(Le Vif 03/07/2012)
Etat pauvre et oublié, le Burundi accueille Philippe et Mathilde à l'occasion du 50e anniversaire de l'indépendance. Miné par plusieurs affaires, le pays n'est pas à l'abri des dérapages.
« Au Burundi, la peur est encore trop présente dans les esprits », déclarait récemment l'ambassadeur de l'Union européenne à Bujumbura, le Belge Stéphane De Loecker. À quoi faisait allusion cet homme qui a déjà servi comme ambassadeur de Belgique à la fin des années 1990 ?
Notamment à la société civile, « qui doit pouvoir s'exprimer sans crainte », aux leaders politiques en exil (dont des dissidents du parti au pouvoir) qui n'osent pas rentrer au pays ou encore à ces femmes et ces enfants qui « doivent pouvoir rentrer à la maison le soir sans la peur d'être battus par un homme ivre ou, pire encore, sauvagement assassinés ».
Dans son rapport 2011, Amnesty avait déjà épinglé les exécutions extrajudiciaires, impliquant souvent des agents de la sécurité de l'Etat, l'impunité, le manque de liberté d'expression, la torture...
Telle est la réalité du pays que Philippe et Mathilde visiteront le 2 juillet, à l'occasion du 50e anniversaire de l'indépendance. « Le bilan du régime Nkurunziza en termes de respect des droits de l'homme est catastrophique, n'hésite pas à dire Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group (ICG).
La campagne de répression a commencé dès le lendemain des élections de 2010 et n'est pas terminée. Elle a atteint son point culminant en 2011 mais des assassinats visent encore les militants de l'opposition. » Selon Amnesty, « la justice pénale demeurait politisée et manquait de moyens », tandis que les autorités « ont continué de restreindre le droit de rassemblement pacifique des citoyens ».
Sur le plan politique, c'est également la régression. En 2010, les élections communales avaient été marquées par la victoire écrasante du CNDD-FDD, le parti du président Pierre Nkurunziza, un Hutu. Six des sept candidats pour la présidence se sont alors retirés du processus, offrant un boulevard au président sortant.
Pourtant les « fraudes massives » alléguées par l'opposition n'ont pas été vérifiées. Il n'empêche : le parti au pouvoir domine aujourd'hui toute la politique. Comme au Rwanda ? Pour Thierry Vircoulon, « il y a une relation de grande proximité entre les présidents du Burundi et du Rwanda. Le premier reprend souvent les idées du second, notamment en termes de développement : villagisation, nouvelles technologies, etc. »
Avec cette grande différence : le Burundi ne peut pas se permettre la voie autoritaire imposée par son ombrageux voisin (voir pages suivantes). « Le modèle rwandais top down est impossible au Burundi, car le régime n'a pas le même degré de contrôle social et politique », explique Thierry Vircoulon. Le dernier rapport d'ICG souligne ainsi qu'en dépit de l'engagement personnel du président, la lutte contre la corruption est inopérante, car sabotée à divers niveaux. « Elle ne peut atteindre ses objectifs, car elle donne lieu à des règlements de comptes politiques et commerciaux et finalement les grandes affaires de corruption ne sont jamais jugées », estime l'analyste.
Mauvais signal
Ainsi, la société civile locale a été fort ébranlée par l'assassinat en 2009 d'Ernest Manirumva, n° 2 de l'Olucome, qui lutte contre la corruption au Burundi. Les coupables courent toujours, ce qui a envoyé un mauvais signal aux bailleurs de fonds. La coopération britannique vient d'ailleurs de se retirer. La Belgique ? Elle reste un des derniers pays à soutenir le Burundi. Mais il ne faudrait pas pousser le bouchon trop loin : « Nos opinions européennes sont certes prêtes à faire montre de solidarité, mais ne pourraient accepter des détournements de fonds ou des pratiques de corruption qui restent courantes au Burundi, encore moins lorsque nos propres citoyens sont appelés à se serrer la ceinture », a tenu à rappeler Stéphane De Loecker.
Autre différence avec le Rwanda, l'atmosphère politique est plus ouverte au Burundi. On n'imagine guère à Kigali une levée de boucliers des journalistes contre l'arrestation d'un des leurs, tant l'opération s'avérerait risquée. Or c'est ce qui vient de se passer à Bujumbura : les médias ont menacé de boycotter les cérémonies du cinquantenaire pour protester contre la condamnation à la prison à vie de Hassan Ruvakuki, correspondant de Radio France Internationale. Le journaliste est accusé d'« acte de terrorisme » pour avoir assisté, dans le cadre de son métier, à la naissance d'une nouvelle rébellion burundaise en Tanzanie. Même la radio Rema FM, proche du pouvoir, a donné la parole à des organisations très critiques à l'égard de la justice burundaise.
Reste la question la plus importante : pourrait-on assister à une résurgence des conflits ethniques ? « Depuis l'accord d'Arusha de 2000 et l'adoption de mécanismes de quotas, que je considère comme un facteur de stabilité remarquable dans un pays déchiré par une décennie de guerre civile, je ne vois plus aucun parti mobiliser ses militants autour des questions ethniques, répond Stef Vandeginste, professeur à l'université d'Anvers. S'il y a un blocage politique aujourd'hui, il est d'abord politique, et uniquement au sein du groupe hutu. » Toutefois, l'élément ethnique refait surface sporadiquement, notamment dans des conflits liés aux terres.
Le grand test sera la révision de la Constitution. « Va-t-on simplifier la complexité des institutions héritée de l'accord d'Arusha ? interroge le professeur. Ce faisant, on risquerait de réduire les garanties politiques pour la minorité tutsi, avec tous les dangers qui en découlent. » Le spectre de l'ethnisme pourrait également resurgir à la faveur de la commission Vérité et Réconciliation, qui peine à ouvrir ses travaux douze ans après la décision de sa mise en place. Calquée sur le modèle sud-africain, elle est chargée d'examiner les cas de centaines de personnes accusées de crimes de guerre. « Certains n'ont pas vraiment d'intérêt dans cette commission, qu'ils agitent comme un épouvantail, à commencer par les groupes autour du président et de Pierre Buyoya (son prédécesseur tutsi). »
Entre-temps, une affaire fait grand bruit à Bujumbura. Un activiste des droits de l'homme, Pierre-Claver Mbonimpa, a découvert par surprise que le chef de l'Etat a été récemment disculpé en catimini d'une condamnation à mort pour crimes de guerre. Elle avait été prononcée par contumace en 1998, alors qu'il dirigeait la rébellion hutu des FDD dans la province de Bujumbura rural. Celle-ci était alors accusée d'avoir mené une campagne de terreur, notamment en posant des mines sur les routes qui mènent à la capitale. En 2004, Nkurunziza était revenu au Burundi à la faveur du cessez-le-feu assorti d'une immunité provisoire. Il avait ainsi pu se présenter à la présidentielle de 2005. L'immunité avait été tacitement reconduite jusqu'en 2010. À présent qu'il est innocenté, il ne devra plus faire jouer cette clause, ce qui lui enlève une sérieuse épine du pied en vue d'un troisième mandat en 2015.
François Janne d'Othée
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