(Le Monde 21/02/2013) Le premier ministre du premier gouvernement tunisien dominé
par un parti islamiste, Ennahda, a jeté l'éponge. "Je m'étais engagé à
démissionner si l'initiative de former un gouvernement de compétences nationales
ne réussissait pas et c'est ce que j'ai fait aujourd'hui", a déclaré Hamadi
Jebali à l'issue d'un entretien avec le président Moncef Marzouki mardi 19
février.
Fin de l'expérience née il y a quatorze mois mais peut-être pas
la dernière pour M. Jebali. Dans la soirée, son entourage jugeait "très
probable" sa reconduction aux mêmes responsabilités...
Le premier
ministre s'est en effet dit "prêt à rester au service du peuple", tout en posant
ses conditions : la formation d'un gouvernement "à l'abri de tout tiraillement
politique" et l'organisation, dans les plus brefs délais, de nouvelles
élections. La crise politique tunisienne, précipitée par l'assassinat le 6
février de l'opposant de gauche Chokri Belaïd, n'est pas près de se
refermer.
Bien que, dans l'attente de la future Constitution, les textes
juridiques provisoires soient très flous sur le sujet - le cas d'une démission
n'étant curieusement pas envisagé -, il revient au président Marzouki de
désigner le nouveau chef de gouvernement après s'être entretenu avec le
président d'Ennahda, Rached Ghannouchi, détenteur du plus grand nombre de sièges
à l'Assemblée (89 sur 217).
CLAN DES "PRAGMATIQUES"
Or c'est
précisément au sein du parti islamiste que le bât blesse.En réclamant la
formation d'un gouvernement apolitique, composé d'experts censés gérer les
affaires du pays d'ici aux prochaines élections, M. Jebali, secrétaire général
d'Ennahda – depuis 1981 ! –, n'a pas seulement affronté sans détours les
conservateurs de son parti hostiles à cette initiative. Il s'est posé
ouvertement en concurrent direct de son chef de file, Rached Ghannouchi, en
prenant la tête d'un clan décrit comme "pragmatique".
Hamadi Jebali est
celui qui a tenu le parti, de l'intérieur du pays, en en payant le prix fort :
seize années de prison, dont dix à l'isolement sous l'ancien régime de Zine
El-Abidine Ben Ali chassé du pouvoir en janvier 2011. Une épreuve qui lui a
permis de côtoyer d'autres opposants et de rester en prise avec la réalité
tunisienne. Ce clivage entre les "prisonniers de l'intérieur" et les "exilés",
les responsables d'Ennahda, contraints à la fuite à l'étranger pour échapper à
la répression, comme Rached Ghannouchi, est une clé du conflit. L'exercice du
pouvoir en est une autre.
"Si je reste, je ne me présenterai pas aux
prochaines élections. Si je démissionne, c'est autre chose...", avait confié, il
y a peu, le chef du gouvernement au Monde. Quoi qu'il fasse, même minoritaire
dans sa propre famille politique M. Jebali a de toute façon gagné dans l'opinion
publique tunisienne une image d'homme d'Etat, prêchant l'intérêt général
au-dessus de la vie partisane. Ainsi, la scène des deux réunions qu'il a tenues
avec 14 chefs de parti rassemblés autour de la même table, le bourguibien Béji
Caïd Essebsi côtoyant l'ennemi islamiste Rached Ghannouchi, a été abondamment
diffusée.
SOUTENU PAR L'ENSEMBLE DES PARTIS PROGRESSISTES
Mieux :
le militant qui, en pleine campagne pour les élections d'octobre 2011, s'était
laissé aller à prôner un "sixième califat " en Tunisie est désormais soutenu par
l'ensemble des partis progressistes qui, quelques semaines auparavant, ne
cessaient de le critiquer à tours de bras... Enfin, originaire de Sousse, il
dispose d'un atout majeur : le soutien du "clan du Sahel" dont fait partie le
chef d'état-major de l'armée, Rachid Ammar, qui a, de tous temps en Tunisie,
fait et défait la classe politique.
Tous ces éléments expliquent
l'embarras d'Ennhada à propulser sur le devant de la scène, d'éventuels
remplaçants à son propre secrétaire général. Certes, le parti islamiste n'a pas
cédé à l'idée de composer un gouvernement d'experts.
Mais il a dû,
contraint et forcé, s'adapter, en négociant dans l'urgence une nouvelle majorité
à l'Assemblée, et accepter de revoir à la baisse sa position. Deux noms figurent
sur sa liste pour succéder à M. Jebali, Abdellatif Mekki, ministre de la santé,
et Mohamed Ben Salem, ministre de l'agriculture. Mais ils restaient jusqu'à
mardi soir, à l'état "d'options".
Par Isabelle Mandraud
© Copyright Le
Monde
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire