(Le Nouvel Observateur 27/02/2013)
Alors que les regards sont tournés vers la traque des
djihadistes au nord, l'avenir du Mali se joue aussi au sud. Non sans
peine.
Organiser au plus vite des élections libres et veiller au respect
des droits de l'homme : telle est la demande pressante qu'une centaine de partis
politiques et d'associations ont adressée, lundi 25 février à Bamako, au
gouvernement de transition.
Qu'est-ce qui les inquiète donc tant ?
Pendant qu'au nord, les projecteurs sont tournés vers les opérations militaires
des armées française, malienne et de leurs alliés africains, qui se poursuivent
contre les djihadistes, au sud, "il ne se passe pas grand-chose et c'est bien là
le problème", juge un diplomate occidental à Bamako. Or l'avenir du Mali se joue
tout autant au nord qu'au sud.
Des élections en juillet
?
Pourtant, en intervenant militairement dans le désert du Nord-Mali, la
France a aussi changé la donne à Bamako. Elle a sauvé in extremis le président
intérimaire et son gouvernement d'un nouveau coup d'Etat (voire peut-être
empêché que Bamako ne tombe aux mains des djihadistes), renforcé leur autorité
et obtenu enfin l'adoption, fin janvier, d'une feuille de route prévoyant des
élections et un dialogue national. Bamako semblait sur la bonne voie. Mais
depuis, le gouvernement semble être revenu à son état
d'apesanteur.
Certes, il y a des annonces. Le président intérimaire
Dioncounda Traoré a dit espérer pouvoir organiser les élections avant le 31
juillet. Un délai jugé toutefois "ambitieux" par les observateurs occidentaux.
"Ça va être juste sur le plan sécuritaire au nord, sur le plan technique avec la
mise en place d'un fichier électoral biométrique, et sur le plan de la
préparation des esprits, extrêmement divisés dans un climat politique qui est
loin d'être apaisé. Mais on ne veut pas décourager les bonnes volontés",
commente le même diplomate.
Se réconcilier, mais avec qui ?
C'est
avec le même état d'esprit que la communauté internationale semble accueillir la
création d'une Commission de dialogue et de réconciliation. Bien qu'elle soit
annoncée pour la fin du mois, on n'en connaît encore ni la composition ni les
objectifs.
Mais on en sait déjà suffisamment pour en conclure que "le
gouvernement n'est pas prêt à s'engager dans une dynamique de sortie de crise
avec tous les acteurs", déplore le chercheur Gilles Yabi, directeur du bureau
Afrique de l'Ouest de l'organisation International Crisis Group.
"Le
Premier ministre Diango Cissoko répète à qui veut bien l'entendre que le
gouvernement ne va discuter qu'avec les élus et les représentants des
communautés du nord. Qu'il est hors de question de parler aux groupes armés",
explique le diplomate joint par "Le Nouvel Observateur".
"Et chaque fois
que l'on parle du MNLA [Mouvement national de libération de l'Azawad des
touaregs indépendantistes, NDLR], ça l'énerve très fortement." Ce durcissement
s'est traduit récemment dans les faits avec les mandats délivrés par la justice
malienne contre des membres du MNLA et des groupes islamistes du nord.
Le
MNLA ne se fait pas d'illusion sur les intentions de Bamako : "Les termes
'négociation' et 'médiation'" ont disparu du vocabulaire des autorités",
remarque Moussa ag Assarid, représentant du mouvement indépendantiste touareg en
Europe, qui accuse Bamako de "déni" de la question touarègue. "La position du
MNLA n'est pas claire et celle des autorités maliennes frise parfois le
racisme", résume le diplomate. Difficile d'entrevoir une possible réconciliation
dans ce contexte... Au point que la France se retrouve à jouer un rôle de tampon
entre les deux, en refusant à l'armée malienne l'accès à la ville de Kidal, au
Nord, fief des rebelles touaregs.
Le dialogue nord-sud est d'autant plus
complexe qu'"il y a aussi besoin d'un dialogue intercommunautaire qui soit
d'abord nord-nord afin que toutes les communautés, touarègues, peules, songhaïs,
etc, puissent revivre ensemble", souligne Gilles Yabi. "Et on en est encore loin
: exactions, règlements de compte, réfugiés en dehors du pays qui ne sont pas
encore prêts à un retour… Cette question pourrait être la priorité de la
Commission", espère-t-il.
Sanogo toujours en selle
Reste également
à mettre en place un dialogue politique pour aller aux élections avec l'adhésion
de tous les principaux acteurs politiques, pro et anti putschistes. Or, là
aussi, la sortie de crise est semée d'embûches. Les récentes échauffourées qui
ont opposé deux factions de l'armée malienne, les bérets verts et les bérets
rouges, et la série d'interpellations d'hommes politiques par la sécurité de
l'Etat sont autant de signes inquiétants qui montrent combien le climat est
encore électrique à Bamako.
L'une des principales menaces pesant sur la
transition, le capitaine putschiste Sanogo, auteur du coup d'Etat du 22 mars
2012 qui a plongé le Mali dans la crise, conserve lui aussi un pouvoir de
nuisance. Investi mi-février à la tête d'un comité chargé de la réforme de
l'armée malienne, il a accepté de quitter la caserne de Kati pour s'installer au
siège de l'état-major des armées dans la capitale. Objectif de l'opération : le
cantonner dans ce rôle et le rendre du coup plus contrôlable.
Mais "si
son influence politique a été réduite par l'intervention militaire française, il
a encore un certain ascendant sur l'armée, il a des hommes au sein du
gouvernement et va continuer à avoir un rôle dans les mois qui viennent",
avertit Gilles Yabi. "Dans la feuille de route, son nom ne figure pas dans la
liste des personnalités de la transition qui ne pourront pas se présenter aux
élections... On l'a bien remarqué", souligne le diplomate.
Dans un tel
contexte, conclut ce dernier, "ce qui compte c'est que l'on aille à ces
élections. Les autorités de transition sont trop fragiles pour prendre des
engagements sur le long terme aussi lourds qu'une refonte de l'Etat malien."
Bref, le plus vite sera peut-être le mieux.
Par Sarah
Halifa-Legrand
© Copyright Le Nouvel
Observateur
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire