(Rue 89 28/06/2010)
Des éleveurs masaï, enroulés dans leur traditionnelle toge rouge, scrutant l'horizon. L'image est connue. Mais le mode de vie semi-nomade de ce peuple d'Afrique de l'Est est aujourd'hui en danger.
Le 16 mai dernier, des Masaï ont manifesté dans le Nord de la Tanzanie. Un investisseur français envisage en effet de construire un hôtel sur leurs terres ancestrales situées près des parcs nationaux, très fréquentés par les touristes. Ce n'est pas la première fois qu'ils apprennent une telle nouvelle. Quand ils ne se font pas tout simplement déloger…
Ainsi en juillet 2009, la tournure des évènements fut des plus graves dans le Nord du pays. Avec comme protagoniste, cette fois, la famille royale des Emirats arabes unis.
La délicatesse des Emirats…
Les richissimes ressortissants des Emirats, qui possèdent la compagnie de chasse Otterlo, ont le droit de tuer depuis 1992 des animaux dans des réserves leur appartenant (près de 4 000 km2 au total). Installés à grands coups de mobil-homes et de vans géants à côté de la grande plaine du Serengeti, la famille royale a les animaux dans le viseur.
Se sentant trop à l'étroit dans leur corridor de tir, ils décident d'y ajouter quelques hectares. Problème : des Masaï vivent sur les territoires environnants où leurs vaches se délectent des vertes prairies à la saison des pluies.
Les dignitaires arabes décident alors d'utiliser la force, avec l'« aimable » et étrange complicité des policiers tanzaniens. Résultats : huit villages masaï sont brûlés, laissant 3 000 personnes sans abris, et des femmes sont violées.
Début juin, dans la presse tanzanienne, le responsable d'Otterlo en Tanzanie, Isaac Nolel, tentait de calmer le jeu, malgré les rapports alarmants reçus l'an passé par l'ONG Survival, qui se charge de protéger les Masaï du Kenya et de Tanzanie depuis 1993.
L'ONG précise d'ailleurs sur son site que la famille royale avait fait la même chose un peu plus au Sud du pays en 2007 avec les Hadzabe, un peuple de chasseurs-cueilleurs en voie d'extinction en Tanzanie.
Isaac Nolel, lui, rappelle les infrastructures construites et les aides apportées aux populations locales avec le fond des Emirats de 750 000 dollars. Il omet toutefois de mentionner les Masaï arrêtés et emprisonnés pour s'être approchés trop près des réserves d'Otterlo.
« Les Masaï sont des êtres humains, non du bétail »
Cette année, signe que rien ne s'arrange, des parlementaires tanzaniens ont fait savoir qu'ils veulent expulser avant la fin de l'année 65 000 éleveurs masaï de la zone de conservation du Ngorongoro. Une décision qui fait suite à l'avertissement adressé l'an passé par l'Unesco au gouvernement tanzanien.
Le Ngorongoro, cratère de 20 km de diamètre et paradis de la vie animale, figure au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco. Et c'est justement de cette liste que le Ngorongoro est menacé d'être retiré.
Pas question, a rétorqué la ministre du Tourisme, voyant déjà le nombre de touristes fondant comme les glaciers au sommet du mont Kilimandjaro non loin de là.
Pour l'Unesco, c'est précisément la présence des Masaï qui est responsable de la détérioration de l'environnement. Sans nier leur trop grand nombre (l'Unesco impose une limite à 25 000), les défenseurs des Masaï n'oublient pas de rappeler que le tourisme empiète de plus en plus sur des terres occupées depuis des siècles par ce peuple.
Et il serait préjudiciable pour l'économie de pointer du doigt le tourisme et surtout le tort causé à l'environnement par les véhicules transportant les touristes en quête de photos souvenirs des « big five » (léopards, lions, éléphants, rhinocéros, buffles).
En juillet-août, point d'orgue de la saison touristique, on estime à près de 500 le nombre de gros 4x4 par jour dans l'enceinte du cratère, rapportant chacun 200 dollars plus 50 dollars par personne transportée, en droits d'entrée.
Le calcul est vite fait, entre des millions de dollars et des milliers de modestes éleveurs masaï. Une députée tanzanienne d'origine masaï espère trouver une issue favorable et rappelle qu'il faut « une approche humaine, car les Masaï sont des êtres humains et non du bétail ».
Privés des meilleures terres, les Masaï s'appauvrissent
Sans cesse repoussés, comme en 1959 quand les colons anglais les expulsèrent du parc voisin du Serengeti, les Masaï sont reclus sur les plus mauvaises terres et sont victimes de sécheresses qui déciment leurs troupeaux, leur bien le plus précieux.
C'est ce que dit d'ailleurs Survival en conclusion :
« Depuis la période coloniale, la plupart des terres masaï ont été accaparées au profit de fermiers et de domaines privés, de projets gouvernementaux ou de parcs consacrés à la vie sauvage. La majorité des Masaï, à qui trop peu de terres ou les plus mauvaises ont été laissées, se sont considérablement appauvris. »
C'est ainsi qu'ils ont rejoint les villes, et notamment Arusha, la grande agglomération du Nord de la Tanzanie. Ce qui les y attend n'est guère mieux. Enroulés dans des couvertures, la plupart sont gardiens de nuit de commerces et de propriétés privées.
Par Arnaud Bebien
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