L'intervention française au Mali contre les jihadistes était certainement inévitable. Pour autant, les risques de voir apparaître un nouvel Afghanistan aux confins du Sahel ne sont pas à exclure. Une guerre juste ? Sans doute. Mais jusqu'à quand ?
« Une guerre injuste. » La phrase, l'adjectif ne sont pas de l'Égyptien Mohamed Morsi, le seul chef d'État à s'être jusqu'ici ouvertement prononcé contre l'opération militaire française au Mali, mais de l'un des hommes les plus engagés en faveur de cette intervention, l'un des plus lucides aussi sur les risques qu'elle comporte, le Nigérien Mahamadou Issoufou. Près de trois semaines après son déclenchement, cette guerre imposée que François Hollande mène en Afrique sans la vouloir ni l'aimer demeure certes encore très largement aux yeux des opinions occidentale et africaine une guerre juste, mais elle est déjà et sera de plus en plus juste une guerre, ni fraîche ni joyeuse.En France, tout d'abord. Passé les premières images euphoriques des drapeaux tricolores dans les rues de Bamako, l'hiver, les tourments de la crise sociale, les interrogations sur les limites, le cadre et les objectifs de cette guerre sans frontières, sur son coût financier aussi, ont repris le dessus. Les premiers à l'avoir compris sont les médias, contraints de couvrir une opération à huis clos, tenus à distance prophylactique d'un front évanescent par des officiers anonymes qui ne donnent que leurs prénoms, obligés finalement de promener leurs caméras voyeuristes au milieu des cases en banco, des négrillons agglutinés comme au Paris-Dakar et des soldats maliens, en quenouille si possible. Résultat : seize minutes de reportages Mali en moyenne dans les journaux télévisés des grandes chaînes françaises le week-end du 12 janvier, trois minutes une semaine plus tard. Une guerre sans nom et sans visage, ça vous plombe l'audimat...
Dans les immensités rocailleuses du Nord-Mali, les chefs de katiba sont chez eux, aussi mobiles et ductiles qu'un chat serval. Rien à voir avec les blindés de Kaddafi alignés par les Rafale de Sarkozy aux portes de Benghazi.Plus elle se prolongera et plus elle sera complexe à conduire pour l'armée française, face à un adversaire dont le noyau dur, extrêmement aguerri - la plupart des chefs d'Aqmi se sont battus depuis vingt ans en Algérie, en Irak, en Afghanistan, en Libye -, a appris sur d'autres terrains à se protéger des raids aériens, rendant obligatoire une intervention des troupes terrestres dans les immensités rocailleuses du Nord-Mali. Là, les chefs de katiba sont chez eux, aussi mobiles et ductiles qu'un chat serval, rien à voir avec les blindés de Kaddafi alignés par les Rafale de Sarkozy aux portes de Benghazi.
Sur les militaires français et africains, les jihadistes ont en outre un avantage comparatif de taille : le peu de cas, presque le dédain de la vie humaine, la leur et bien évidemment celle des civils. Face à une armée dont le premier mort a donné lieu à des obsèques quasi nationales en présence du Premier ministre, corsetée par des consignes strictes afin d'éviter au maximum les pertes et obsédée par le souci de mener une guerre « propre » tant est fort le traumatisme des désastreuses bavures américaines en Irak et en Afghanistan, ceux pour qui la mort est une forme de délivrance ne jouent évidemment pas dans la même catégorie. D'ailleurs, est-on si sûr que cela de la précision chirurgicale des frappes françaises sur Gao, Tombouctou, Kidal, Léré ? les missiles Sagem à 250 000 euros pièce largués sur les camps et les dépôts d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ont beau être présentés comme autant d'« armes fatales », ils n'ont pas encore été programmés pour éviter les victimes collatérales. À quand les images, sur un site jihadiste, d'une famille de pasteurs songhaïs ou de nomades touaregs fauchés par l'éclat d'une bombe « impie » ?
Narcoterroristes
C'est dans cette dynamique mortifère, génératrice de vocations et donc de recrutements au sein de la frange salafiste maghrébine, que les narcoterroristes du Sahara cherchent à entraîner non seulement l'armée française, mais aussi celles des pays voisins. Le raid sanglant sur In Amenas, qui a contraint pour la première fois un dirigeant algérien - en l'occurrence le Premier ministre Abdelmalek Sellal -, à reconnaître que son pays ne contrôlait pas l'incontrôlable, à savoir la totalité de ses 6 400 km de frontières terrestres (« il nous faudrait deux Otan pour les surveiller »), est à cet égard un relatif succès pour Belmokhtar et ses hommes, persuadés qu'une internationalisation le plus large possible du conflit sert leur cause.
Reste que cette stratégie rencontre pour l'instant des limites précises, tout particulièrement en Afrique subsaharienne, où l'islamisme radical dans ses versions Boko Haram ou Shebab somaliens a tout du repoussoir. Si des récentes interventions françaises, notamment en Côte d'Ivoire, ont pu être perçues comme néocoloniales par une partie de l'opinion, rien de tel au Mali, où les terroristes sont assimilés à un corps étranger - et cela même si un nombre non négligeable de ceux qui combattent en leurs rangs sont des ressortissants maliens. Contrairement à la Centrafrique, où Paris a refusé de s'engager aux côtés du président Bozizé confronté à une rébellion interne, la perception du conflit malien sur le continent est celle d'un pouvoir légitime confronté à une agression extérieure liberticide. Dès lors, il est considéré comme normal que la France assume ses responsabilités dans son ex-colonie. N'a-t-elle pas, en son temps, largement puisé dans la « force noire » des tirailleurs maliens pour défendre ses propres frontières, puis pour qu'elle serve de soutier à son décollage économique ? N'a-t-elle pas involontairement armé les jihadistes en éventrant les arsenaux de Kaddafi et en parachutant à tous vents des armes dans le Sud libyen ? N'a-t-elle pas, soyons réalistes, des intérêts sécuritaires et économiques nationaux et régionaux (notamment l'uranium du Niger voisin) à sécuriser à tout prix ? Pour une fois que la singulière et incestueuse liaison franco-africaine débouche sur une ingérence vertueuse, s'en plaindre serait malvenu.
Plus elle se propage et plus cette intervention est susceptible d'alimenter un malaise latent, pour l'instant sous-jacent, en Afrique et plus particulièrement au Mali.Pourtant, plus elle se propage et plus cette intervention est susceptible d'alimenter un malaise latent, pour l'instant sous-jacent, en Afrique et plus particulièrement au Mali. Et ce ne sont pas les mots de proconsul de l'ambassadeur de France à Bamako ou le lapsus du ministre Le Drian détaillant les moyens aériens disponibles « en métropole », encore moins les fuites sur les consignes données aux militaires français de surveiller de près leurs collègues maliens et africains afin qu'ils s'abstiennent de toute exaction vengeresse qui seraient susceptibles de l'apaiser. Du sentiment d'être libéré à celui d'être occupé, de l'expédition salvatrice à la croisade, le chemin est court ainsi que l'ont expérimenté les Américains, de Bagdad à Kaboul.
Dignité
Pour l'instant, la guerre agit comme une drogue sur la rue bamakoise en dopant les illusions nationalistes. Mais qu'en sera-t-il demain quand ce peuple fier, que la déroute de son armée a humilié, estimera que ce qu'il faut bien appeler une mise sous tutelle par l'armée française (et les contingents africains, pas forcément plus acceptables sur la durée) contreviendra à sa dignité ? À quoi ressemblera ce fameux « jour d'après », ce « Mali, année zéro », quand cet état failli sera confronté aux dures exigences du nation building ? À partir de quel moment François Hollande considérera-t-il que la guerre est finie et qu'il convient pour ses troupes de se retirer ? « Faire en sorte que lorsque nous partirons il y ait une sécurité au Mali, des autorités légitimes, un processus électoral et plus de terroristes qui menacent » : tels sont les objectifs énoncés le 15 janvier par le président français.
Vaste tâche, qui suppose une présence de longue durée alors même que les conditions politiques de la réconciliation entre Maliens du Sud et du Nord ne sont pas réunies. La reconstruction du Mali, qui suppose l'invention d'un nouveau modèle d'État fédéral et, au-delà, une éradication régionale des sources de financement des groupes terroristes nécessite sans doute un accompagnement politique, économique et sécuritaire lourd et de longue haleine, que seule la communauté internationale peut (et doit) offrir. Mais, en même temps, imaginer que ce but sera atteint par la seule botte des soldats de l'ex-puissance coloniale relève de l'aberration. C'est cette contradiction, source de lendemains qui déchantent, que la France, l'Afrique et le Mali doivent désormais gérer.
Jeuneafrique.com
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