(France TV Info 20/02/2013)
La ville est officiellement "libérée" depuis des semaines.
Pourtant, aucun journaliste français n'a pu pénétrer à Kidal. Certes, la
"capitale" touareg de cette région du nord du Mali est loin : à près de 500
kilomètres de Gao, la grande ville du Nord libérée le 26 janvier, où stationne
un important contingent de l'armée française. Mais si Kidal reste absente des
écrans radars des médias, c'est pour une autre raison : là-bas, la France se
retrouve dans un piège diplomatique, dont elle ne sait pas vraiment comment
sortir.
Les soldats maliens priés de rester aux portes de la ville
Contrairement à toutes les autres villes du Nord, où les soldats français
ont chassé les islamistes et épaulent l'armée malienne, de sources concordantes,
Kidal présenterait un singulier spectacle : l'armée française, présente avec une
compagnie d'une centaine d'hommes, ne pénétrerait quasiment pas dans la ville,
se contentant de l'aéroport. Plus de mille soldats tchadiens trépigneraient
d'impatience autour de la cité, sans savoir à quel ordre se vouer. Les soldats
maliens eux-mêmes sont tenus à l'écart.
Et dans la ville, les combattants
du MNLA (les rebelles touareg qui avaient fait alliance avec les islamistes pour
conquérir le nord du Mali avant de se faire évincer par leurs anciens alliés)
paraderaient en faisant le "V" de la victoire. Plus troublant encore, certains
de ces Touaregs seraient en fait d'anciens jihadistes fraîchement
reconvertis.
Jihadistes "en pleine rue"
Les journalistes qui ont pû
entrer dans Kidal sont rares. Saliou, qui souhaite rester anonyme pour sa
sécurité, y est arrivé. De retour à Gao, il est porteur de surprenantes
révélations. "Des jihadistes et même certains chefs d'Aqmi, du Mujao ou d'Ansar
Dine sont là-bas, en pleine rue, assure-t-il. Je les ai vus de mes propres yeux.
Ils m'ont même reconnu." Selon lui, certains chefs islamistes continueraient à y
couler des jours heureux, installés dans des villas cossues. De son propre aveu,
travailler dans la ville a été très difficile pour le journaliste, qui a été
menacé à plusieurs reprises.
Pourtant, haut et fort, Paris réaffirme son
soutien aux Touaregs du MNLA, qui ont d'ailleurs "officiellement" fait
allégeance à la France. "Le MNLA a appelé à aider les Français, précise-t-on
dans l'entourage du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. On essaie de
mettre en place un projet politique malien de réconciliation. La France fait
médiation. Pour l'instant, l'armée malienne ne serait pas la bienvenue à Kidal."
Même soutien du côté des militaires : "Nous travaillons au Mali avec tous ceux
qui ont les mêmes objectifs que la France", précise le colonel Thierry Burkhard,
porte-parole de l'état-major des armées.
Mais en coulisses, d'autres
responsables français se révèlent… nettement plus embêtés.
"C'est vrai
qu'on est gênés aux entournures, avoue un officier français. La France n'a pas
de position claire. La fiabilité du MNLA est très moyenne, et c'est exact qu'il
y a parmi eux de vrais bandits, et même des gens d'Aqmi qui l'ont rejoint. Nous
sommes coincés entre deux instrumentalisations : celle du MNLA qui veut faire
croire à son rôle de chevalier blanc de la cause touareg, et celle du
gouvernement de Bamako, qui ne veut pas ouvrir les yeux sur un réel problème
politique au Nord-Mali."
Indulgence temporaire
Un responsable
politique français enfonce le clou, reconnaissant que les combattants du MNLA ne
sont pas des anges : "Bien sûr, il y a une part de realpolitik là-dedans." Mais
ces rebelles repentis ont une bonne connaissance de la région, du terrain… et du
massif des Ifoghas. "En clair : les Touaregs sont des alliés ou au moins des
informateurs de premier plan sur ces fameuses montagnes du Nord-Mali, où sont
très certainement retenus sept otages français."
Au sein des ministères
et même à l'Elysée, certains l'avouent : il y a actuellement deux "camps" parmi
les autorités françaises. D'un côté, les tenants d'une ligne "dure", qui doutent
de la capacité du MNLA à actionner des leviers pour libérer les otages. Et de
l'autre, les partisans d'une indulgence temporaire, le temps de voir si cette
alliance contre-nature peut porter ses fruits. Une tolérance qui pourrait ne pas
durer éternellement. Comme le résume un haut gradé français : "Les hommes du
MNLA contrôlent Kidal tant qu'on les laisse faire. Pour l'instant, il faut bien
qu'ils soient quelque part. Mais dès qu'on décidera du contraire, cela pourrait
aller très vite."
Une manière de dire que les "rebelles touareg" feraient
bien de donner des gages rapidement.
Loïc de La Mornais, envoyé spécial
de France 2 au Mali
Mis à jour le 20/02/2013 | 14:28 , publié le
20/02/2013 | 14:28
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