Guinée que les crimes qui relèvent de la compétence du tribunal sont susceptibles d'avoir été commis. En outre, nous insistons que les autorités guinéennes s'en occupent. La priorité des enquêtes et des poursuites revient toujours à l'État. Au terme de toutes nos déclarations et visites en Guinée, nous nous sommes rendu compte de ce que les autorités guinéennes travaillent également dans ce sens. Un panel de juges a été constitué. Il est responsable des enquêtes et des entretiens avec des témoins. Je pense que notre intérêt pour la Guinée est tout à fait officiel.
Ils ont en outre constitué une commission-vérité, chose bénéfique aux Guinéens. C’est une façon de concevoir des voies et moyens pour traiter des crimes. En tant que nation, ils devront être à même de faire ainsi.
Il est évident que nous ne constituons pas une commission. Nous enquêtons et poursuivons pour des cas de crimes. Cependant, si un pays décide de se charger des crimes perpétrés dans leur juridiction, la CPI ne peut s'y opposer. Nous ignorons le sens que la commission guinéenne donnera à cette situation. Toutefois, la CPI effectuera un suivi de ce qui sera fait. Ce contrôle est une partie des analyses préliminaires. Nous continuons à travailler en collaboration avec les autorités guinéennes. Un fait sur lequel nous insistons demeure qu'aucun crime ne reste impuni. Bien sûr, la justice et la vérité ne seront pas du reste. Et nous prenons tout ceci en considération dans l'étude des événements survenus là où les crimes ont été commis.
Pensez-vous que Laurent Gbagbo sera transféré à La Haye de si tôt ?
Certes la Côte d'Ivoire n'est pas un État membre, cependant Laurent Gbagbo en personne a signé en 2003 une déclaration reconnaissant la compétence de la CPI. De même, le président en exercice, Alassane Ouattara, en décembre 2010 a officiellement reconnu la compétence de la CPI. En d'autres termes, la CPI est habilitée à mener des enquêtes et engager des poursuites si la Côte d'Ivoire ne s'en charge pas.
Par ailleurs, le fait qu'elle travaille actuellement à instaurer sa propre procédure applicable en pareilles circonstances est un secret pour personne. Qu'à cela ne tienne, l'actuel président a déjà fait mention de saisir la CPI pour les problèmes de la Côte d'Ivoire. Par conséquent, nous sommes prêts à recevoir l'affaire.
Qu'en est-il du reste de l'Afrique de l'Ouest ?
Nous étudions également les crimes commis au Nigeria lors des violences postélectorales qui y ont eu lieu. Le procureur de la CPI a immédiatement face à la situation. Nous nous sommes prononcés sur les violences électorales au Nigeria invitant les autorités à se retenir. De même, nous sommes conscients de ce que les autorités à leur tour ont invité les populations à en faire autant. Dans ses propos, le procureur a recommandé aux autorités en personne de s'attarder sur ce problème. Et de nouveau invité à faire preuve de retenue dans les discours politiques.
Pensez-vous que ce soit une extension importante de votre rôle que de transmettre des messages aux gouvernements qui commettent des crimes, leur disant : "Nous vous avons à l’oeil" ? Pensez-vous que ce soit nécessaire ?
Selon le Statut, le procureur a le pouvoir d'agir de façon préventive. Il ne s'agit pas uniquement d'enquêter et de poursuivre en justice, mais aussi de trouver les moyens pour pouvoir éviter des crimes. Nous avons pris ce rôle très au sérieux. Si vous considérez ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire, en Guinée et au Nigeria, je pense que cette méthode commence à avoir de l'effet. A titre d'exemple, le procureur pourrait approcher un État et dire : "Vous êtes un Etat membre et vous commettez tels crimes susceptibles de relever de la compétence de la CPI. Des personnes seront tenues pour responsables. Faites donc attention".
Pensez-vous que ce message aura vraiment de l'impact seulement grâce à votre conviction, vu que jusqu'ici la CPI n'a encore mis personne aux arrêts ?
Je ne pense pas. Je ne me permettrais pas l'audace de dire que ce message a déjà de l'impact et ce, même sans ma conviction. Ceci est dû au fait que le message envoyé dit qu'une personne sera tenue responsable, susceptible d'être traduite à la CPI, poursuivie en justice pour ces crimes et condamnée. Il existe des retombées auxquelles il faut faire face en commettant ces crimes. JE pense qu'en Côte d'Ivoire ce message a eu de l'impact. En définitive, cette option préventive a eu de l'impact en Guinée, même lorsque la première affaire de la CPI n'était pas encore close.
Quel crime est assez considérable pour justifier l'action directe de la CPI ?
L'un des seuils est la gravité. Il ne s'agit pas toujours du nombre. Il est aussi question de la nature et de l'impact des crimes. Quelles sont les conséquences des crimes ? Nous mettons tout ceci dans une boîte et les examinons afin d'établir s'ils ont atteint le seuil de gravité de la CPI.
A titre d'exemple, nous citerons la République cémocratique du Congo et la République centrafricaine. Pour la plupart des cas, il est question de chiffres. Cependant, considération est également faite des viols systématiques et généralisés ainsi que des violences sexuelles. Le nombre d'allégations de violences sexuelles surpasse celui des massacres.
La CPI dispose d'un budget estimé à environ 400 millions d'euros par an, cependant le volume de travail augmente et pas le budget. À quel point vous sentez-vous débordé ?
Une particularité propre à la CPI est l'usage des caisses de prévoyance afin de remédier aux situations imprévues.
Fin décembre, voire début janvier, nous ignorions encore que nous devrions avoir à traiter du cas de la Libye, transmis à la CPI par le Conseil de Sécurité des Nations unies sans aucun budget de leur part.
Grâce à la caisse de prévoyance créée par la CPI, nous sommes à même de dresser une demande en vue d'y puiser afin de disposer au moins des ressources supplémentaires nécessaires. Par ailleurs, en agissant de la sorte, il nous est possible de régulariser cette dépense dans le budget de l'année suivante.
Tel est notre fonctionnement. Pour le cas de la Libye par exemple, nous avons déjà sollicité l'accès à la caisse de prévoyance afin d'en tirer des ressources supplémentaires.
Cependant la caisse de prévoyance est limitée. Il y aura certainement un moment où la caisse de prévoyance ne couvrira pas vos besoins au rythme auquel vous étendez vos compétences ?
Il est possible qu'un cas pareil se produise. Néanmoins, au fur et à mesure que nous traitons nos affaires et progressons, je reste persuadée que nous aurons des raisons et les moyens de prendre en considération ce qui se passe ainsi que la vitesse à laquelle nous recevons ces affaires. Toutefois, jusqu'ici, tout va bien.
Plusieurs personnes diront que le succès de la CPI repose sur des convictions. Quelle sera, selon vous, la plus belle victoire de la CPI ? Serait-ce la prévention ? Ou quelle serait la situation idéale pour vous ?
Je penche pour la conviction. Toutefois, je pense que l'habileté de la CPI à dissuader les autres à ne pas commettre des crimes constitue en outre une victoire pour la CPI. Cette habilité de la CPI à prévenir les crimes d'être commis reste à mon avis une victoire pour nous. J'aime à cet effet citer l'exemple du jugement de Lubanga encore en cours, mais où déjà le fait d'enrôler les enfants et de les engager dans les hostilités constitue le point de mire de l'opinion publique.
Une telle importance a été rattachée à la nature des crimes et vous vous rendrez compte que des pays qui ne sont pas des Etats membres comme le Népal démobilisent 3.000 enfants en un trait. Le Représentant Spécial des Enfants engagés dans les Conflits Armés a déclaré officiellement qu'elle pense que ceci est dû à l'attention particulière qu'accorde le public à la conscription des enfants. Aussi, je pense qu'il est nécessaire d'attendre que la CPI se fasse une conviction pour établir qu'il connaît des résultats positifs, qu'il travaille. Nous avons besoin d'avoir de l'impact au fur et à mesure que nous avançons. Nous devons aussi maximiser cet impact.
Auteur: Radio nederland
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