En côte d’ivoire, la crise post électorale réglée, l’heure est à la reconstruction. Pour la réconciliation, il faudra repasser, plus tard, beaucoup plus tard. Le président Alassane Dramane Ouattara l’a reconnu lui-même et souligné à souhait. Et cette réconciliation serait conditionnée par l’action politique et par le traitement judiciaire des crimes de toutes sortes commis depuis 2002, date du déclenchement de ce conflit qui a connu des sommets avec la contestation des résultats de l’élection présidentielle. Ouattara l’a déjà annoncé : « la justice ivoirienne n’est pas, en l’état actuel, en mesure de juger son prédécesseur Gbagbo » dont il vient de confier le cas à la Cour pénale internationale.
C’est dire le fort degré de présomption de culpabilité qu’il éprouve à l’égard du président déchu. Mais dans cette justice qui risque d’être celle des vainqueurs, se glisserait un éminent trouble-fête : Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-président de la RDC poursuivi et incarcéré par la CPI pour « responsabilité de commandement » des crimes commis par ses hommes armés en République Centrafricaine.
Le règlement politique du conflit ivoirien est en très bonne voie beaucoup grâce à la classe politique ivoirienne atteinte à chaque fois d’amnésie sur ce qui l’a divisée et envoyé ad patres des centaines ou des milliers de compatriotes. Mais à défaut de réparations difficiles à déterminer et à obtenir, les victimes et leurs familles attendent au moins que la justice passe. Pas celle des vainqueurs qui ne s’en prendrait qu’aux perdants mais celle indépendante qui enquêterait sur tous « les crimes et violations des droits de l’homme » commis pendant la crise selon le voeu du nouvel homme fort. Et si on se réfère aux précédents connus sur le continent, la CPI devra recevoir du beau monde et principalement le trio Alassane Dramane Ouattara, Guillaume Soro et Laurent Gbagbo. À l’image du Congolais Jean-Pierre Bemba, ces trois sont, en effet, potentiellement passibles de poursuites pour meurtres, viols et tortures au titre de « la responsabilité de commandement ».
Une gageure ? Non une simple application de la loi comme le démontre un site internet spécialisé qui clarifie cette question : « Il s’agit de la responsabilité pénale d’un chef militaire ou d’un supérieur hiérarchique civil faisant fonction de chef militaire pour des crimes commis par des membres des forces armées ou d’autres personnes placées sous son contrôle. Un supérieur peut être considéré comme pénalement responsable même s’il n’a pas donné l’ordre de commettre les crimes. Il suffit que le chef n’ait pas empêché ou réprimé l’exécution des crimes par ses subordonnés. ». Et le site d’indiquer que, outre les preuves que les crimes ont été commis, deux conditions doivent être remplies :
1. La personne accusée exerçait une autorité et un contrôle effectifs sur ses subordonnés qui ont commis ces crimes.
2. La personne accusée savait, ou aurait dû savoir :
•que ses subordonnés allaient commettre des crimes, et n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher l’exécution de ces crimes
•ou que ses subordonnés étaient en train de commettre des crimes, et n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour mettre fin à l’exécution des crimes alors même qu’elle se poursuivait ;
•ou que ses subordonnés ont commis ces crimes graves, et qu’ils n’ont pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour les punir.
Ainsi, à l’instar de Jean-Pierre Bemba, Alassane Ouattara, Guillaume Soro et Laurent Gbagbo
1. savaient que les forces qui relevaient de leur autorité étaient en train de commettre ou allaient commettre des crimes ;
2. n’ont pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ou mettre fin à l’exécution de ces crimes par les forces qui étaient sous leurs ordres.
Laurent Gbagbo a, bien entendu, aggravé son cas en distribuant des armes aux « patriotes », tandis qu’Alassane Ouattara et Guillaume Soro n’ont pas montré une réelle détermination à mettre un terme aux crimes, règlements de comptes et autres tortures que les FRCI, sous leurs ordres, ont continué à perpétrer après la défaite militaire du camp Gbagbo. Voici d’ailleurs ce que mentionnait en avril 2010 un rapport des Nations-Unies, cité par le webzine Slate au sujet de l’officier à qui Alassane Ouattara a confié la responsabilité de la zone où Laurent Gbagbo est en résidence surveillée : « Martin Kouakou Fofié, caporal-chef, commandant des Forces nouvelles pour le secteur de Korhogo, les forces sous son commandement se sont livrées au recrutement d’enfants soldats, à des enlèvements, à l’imposition du travail forcé, à des sévices sexuels sur les femmes, à des arrestations arbitraires et à des exécutions extrajudiciaires, en violation des conventions relatives aux droits de l’homme et du droit international humanitaire ; obstacle à l’action du GTI, de l’Onuci et des forces françaises et au processus de paix tel que défini par la résolution 1643 (2005). »
Botowamungu Kalome (AEM)
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