(Le Pays 24/05/2011)
Fraîchement investi dans ses charges de président de la République de Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara a du pain sur la planche, tellement les chantiers qui l’attendent sont énormes. Pour mener à bien ces chantiers, il a décidé de reconduire le Premier minstre Guillaume Soro à son poste. Ce qui ne va pas sans commentaire. Soro a été l’un des soutiens sans faille dont a bénéficié ADO dans la longue crise post-électorale dans laquelle le pays a été plongé après le second tour du 28 novembre 2010.
Premier ministre et ministre de la Défense, c’est sous sa houlette que les Forces armées républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) ont bataillé ferme pour fragiliser les positions militaires de Gbagbo et faire chuter son régime. C’est lui qui disposait d’un bras armé (les Forces nouvelles rebaptisées Forces républicaines de la Côte d’Ivoire) qu’il a mis à la disposition de ADO pour aller à l’assaut des positions tenues par le régime Gbagbo. A présent, ADO est mis en position d’exercer le mandat pour lequel il a été élu, mais la situation sécuritaire n’est pas encore tout à fait normalisée dans le pays. Dans ce contexte, on imagine que ADO n’a pas voulu prendre le risque de se séparer de ce soutien important que représente le chef des ex-Forces nouvelles, même s’il faut pour cela faire patienter le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire), à qui devait revenir le poste de Premier ministre, selon les accords conclus au sein du RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix).
Ainsi, Soro a su se rendre indispensable certes, par son ralliement et sa présence aux côtés de Alassane aux heures les plus critiques de cette crise politique ivoirienne, mais aussi et surtout par son statut de véritable chef de l’armée ivoirienne désormais sous l’emprise des ex-Forces nouvelles. La situation commandait donc que ADO dont le pouvoir est encore fragile, d’autant plus qu’il ne dispose pas encore d’une armée vraiment unie, tienne compte de cette donne. Il sait qu’il vaut mieux garder Soro à ses côtés, du moins pour le moment. C’est donc par pragmatisme et par réalisme politique que cette reconduction a été opérée. Mais bien que compréhensible, cette décision du nouveau chef de l’Etat ivoirien met en évidence une réalité : sans être un roi entièrement nu, ADO l’est quelque peu. Il n’a pas encore vraiment les coudées franches pour mettre en œuvre toutes ses promesses de campagne et honorer ses engagements, notamment vis-à-vis du PDCI-RDA. En d’autres termes, il a quelque part les mains liées et n’avait pas vraiment d’autre choix que de maintenir Soro et, subséquemment, ses hommes à ses côtés. ADO est conscient que pour asseoir son pouvoir, il est obligé de composer avec Bédié, mais aussi et surtout avec Soro, du moins au cours de ses premiers pas de président.
Difficile cependant de dire jusqu’à quand cette collaboration sera si indispensable au regard des raisons qui la commandent. On se demande aussi si Soro qui ambitionnait de créer son propre parti va mettre cette idée sous le boisseau ou la concrétiser maintenant, ou encore s’il va tout simplement se fondre dans le cadre du RHDP. Toujours est-il qu’il va continuer son action politique et chercher à se positionner le mieux possible. Et comme entre les politiciens, les dissensions et les clashs ne sont jamais loin, il faut espérer que chacun des acteurs aura toujours une hauteur de vue, pour préserver l’intérêt général. Cela pourra permettre à cet attelage de travailler dans la durée pour la renaissance d’une Côte d’Ivoire paisible, unie et prospère.
Nul doute que les populations ivoiriennes attendent beaucoup de leur nouveau président après cette traversée du désert que le pays a connue. A lui de savoir se donner les moyens de tenir ses engagements. Pour cela, il devra veiller à ce que cette cohabitation, rendue nécessaire par les circonstances actuelles, ne se transforme en étau, capable de limiter sa capacité d’action et sa marge de manœuvre.
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