Les soldats des armées française, malienne et nigérienne continuent de progresser dans le nord du Mali. Mais dans les zones reprises, l'armée malienne est accusée de recourir à la torture et aux meutres contre les suspects.
Gao (Mali) - Des islamistes faits prisonniers à Gao. Dans le Nord du pays, l'armée malienne a régulièrement recours à la torture et au meurtre contre les suspects de soutien aux groupes islamistes armés au temps de leur domination, selon de nombreux témoignages
afp.com/Pascal Guyot
Dans le Nord du Mali, l'armée malienne a régulièrement recours à la torture et au meurtre contre les suspects de soutien aux groupes islamistes armés au temps de leur domination, ont constaté des médecins et militaires maliens, des soldats français et un journaliste de l'AFP.
L'ampleur du phénomène reste difficilement quantifiable: s'agit-il d'une stratégie de contre-insurrection dans une région plus favorable aux islamistes qu'ailleurs au Mali, ou de dérapages d'esprits échauffés?
Le colonel Saliou Maïga dirige la gendarmerie de Gao, à 1200 km au nord-est de Bamako. Il a recensé plusieurs cas de torture et penche pour la deuxième hypothèse: "les soldats, s'ils ne sont pas contrôlés par leurs chefs, peuvent faire n'importe quoi".
Certains de ces militaires, souvent mal encadrés, sont portés sur l'alcool, voire la drogue. Et si les islamistes ont commis de nombreuses exactions (amputations, lapidations...) au nom de la loi islamique, ces soldats semblent également avoir peu de respect pour la vie humaine.
Plusieurs ont ainsi tiré sur des personnes désarmées passant à proximité lors d'affrontements avec un petit groupe de jihadistes, le 10 février dans le centre de Gao, a constaté un journaliste de l'AFP. Des militaires maliens et français estiment que les victimes civiles ce jour-là (au moins trois morts et 15 blessés) étaient "essentiellement" dues à l'armée malienne.
Les accusations d'exactions contre cette dernière se multiplient depuis le début de l'opération française Serval le 11 janvier, dans la presse, de la part d'ONG (Human Rights Watch, Amnesty International, Fédération internationale des droits de l'Homme) et des communautés arabes et touareg.
Ces deux ethnies sont surnommées "peaux blanches" par la population noire majoritaire, qui les accuse souvent d'être "tous des terroristes" et mène aussi, par endroits, des représailles ethniques sans discrimination.
Acide dans les narines
Les ONG parlent de "graves abus", dont des meurtres, dans et autour de la ville de Niono (ouest), d'"une série d'exécutions sommaires" près de Mopti et Sévaré (centre), où sont également rapportées des "violences sexuelles contre des femmes", et dans d'autres localités dans "les zones d'affrontements".
Un journaliste de l'AFP a pu voir quatre "peaux blanches", à Gao et Tombouctou, portant des traces de torture: brûlures de cigarettes, à l'électricité, à l'acide, os brisés, marques de coups et de strangulation, balles dans le corps, violences sexuelles.
Dans l'une des villes (à leur demande, l'AFP ne nomme ni ne localise les victimes), un homme affirme qu'après l'avoir tabassé et brûlé à la cigarette, des soldats maliens lui ont versé de l'acide dans les narines. "C'est peut-être parce que je suis Tamashek (Touareg), je ne vois pas d'autre raison", juge-t-il. "Je sais qu'il n'est pas un islamiste", assure son médecin, qui lui prédit une courte existence: "l'acide va entraîner un rétrécissement de l'oesophage, voire un cancer".
Ailleurs, une "peau blanche" gît sur son lit de douleur, des os brisés, plusieurs balles dans le corps. Là encore, l'armée a sévi, dit le jeune blessé à l'AFP. Son médecin précise qu'il a été violé.
A Tombouctou, des journalistes de l'agence américaine Associated Press (AP) ont également affirmé avoir découvert deux Arabes enterrés dans le sable, près de la ville. La famille de l'un d'eux a expliqué que la victime avait été arrêtée par les forces maliennes deux semaines auparavant. Plus de nouvelles ensuite, jusqu'à la découverte de son cadavre.
Des soldats français écoeurés
Depuis, des soldats maliens sont venus plusieurs fois voir les journalistes d'AP, selon une source militaire française et un journaliste sur place. Pas de menaces physiques, selon ces sources, mais une insistante pression psychologique. L'agence n'a pas souhaité s'exprimer.
A Gao et Tombouctou, des soldats français ayant vu agir leurs homologues maliens confient leur écoeurement. "Ils traitent leurs prisonniers comme des chiens", dit l'un. Un autre explique: "la hiérarchie (de l'armée française) a semblé inquiète, mais ensuite ça se joue à Paris". Le porte-parole de l'opération Serval à Bamako, le lieutenant-colonel Emmanuel Dosseur, n'a pas souhaité faire de commentaire sur le sujet.
Des soldats français et africains à Bourem
Des soldats français, maliens et nigériens sont entrés dimanche matin dans la ville de Bourem, située entre Gao et Kidal, dans le nord du Mali. Les soldats des trois armées sont arrivés par voie terrestre en provenance de Gao, située à environ 80 km au sud, sur le bord du fleuve Niger. Bourem constitue un point de passage pour se rendre à Kidal, située à quelque 150 km au nord-est, depuis Tombouctou.
Les militaires ont été chaleureusement accueillis par la population de Bourem qui brandissait des petits drapeaux français et maliens. Les villes de Gao, Tombouctou et Kidal, les trois principales du nord du Mali, ont été reprises par les armées française et malienne en quatre jours fin janvier, mettant fin à leur occupation pendant neuf mois par les groupes islamistes armés liés à Al-Qaïda.
Ces islamistes ont fui sans combattre, mais certains avaient ensuite réussi à s'infiltrer dans Gao, y commettant il y a neuf jours les premiers attentats-suicides de l'histoire du Mali, suivis il y a un semaine de combats de rue en centre-ville avec des soldats maliens et français. D'autres se sont retranchés dans les régions de Kidal et Tessalit, dans la région des Ifhogas, un massif montagneux proche de la frontière avec l'Algérie. Jeudi, l'armée française indiquait qu'elle était "dans une phase de sécurisation" de ces zones, en particulier vers Tessalit, où elle traque les combattants jihadistes.
Les 4000 militaires français de l'opération Serval sont appuyés par quelque 4300 soldats africains, dont 1800 Tchadiens.
Avec
LEXPRESS.fr
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