(AgoraVox 21/02/2013) Cette affaire dépasse l’imagination des meilleurs auteurs de
romans policiers, mais elle est pourtant bien réelle, pathétique, et, plus que
tout, bien triste pour le peuple béninois, ami de la France, et dont le
Président Thomas Boni Yayi fut d’ailleurs le premier chef d’Etat étranger reçu
par François Hollande au lendemain de son élection en mai dernier. Quelqu'un a
tenté d'assassiner le président du Bénin : tous les yeux se tournent alors vers
un richissime homme d'affaire béninois soupçonné de corrompre toute la filière
nationale du coton, c'est « l'affaire Talon ».
Mais alors, quelle est
cette histoire que l’on appelle « l’affaire Talon » ? Tout commence en 2011,
quand les autorités béninoises sont alertées par les rendements décevants de la
filière coton, malgré des investissements colossaux (92 milliards de FCFA, soit
plus de 140 millions d’euros) engagés depuis 2006 par le Gouvernement. Le genre
d’alerte qui ne passe pas inaperçue dans un pays où le coton représente à la
fois 45 % des rentrées fiscales, 80 % des recettes d’exportations, 13 % du PIB
et 60 % du tissu industriel.
Or, Patrice Talon est un acteur
incontournable du coton béninois depuis le milieu des années 80 et plus encore
dans les années 90, où il prend le contrôle de l’Association
interprofessionnelle du coton (AIC) et met la main sur le crucial « Comité de
contrôle de gestion de la centrale de sécurisation de paiement et de
recouvrement » (CSPR) dont il devient le président. Il étend son emprise aux
intrants de la filière (graines, engrais, insecticides) au cours des années 2000
en s’emparant de la Société Nationale de Promotion Agricole (SONAPRA) et
acquiert dans le même temps plusieurs usines d’égrenages.
Dans le même
temps, au cours de l’année 2011, des signaux commencent d’affluer de tout le
Bénin faisant état de la pénurie d’intrants dans les circuits de la filière
agricole. C’est dans ce contexte que le Président de la République, Thomas Boni
Yayi, et son Gouvernement, commandent une série d’audits auprès des corps
d’inspection de l’Etat pour comprendre les causes du décrochage de la filière.
Les conclusions, accablantes, dessinent un véritable système organisé de
corruption, de détournement de fonds et de spoliation de la richesse nationale,
le coton, à l’échelle du pays tout entier et au centre duquel se trouve le
richissime homme d’affaire béninois
Le rapport de la commission
d’enquête a mis en lumière un dispositif de fraude visant à sous-estimer la
production nationale de coton, causant pour la seule campagne 2011 / 2012 un
préjudice d’environ 20 milliards de FCFA (plus de 30 millions €). L’enquête sur
l’utilisation des subventions d’Etat au soutien des producteurs de la filière
coton estime quant à elle que près de 14 milliards de FCFA (plus de 21 millions
€) pour la seule période 2008 / 2012 ont été frauduleusement
encaissés.
Enfin, en mai 2011, la société Bénin Control, dont
Patrice Talon est le président du Conseil d’administration, éjecte la société
suisse SGS avec laquelle elle a remporté le marché public —pharaonique— portant
sur le Programme de Vérification des Importations (PVI) au port de Cotonou.
C’est dans ces conditions que l’Etat du Bénin a été amené à
déposer plusieurs plaintes au premier semestre 2012. Le 7 mai, trois plaintes
sont déposées, deux à l’initiative du Ministère de l’agriculture contre
l’Association Interprofessionnelle de Coton (AIC) et une à celle de producteurs
de coton pour « détournement de coton » et « détournement de subventions
publiques ».
Puis à nouveau, le 20 septembre 2012, une nouvelle
plainte est déposée à l’initiative des services de douane contre la société
Bénin Control SA, dans le cadre de laquelle Patrice Talon aurait perçu
frauduleusement d’importantes sommes d’argent liquide.
De la
cavale à la tentative d’empoisonnement
Déjà, à l’occasion de ces
premières plaintes, Patrice Talon est placé en garde à vue où il est entendu à
plusieurs reprises. Et c’est dans les jours qui ont suivi que, pour tenter
d’échapper à l’étau judiciaire, l’homme d’affaire s’est frayé un chemin hors du
Bénin, partant d’abord vers les Seychelles, l’Allemagne, avant de se réfugier
finalement à son domicile parisien.
La cavale n’interrompt pas pour
autant le travail de la justice qui est saisie de nouvelles plaintes : le 30
novembre à l’initiative du Ministère de l’Economie contre Patrice Talon,
toujours concernant Bénin Control, pour manœuvres frauduleuses ; puis à nouveau
le 25 janvier 2013 à l’initiative des douanes béninoises contre Bénin Control
pour avoir détourné à son profit des sommes revenant à la Caisse centre de la
Recette des Douanes ; puis enfin, le 31 janvier 2013, contre Patrice Talon et
Bénin Control conjointement, pour
escroquerie.
« Tentative d’assassinat
et association de malfaiteurs »
C’est une fois arrivé à Paris
qu’il aurait commencé d’échafauder la tentative d’empoisonnement du Président
dont il est aujourd’hui accusé. A cette fin, il aurait fait substituer aux
médicaments habituellement pris par le chef de l’Etat une substance mortifère,
le tout dans leur emballage d’origine. Pour cela, Patrice Talon aurait suivi les
déplacements officiels de la délégation béninoise, notamment à New York, au
cours de l’assemblée générale des Nations Unies en septembre 2012, puis à
Bruxelles le 17 octobre 2012. Au cours de ce dernier déplacement il aurait
corrompu Ibrahim Mama Cisse, médecin personnel du Chef de l’Etat, ainsi que
Zoubérath Kora qui n’est autre que la nièce du Président et son assistante
personnelle, à qui il aurait versé 2 milliards de francs CFA.
Les produits toxiques aurait été remis par Patrice Talon à un
intermédiaire, Moudjaidou Soumanou, qui les aurait fait parvenir d’Europe à Mama
Cisse par un vol du 19 octobre, ce dernier les confiant enfin à Madame Kora, qui
devait les administrer au Chef de l’Etat le samedi 20 octobre 2012. Ces trois
personnes ont reconnu devant le juge d’instruction béninois avoir participé à la
tentative d’assassinat et sont actuellement détenues au Bénin.
Malgré des moyens considérables déployés et des complicités
importantes dans l’entourage proche du Chef de l’Etat, la tentative d’assassinat
est fort heureusement déjouée au dernier moment.
Les aveux
spontanés recueillis par les enquêteurs, réitérés devant le juge d’instruction,
non contestés et non remis en cause depuis, ont conduit à l’inculpation de deux
autres individus de nationalité béninoise, dont M. Patrice Talon. Les autorités
béninoises ont, le 22 octobre 2012, délivré un mandat d’arrêt international à
son encontre pour association de malfaiteurs et de tentative d’assassinat et le
5 novembre 2012 les autorités françaises étaient rendues destinataires d’une
commission rogatoire et d’un mandat d’arrêt international. Le 6 décembre 2012,
la police française mettait fin à la cavale de Patrice Talon en l’interpellant.
Il était ensuite placé sous contrôle judiciaire. Le 7 décembre 2012, les
autorités béninoises adressaient au Gouvernement français une demande
d’extradition.
Aujourd’hui, où en sommes nous
?
Tandis que la demande d’extradition est actuellement instruite
par les autorités françaises, Patrice Talon tente de masquer toutes ses
malversations financières par une diversion bien grossière, mais orchestrée avec
vigueur : celle d’une supposée vengeance du Président Boni Yayi, qui lui aurait
demandé de corrompre des hommes politiques pour modifier la constitution, lui
permettant ainsi d’enchainer sur un troisième mandat.
Pourtant,
dès son discours d’investiture de second mandat, le Président Boni Yayi s’est
engagé publiquement à ne pas modifier la constitution pour solliciter un
troisième mandat, un engagement réaffirmé maintes et maintes fois depuis :
citons notamment la dernière rencontre avec le Pape Benoit XVI en novembre 2012,
lors de ses vœux en début d’année 2013 et puis tout récemment lors de sa
conférence de presse du 7 février à Paris, au lendemain de son déjeuner de
travail avec François Hollande au sujet de la crise malienne.
En
outre, le Président Boni Yayi a demandé à ce que l’Assemblée adopte sur son
initiative une disposition visant à exclure du champ du référendum cette
question du mandat présidentiel, chose acquise depuis la loi du 18 janvier 2012.
Concrètement, seule une majorité qualifiée des 4/5ème des députés rendrait
désormais une telle modification constitutionnelle éventuellement possible.
Autrement dit, la défense de Patrice Talon résiste bien mal à l’épreuve des
faits. Par ailleurs, si les opposants et partisans de Boni Yayi peuvent se
battre sur les choix politiques du Gouvernement, la démocratie et l’Etat de
droit sont bel et bien ancrés au Bénin, depuis l’entrée en vigueur de la
constitution de 1990 et renforcés depuis, notamment à l’initiative de Boni Yayi
qui a par exemple aboli la peine de mort et modernisé le code électoral
béninois.
En vérité, les faits qui sont reprochés à Patrice Talon
relèvent tout bonnement du droit pénal commun. La procédure d’extradition en
cours d’instruction permettrait à la justice béninoise de faire son travail et à
la filière coton de retrouver un peu de sérénité, le tout, in fine, dans
l’intérêt des Béninois.
par gotuenvi
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