jeudi 26 mai 2011

En Tunisie, l’incertitude demeure autour des élections

(Le Monde 26/05/2011)

"Il règne aujourd'hui une incertitude totale en ce qui concerne la tenue ou non d'élections d'une assemblée constituante, prévues initialement le 24 juillet. En effet, même si le gouvernement a hier même 'recommandé' le maintien de cette date et que le décret appelant au vote a été officialisé, il n'en reste pas moins que la Haute instance indépendante pour les élections HIIE insiste encore sur le report", écrit mercredi 25 mai Naddo O., auteure du blog Nadia from Tunis, disant avoir des informations sur la tenue d'une réunion au niveau des instances pour en rediscuter.
En Tunisie, la question déchaîne encore les passions. Car, comme le note Nadia from Tunis, "si beaucoup sont restés persuadés de la nécessité du maintien de la date du 24/07, d'autres commençaient à voir dans le report une sage décision".
Au sein de l'HIIE, présidée par Kamel Jendoubi et à l'initiative de qui un report a été suggéré, les avis sont également partagés. "Les parties qui étaient favorables au report de cette date ont justifié leur position par le manque de préparation des partis politiques à ce rendez-vous, alors que celles qui sont pour le maintien de cette échéance ont légitimé leur position par le coût politique, économique, social et sécuritaire que pourrait payer le peuple tunisien à cause de ce report", note le journal électronique Kapitalis.
UNE MAJORITÉ CONTRE LE REPORT
Une majorité de partis politiques a salué le maintien de la date des élections pour la Constituante au 24 juillet, à l'instar notamment du parti islamiste Ennahda, du parti démocrate progressiste ou du parti Ettajdid (voir les communiqués en arabe sur le site Tunisnews). D'autres, comme le Parti communiste et ouvrier tunisien, souhaiteraient par contre avoir plus de temps pour se constituer une assise populaire et s'accorder sur certains points de débat.
Pour le blogueur Messou T7Essou, il n'est pas besoin de retarder des élections dans le but de trouver un consensus sur les questions constitutionnelles, comme le suggère Hamma Hammami du PCOT, car l'objectif est d'élire des "représentants" du peuple pour "réfléchir sur une nouvelle constitution et de la proposer au peuple pour un référendum" et non des "secrétaires pour rédiger un texte" sur lequel tous seraient d'accord.
Sur la page Facebook du groupe Tunisie : "Ce n'est rien de plus qu'une manoeuvre politique du gouvernement provisoire pour restaurer sa popularité. Maintenant, vous devez changer les membres du Comité suprême pour les élections, qui ont ouvertement exprimé leur incapacité à s'acquitter de la mission qui leur a été confiée."
Sur la Toile, une majorité de blogueurs s'est exprimé contre le report des élections. "Malgré toutes les raisons invoquées par M. Jendoubi pour justifier ce "léger retard", le gouvernement actuel, dit "de transition" et qui a tendance à s’éterniser est le premier qui en profitera. Avec bien entendu les rejetons du RCD de Ben Ali (Rassemblement Constitutionnel Démocratique), parti jadis au pouvoir, parmi lesquels nous citons les partis de Kamal Morjane, de Mohamed Jegham et d'Ahmed Friâa, qui auront le temps de 'regagner des forces' ainsi qu’un grand nombre de nos partis postrévolutionnaires, (plus de 60 partis) qui n’ont pas cessé, après leur naissance, de sombrer dans une douce et coupable torpeur", estime Mohamed Yosri Ben Hemdène, sur le blog L'œil attentif, disant "non au temps perdu, non au retard !".
La blogueuse Nadia from Tunis énumère ainsi les arguments contre un report des élections : l'absence de légitimité à la tête de l'Etat crée une instabilité politique qui nourrit en retour une instabilité économique et sécuritaire ; une certaine fatigue et nervosité de la société tunisienne ; et le report au 16 octobre ne garantit pas que les élections ne soient à nouveau reportées plus tard.
LES PARTISANS DU REPORT
Toutefois, des voix divergentes se sont faites entendre. A l'annonce du maintien des élections à la date du 24 juillet, le journal électronique Kapitalis écrit ainsi : "Nous avons longtemps cru que c’était un canular et que le gouvernement, réuni aujourd’hui sous la présidence de Foued Mebazaa, président par intérim, n’allait pas prendre une décision dont les conséquences pourraient être catastrophiques. C’est pourtant ce que vient d’annoncer Taïeb Baccouche, son porte-parole".
"De là à penser que les préparatifs vont être insuffisants et bâclés, que les conditions minimales de transparence pourraient ne pas être respectées et que les résultats, par conséquent, pourraient être contestés, il n'y a qu'un pas que beaucoup d’observateurs franchiraient volontiers. Que Dieu préserve la Tunisie !", conclut Kapitalis.
En effet, note Nadia from Tunis, le maintien de la date du 24 juillet pose lui aussi des problèmes : si la proposition d'un report a été faite, c'est qu'il y a de sérieux arguments la justifiant ; outre les difficultés techniques, beaucoup de Tunisiens ne savent toujours pas pour qui ils voteront ; et la déception serait de taille si ces élections se révélaient un échec.
LES CONDITIONS NÉCESSAIRES
Or, à deux mois des élections donc, nombreuses sont les questions techniques et logistiques qui restent à résoudre. Dans un article du journal électronique Kapitalis, Mohamed Chafik Sarsar, membre du comité d’experts de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, fait le détail des "efforts énormes et des sacrifices grandioses" qui seront nécessaires pour permettre la tenue des élections le 24 juillet.
Houssem, auteur du blog Scimitarities, établi également "une liste non exhaustive des difficultés à surmonter et des conditions à remplir afin de garantir la tenue d’élections libres et transparentes, indépendamment de la date". Pour lui, ce sont : la légitimité, l'égalité des voix, le vote secret, l'inviolabilité des votes et la vérifiabilité.
Des conditions préalables qui pourraient bien ne pas être réunies au vu des obstacles "techniques" qui subsistent, notamment à la lecture du projet de loi électorale (en arabe), estime le blogueur : l'établissement de listes préliminaires d’inscription aux bureaux de vote 45 jours avant les élections ; l’indépendance de la justice en prévision d’éventuels recours en justice suite aux décisions et mesures prises par la HIIE ; l'établissement d'un mécanisme de contrôle efficace des financements de campagne ; l’égalité des chances pour toutes les listes ; l'établissement de ltes nominatives des personnes non autorisées à présenter leur candidature ; la formation du personnel ; et l'assurance que les délits électoraux stipulés dans l’article 75 de la loi électorale puissent être punis sans exception.
Et d'en conclure : "il serait irresponsable de croire dur comme fer que les élections rempliront toutes les conditions de transparence et de liberté dans un délai de 60 jours".

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