lundi 2 mai 2011

Côte d'Ivoire -Cas IB : Autopsie d’une victoire au forceps

(Eburnews 02/05/2011)

Avoir survécu au régime qu’il a fait tomber (PDCI), avoir survécu au régime qui l’a conduit à l’exil (CNSP), avoir survécu au régime qu’il a combattu et vaincu les généraux (LMP), et au finish se faire tuer par le régime pour lequel il s’est battu pour permettre l’accession au pouvoir (RHDP), reste une facétieuse ironie du sort digne des films d’horreur les plus tordus. Echapper à son ennemi et se faire tuer par sa mère. Tel pourrait se résumer l’étrange et tragique destin de Ibrahim Coulibaly dit « IB ».
On est arrivé à prendre vivant, sans aucun préjudice physique, l’un des hommes les plus armés de la planète et une centaine de personne avec lui, qui ont subi les assauts simultanés de l’ONU, des forces Licornes, des FRCI qui ont pilonné sa résidence sans discontinuer. Cet homme a livré contre ces forces réunies l’une des résistances les plus farouches et les plus mémorables de l’histoire des assauts de guerre. Il avait près d’une centaine de personnes que l’on pourrait assimiler à des otages. Cependant il a été pris vivant. Sur instruction ferme du Président de la république.
Que l’on m’explique alors comment un allié, de surcroit qui a des faits d’armes en faveur de l’installation de la démocratie naissante, peut-il être tué lors de son arrestation ? Alors que les FRCI nous révélaient à la télévision qu’elles n’ont rencontré aucune résistance à Abobo dans la fief d’IB. Est-on tenté de penser que pour cette fois-ci, les forces avaient reçu des instructions contraires à celles reçues pour le cas précité ? Même le général Dogo Blé a été arrêté sans être tué ? Pourquoi IB devrait-il être tué ? Quelle est donc la gravité de son crime pour ne même pas mériter un jugement ?
Comment compte-t-on faire accepter à la population d’Abobo et d’Anyama cette mort et à toutes les personnes qui avaient tant de sympathies pour IB et ses actions, y compris même dans les motivations et revendications de sa non reddition qu’il expliquait par le fait qu’il voulait qu’on prenne en compte les éléments qui ont combattu à ses côtés dans l’intégration de l’armée ? Quelle couleuvre va-t-on faire avaler à la communauté internationale aussi complaisante soit-elle ?
Mon désarroi est sans limite. Et la peur commence à me gagner. Et pire que la peur le doute commence à s’insinuer en moi d’une façon insidieuse. Avons-nous trop tôt applaudi la victoire du RHDP ? Toute opposition ou doléance inappropriée devrait-elle être réprimée par une exécution extra-judiciaire ? Comment en est-on arrivé à la mort de IB ? IB, comme tout le monde pouvait le deviner, n’avait presqu’aucune chance d’être pris vivant par les FRCI. L’argument comme quoi IB avait retenu des familles en otage et tués des FRCI est digne d’un montage de la RTI-LMP. Le destin de IB était déjà scellé dès l’attaque de son fief. Prise d’otage ou pas, il devait être exécuté sans la présence des forces impartiales. La prise d’otages utilisés par beaucoup d’insurgés est un moyen pour conduire l’adversaire à ne pas se faire tuer avant de se rendre. Ce motif n’est donc pas suffisant pour expliquer sa mort.
Devons-nous déjà déchanter avant même d’avoir chanté la victoire du RHDP ? Je suis prêt à mourir pour la démocratie, pour le respect du peuple exprimé par son suffrage universel. Mais jamais pour une démocratie où l’on doive éliminer physiquement ces adversaires gênants et maintenir en vie ceux qui ont le plus endeuillé le pays pour l’intérêt qu’il présente tel Yao N’dré pour l’investiture. Tous doivent vivre et répondre devant la justice. Le peuple n’a pas investi le RHDP du droit de décider de qui doit vivre ou de qui doit mourir. Et plus que cela, vous n’avez surtout pas le droit de briser l’espoir du peuple qui a placé sa confiance en vous. Nous avons passé tant de moments à nous cacher des miliciens et mercenaires du FPI, si nous devons encore en faire autant pour les FRCI. A qui devrions-nous nous adresser désormais ?
Pourquoi ne pouvons-nous jamais nous asseoir pour régler nos différends sans la maléfique tendance à nous éliminer. Toujours au nom du sacro-saint pouvoir.
Dans la suite des règlements de compte, qui est le prochain sur la liste. Est-ce un ratissage ou une épuration ? Devrais-je me considérer en danger dans la nouvelle Côte d’Ivoire ? J’aurais fait le pari d’affirmer que c’est dans le monde imaginé avec ADO au pouvoir que je me sentirai le plus en sécurité quel que soit ce que j’aurai à dire. Mais aujourd’hui, j’ai de forts doutes. Si tel est le cas, nous devrions revoir les fondements et les fondations de la démocratie en Afrique. Quel que soit ce que l’on reprochait à IB, il y a une justice pour le châtiment. On ne peut pas expliquer sa mort par la légitime défense. Ni l’attaque de son fief par l’urgence de pacification. La logique aurait voulu que l’on pacifie plus rapidement Yopougon en proie aux miliciens qui endeuillent les populations, plutôt que Abobo, que IB avait déjà pacifié. Aucune menace ne pesait, dans l’urgence, sur la population d’Abobo sinon beaucoup moins que la population de Yopougon. IB est mort. Yopougon est toujours aux mains des miliciens. Etrange logique ! Ou sombre empressement de règlement de compte.
Comme une funeste prémonition, la veille de la mort de IB, je lui ai adressé un message dans un article publié dans le site www.lebanco.net sous le titre « Quiconque réclame la gratitude, mérite l’ingratitude ». Ce fut, sans le savoir, un requiem pour lui. Dans cet article, je demandais au FRCI d’assurer la sécurité d’IB car son entêtement à ne pas désarmer relevait d’une crainte pour sa sécurité compte tenu de ses rapports sulfureux avec le premier ministre Soro Guillaume. Et j’y évoquais la possible tentation des FRCI de se venger. Quelle malheureuse coïncidence que ce soit ce que je craignais et qu’IB aussi craignait soit ce qui arriva.
Nous avons voté le RHDP, pour que les ivoiriens attachés à l’espoir d’une nouvelle Côte d’Ivoire dans laquelle il existerait une égalité de chance et de justice pour tous soit une réalité.
Si IB n’est pas le père de la démocratie en Côte d’Ivoire, IB reste et restera pour tous le père de la contrainte d’application de la démocratie en Côte d’Ivoire qui a permis par son putsch qu’un homme privé de sa citoyenneté puisse devenir citoyen ivoirien et finalement devenir Président de la République. Ce n’est point la communauté internationale qui a permis cela. Celui qui a permis cela porte un nom : C’est Ibrahim Coulibaly. Soro Guillaume lui doit entièrement son entrée au sommet dans la politique en acceptant le secrétariat de la branche politique de la rébellion. Abobo, Anyama, et le RHDP lui doivent les premières étincelles d’espoir dans le combat militaire contre le pouvoir Gbagbo.
Personne ne peut effacer ni oublier cela. Pas même la mort d’IB.
IB s’est trouvé dépossédé de la gestion de la rébellion armée du Nord dont il fut le père. Il combattait pour retrouver sa place usurpée avec la même abnégation que le Président Ouattara s’est battu pour retrouver le palais présidentiel usurpé.
Le gag de l’histoire c’est d’avoir le sentiment aujourd’hui que chaque ivoirien a plus peur pour sa sécurité dans le régime RHDP que celui du LMP.
Nous avons mené le combat RHDP pour que naisse et vive la démocratie dans la confraternité. Pour que chaque africain, puisse selon ses capacités et sa volonté, trouver un espace sécuritaire et juridique fiable pour l’éclosion de son génie créateur afin que chacun à sa façon puisse participer au développement de la nation. Des milliers d’africains à forte capacité intellectuelle et créatrice sont confinés en Occident où ils dévergondent, galvaudent et bradent leurs talents et leur génie dans des conditions parfois inhumaines et infamantes en entretenant l’illusion aux parents restés au pays d’une vie d’eldorado. Tous rêvent de revenir en Afrique. La seule condition ? La naissance d’un Etat de droit, démocratique, sécurisé et juste pour chaque individu. Tant que cela n’adviendra pas, 90% des africains rêveront de partir en Occident. Les 10% restant sont ceux qui font et défont la loi et qui sont au pouvoir. C’est à cette problématique que devrait répondre le Président Ouattara. Et c’est uniquement pour cela que nous l’avons voté. L’espoir d’une espérance réelle pour tous.
En tant que partisan de l’Etat de droit, le cas IB et le cas Désiré Tagro, sont deux évènements dans le RHDP qui ne me rassurent point. Tout être humain a droit à être jugé quel que soit son crime. Il n’appartient à personne sauf à Dieu d’ôter une vie. Et la réplique qui consiste à dire que mon adversaire aussi a commis des crimes odieux, révèle en général une limite d’élévation et de la non existence d’un Etat de droit. Je suis cependant prêt à parier que le RHDP dans sa majorité ne s’inscrit pas dans cette logique.
Ma foi et mon espoir au RHDP et en son Président Ouattara sont si forts que je crains qu’ils ne me conduisent à vous juger trop tôt et à espérer de vous ce que Dieu lui-même hésite à offrir à l’Afrique : la fierté d’être africain.
Contrairement à ce que pense une certaine presse étrangement soumise subitement aux joyeusetés de la pensée unique, la mort de IB ne consolide en rien le pouvoir du Président Ouattara. Bien au contraire. Son électorat est sérieusement traumatisé et divisé aujourd’hui. Et on ne s’assure pas une consolidation en éliminant physiquement l’objet de nos frayeurs. Et c’est par ce type de lecture et d’écriture sibyllines faites complaisamment par la presse au pouvoir en place, que vous conduisez ce pouvoir à la perdition. Aimer son peuple, c’est être capable de dire au Président ce qui ne va pas. Il attend de vous, la vérité. Si nous n’avons rien appris de cette épreuve que nous sommes en train de traverser, alors Dieu aura toutes les raisons de quitter définitivement la Côte d’Ivoire. Fusse-t-elle tant bénie.
Excellence Monsieur le Président Ouattara, les ivoiriens ont peur. Militants RHDP et LMP confondus.
Cher Frère IB, l’Afrique libre et la démocratie naissante, te saluent bien bas.
Que la terre de tes ancêtres te soit légère.
IB est mort. Vive IB. Vive la démocratie.

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