(Le Figaro 04/07/2012)
Les destructions de l'inestimable patrimoine de Tombouctou ont repris à l'aube. Lundi, devant un petit groupe d'habitants effarés, cinq combattants d'Ansar Dine, le mouvement salafiste qui contrôle la ville depuis le 1er avril, ont rasé l'une des entrées de la mosquée Sidi Yeyia. La porte de ce bâtiment du XVe siècle n'a tenu que quelques minutes.
Les jours précédents, les soldats des Partisans de la religion s'en étaient pris à sept des seize mausolées que compte «la cité des 333 saints», même si ni ce nombre ni l'ampleur exacte des destructions n'avaient pu être confirmés. Ces lieux sont sacrés aux yeux des Maliens de rite malékite, mais Ansar Dine, tenant d'une lecture ultra-rigoriste de l'islam, les juge impies. Un proche de l'iman de la mosquée Sidi Yeyia affirme que les profanateurs auraient été motivés par l'envie d'éradiquer une croyance locale voulant que l'ouverture de cette porte conduise à la fin du monde.
Dans Tombouctou, privé d'eau courante et d'électricité plus de quinze heures par jour, les habitants terrorisés se cloîtrent chez eux. «C'est terrible. On a peur, mais on ne peut rien faire. On n'a pas d'arme et s'opposer aux vues d'Ansar Dine est pour ses combattants un signe d'impiété qui est très sévèrement puni», souligne, anonymement un ancien employé d'une ONG en rappelant la proximité d'Ansar Dine avec al-Qaida au Maghreb islamiste (Aqmi). Un autre résident, revenu depuis peu à Bamako, s'est réfugié dans la prière: «Comment peuvent-ils faire cela? Ils piétinent Allah et nous serons maudits». Ces attaques ont suscité une émotion énorme à travers le monde. L'Unesco, qui venait de classer Tombouctou au Patrimoine mondial de l'humanité, s'est dite «horrifiée». L'Association des leaders religieux du Mali a condamné «le crime de Tombouctou» comme le gouvernement malien. Jusqu'à la Cour pénale internationale, qui, par la voix du procureur Fatou Bensouda a déclaré envisager des poursuites pour crime de guerre.
Ce tollé n'a pas ébranlé Sanda Ould Bouamama, qui se dit porte-parole d'Ansar Dine à Tombouctou. Selon lui, les destructions sont même une réponse à l'Unesco et elles continueront «au nom de Dieu». Une détermination qui étonne. Il y a deux mois, après une première profanation, Iyad ag Ghaly, chef d'Ansar Dine et Touareg comme la plupart de ses hommes, avait laissé entendre qu'il ne s'agissait que d'un dérapage. «Ces raids sont une stratégie dangereuse. En cassant ces lieux saints, Ansar Dine et Aqmi prennent le risque de s'opposer aux habitants bercés par un islam populaire. C'est exactement le contraire de leur conduite passé», analyse Dominique Thomas, chercheur à l'EHESS.
Opération de propagande
Présent depuis plus de dix ans au Sahel, Aqmi avait jusqu'alors tout fait pour s'infiltrer en douceur dans le tissu local, en prêtant de l'argent aux nécessiteux, en montant de petits programmes humanitaires voire en contractant des mariages comme Mokhtar Belmokhtar, l'un des principaux chefs d'Aqmi. Pour Ahmedou Ould Abdallah, président du Centre de stratégie et de sécurité pour le Sahel et le Sahara, le revirement est le signe qu'Ansar Dine et Aqmi se «sentent très forts». «Ils envoient ainsi un message de peur aux cheikhs locaux: “nous sommes les nouveaux maîtres”. En ce sens, ce sont de vrais révolutionnaires qui cherchent à détruire les structures traditionnelles pour séduire les plus pauvres, les opprimés, qui forment 80 % de leurs affidés, comme le faisaient les communistes en leur temps.» Ce spécialiste insiste aussi sur les vertus de propagande d'une telle opération. «Grâce aux médias qui ont parlé de Tombouctou plus personne au monde n'ignore que de “vrais” croyants sont dans la ville».
Ansar Dine, qui entend imposer la charia à tout le Mali et, au-delà, à la région, cherche à gagner une image internationale. «Ils ont déjà dans leurs rangs de nombreux Sénégalais, des Nigériens ou des Nigérians», souligne un proche du dossier. Outre Aqmi, Ansar Dine a lié des liens avec la secte nigériane Boko Haram ainsi qu'avec des Somaliens. La présence d'Afghans ou d'anciens d'Irak dans le nord du Mali a aussi souvent été évoquée sans jamais avoir été prouvée. «Il n'y a qu'une chose certaine, les salafistes recrutent beaucoup.»
Les errements stratégiques dénotent aussi des rivalités qui opposent les différents chefs au sein des mouvements qui occupent l'Azawad. Sur fond de rivalités tribales, Iyad ag Ghaly, qui tient à rester un interlocuteur pour les pays de la région, serait défié tout à la fois par les tenants d'une ligne plus dure et par des Touaregs désireux de calmer cette fuite en avant.
En visite lundi à Paris, le président guinéen Alpha Condé s'est prononcé pour une «solution militaire» menée par des «troupes africaines». «Il est évident que la solution avec le mouvement islamiste n'est pas de négocier. Il faut une solution militaire», a-t-il affirmé espérant «rapidement une résolution du Conseil de sécurité» de l'ONU dans ce sens. Le Maroc a également appelé lundi dans un communiqué à «une action déterminante» pour mettre fin aux destructions.
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