(Le Temps.ch 25/06/2010)
En Zambie, le nombre de victimes de la malaria, actuellement estimé à quelque 30000 par an, a décliné de 66% en cinq ans suite à l’introduction d’un vaste plan de lutte globale dans lequel le changement de médication a joué un rôle clé. (Willy Boder)
Le gouvernement de ce pays d’Afrique australe a lancé, il y a cinq ans, un vaste programme de lutte contre le fléau du paludisme. Qui, depuis, recule à grands pas
La piste est mauvaise. Le minibus de fabrication coréenne s’enfonce dans les nids de poule. Le chauffeur, Noir, tente d’éviter les branches sèches qui rayent ce qui reste des vitres du véhicule. Soudain, après un dernier virage, au milieu de la savane, apparaissent deux cases en torchis surmontées d’un toit de paille. A l’ombre de celle de droite, une femme, la quarantaine, est entourée de huit enfants pieds nus.
En apercevant les journalistes qui descendent du véhicule, une petite fille de 4 ans, apeurée, s’enfuit. «C’est la première fois qu’elle voit des hommes blancs», explique son père, Dismas Mwalukwnda, paysan zambien et auxiliaire de santé chargé de lutter contre la malaria. A une heure de piste de Chongwe, nous sommes déjà hors de la civilisation. Pourtant, Chongwe, localité bâtie sur une terre rougeâtre, est située à moins de 60 km de l’aéroport de Lusaka, capitale de la Zambie.
Désigné assistant de santé bénévole par la communauté villageoise regroupant un millier de personnes disséminées sur des dizaines de kilomètres carrés, Dismas Mwalukwnda se déplace à vélo. «C’est plus pratique, surtout durant la saison des pluies, constate-t-il, vêtu d’un maillot frappé du slogan «Rollback malaria!» (repoussons la malaria!). L’auxiliaire de santé est un des maillons avancés de la chaîne du programme zambien de lutte coordonnée contre la malaria, lancé à grande échelle en 2004, qui commence à démontrer son efficacité. A l’entrée de sa case, qui fait office de cabinet rudimentaire de consultation pour les personnes atteintes de fièvre, premier signe tangible de la maladie, figure un grand panneau illustré intitulé «soigner la malaria avec Coartem».
Sans lire l’anglais ou la langue locale, le nyanja, et ainsi décrypter la marque d’un médicament de Novartis contre la malaria fabriqué à partir des extraits d’une plante chinoise, n’importe qui peut comprendre les instructions imagées. La mère doit traiter son enfant durant trois jours en lui donnant, selon l’âge, quotidiennement de deux à quatre pilules au goût sucré de cerise. Ceux au-dessous de 5 ans, dont le système immunitaire est encore faible, sont les principales victimes de la malaria.
Un des objectifs du programme du gouvernement, auquel collabore le groupe pharmaceutique bâlois, qui fournit le médicament pour moins d’un dollar le traitement, et a invité quelques journalistes sur place, est visiblement atteint: approvisionner les régions les plus reculées du pays.
«La malaria est responsable de 40% de la mortalité des enfants au-dessous de 5 ans», relève Pascalina Chanda, chargée de la surveillance du programme de lutte contre cette maladie pour le Ministère de la santé de la Zambie.
«Toutes les provinces du pays sont confrontées à la malaria, explique au Temps Kapembwa Simbao, ministre de la Santé. C’est un gros problème, puisque la maladie a longtemps été la première cause de mortalité.» En effet, depuis quelques années, suite à la mise en place d’un programme en plusieurs volets, la mortalité de la malaria, provoquée par un parasite introduit dans le sang par un moustique, a décliné, et le sida est devenu le virus le plus fatal dans le pays.
Au début des années 2000, la Zambie déplorait la mort de plus de 100 000 personnes par an, dont 6000 enfants de moins de 5 ans à cause de la malaria. Le nombre de décès, actuellement estimé à quelque 30 000, a décliné de 66% en cinq ans suite à l’introduction d’un vaste plan de lutte globale dans lequel le changement de médication a joué un rôle clé. «Nous sommes désormais en état de contrôler la malaria, notamment grâce à la nouvelle formulation de Coartem destinée aux enfants, mais les besoins de formation dans le système de santé et de distribution jusque dans les zones les plus reculées du pays sont énormes», note le ministre Kapembwa Simbao.
Novartis fournit en effet le médicament à deux composants anti-malaria intégrés (artéméther et luméfantrine), mais ne s’occupe pas directement de la distribution, qui dépend des autorités et de l’aide de différentes organisations humanitaires.
«En 2004, la Zambie a ouvert la voie en renonçant au traitement traditionnel à base de chloroquine, qui échouait dans 40% des cas à cause de résistances, et a opté pour Coartem», explique Hans Rietveld, responsable auprès de Novartis des programmes de lutte contre la malaria.
Le groupe pharmaceutique bâlois a distribué, à partir de 2003, plus de 18 millions de traitements à la Zambie, et plus de 280 millions dans des pays en développement en Afrique et en Asie.
Coartem est fabriqué à partir d’une plante chinoise, l’artémisinine. Il s’écoule quatorze mois entre le début de la production de l’ingrédient de base et la livraison du médicament. En 2004, Novartis a dû rapidement faire face à une augmentation de la demande d’un médicament dont le coût était auparavant jugé trop élevé comparé à celui des anciennes substances. Les fortes résistances biologiques des malades aux anciens traitements ont provoqué une nette augmentation des capacités de production de Coartem, et, du même coup, la baisse du prix de vente, au prix coûtant, à moins d’un dollar en moyenne par traitement.
«Ce médicament est réellement, actuellement, très efficace. Les statistiques démontrent une nette baisse de mortalité lorsqu’il est disponible à large échelle», confirme Christian Lengeler, chef d’unité de l’Institut suisse contre les maladies tropicales à Bâle. Mais le combat contre la malaria, qui existait aux Etats-Unis et épisodiquement en Europe, zone déclarée totalement exempte de la maladie en 1976 seulement, est long et difficile. La malaria est réapparue en Afrique du Sud au début des années 2000, mais a pu être rapidement maîtrisée, en moins d’une année, grâce, notamment, à l’emploi d’insecticides.
Un enfant meurt de malaria dans le monde toutes les 30 secondes. La lutte efficace contre ce qui reste un fléau majeur pour nombre de pays africains passe, comme en Zambie, par la mise en place d’un dispositif complet, qui fait largement appel à la prévention et à l’information. Cela va donc bien au-delà de la mise à disposition d’un médicament. La distribution de centaines de milliers de moustiquaires traitées à l’insecticide, destinées à protéger en priorité les femmes enceintes et les enfants en bas âge, fait partie du programme.
L’an dernier, près de 900 000 moustiquaires, qu’il faut remplacer tous les trois ans, ont été distribuées en Zambie. «Malheureusement, par manque de fonds des donateurs, seules six des neuf provinces du pays ont été approvisionnées», explique Pascalina Chanda.
Globalement seuls 60% des foyers du pays disposent d’au moins une moustiquaire en état de fonctionner. La Zambie, secouée en mai 2009 par un scandale de corruption et de détournement de fonds qui a également touché le Ministère de la santé, a dû faire face, suite à cette affaire, à un gel de l’aide de la part de nombreux donateurs, notamment suédois et néerlandais. Le gouvernement, qui a lancé, fin août 2009, un vaste programme de lutte contre la corruption et de protection des dénonciateurs, est tributaire, en matière de santé, de l’aide extérieure. Cinquante-cinq pour cent du budget de la santé pour la prévention et le traitement du paludisme, de la tuberculose et du sida, ainsi que pour la formation du personnel médical aux nouveaux traitements, dépendent de bailleurs de fonds étrangers.
L’information efficace de la population, autre clé du succès, est un autre défi. «On assiste encore trop souvent au détournement de moustiquaires par les chefs de famille. Les pêcheurs, le long du fleuve Zambèze ou sur les nombreux lacs du pays, les utilisent comme filets et mettent ainsi en danger la vie de leurs enfants», explique Charles Msiska, directeur de l’hôpital de district de Chongwe. Devant ce dernier, formé de quelques pavillons de briques flanqués de salles d’attente en plein air, une jeune fille tient Alex, 2 ans, dans ses bras. Son fils a été soigné contre la malaria et se porte bien. Dans quelles circonstances a-t-il été piqué par des moustiques porteurs du parasite? «J’allais retrouver mon mari à Lusaka, à plusieurs dizaines de kilomètres d’ici, et je ne voulais pas m’encombrer, durant le voyage à pied, d’une moustiquaire pour à peine quelques nuits», explique la jeune femme en souriant.
Un des autres facteurs de succès du programme zambien est la mise au point de tests sanguins rapides et bon marché. Ils permettent de détecter, à partir d’une goutte de sang placée sur une bandelette réactive, la présence de la maladie sans recours aux microscopes coûteux et introuvables dans la majorité du réseau de santé zambien. «Cela a changé l’approche de la malaria», explique Phil Thuma, directeur d’un hôpital missionnaire financé par des donateurs américains, situé en zone rurale, à Macha, au sud-est du pays, à mi-chemin entre Lusaka et Livingstone.
Si ces tests sont disponibles dans les postes de santé les plus reculés, la pose rapide du diagnostic évite des transports compliqués vers le dispensaire le plus proche, et évite surtout de prodiguer un traitement à l’aveugle contre la malaria qui augmente fortement le risque de résistance de la maladie aux nouveaux médicaments.
«Dans cette vaste salle, en 2003, on plaçait deux enfants atteints de la malaria par lit, relève Phil Thuma. A la fin de la période des pluies, trois d’entre eux mouraient chaque jour. En 2009, aucun enfant n’est décédé, et nous n’avons traité que 42 cas, contre plus de 1400 en 2003.»
Phil Thuma se garde pourtant de toute euphorie. «La chaîne d’approvisionnement en médicaments et en tests reste fragile. Et puis, de toute manière, il est impossible d’éradiquer la malaria car c’est impossible d’éliminer les moustiques. En revanche, il est désormais prouvé qu’on peut briser le cycle de transmission de la maladie et l’avoir sous contrôle.»
Dismas Mwalukwnda, auxiliaire de santé dans la brousse de la région de Chongwe, sait qu’il a déjà sauvé des vies en soignant la malaria. Mais il aimerait faire davantage pour d’autres types de maladie. Depuis qu’il a appris qu’une organisation humanitaire américaine avait offert une quinzaine de vélos-ambulances à un centre de soins de sa région, il rêve d’obtenir cette remorque tout-terrain pour pouvoir acheminer des malades au dispensaire le plus proche. «J’ai déjà un vélo, j’aimerais bien pouvoir le transformer en ambulance», explique-t-il, alors que sa fille, cachée dans les jupes colorées de sa mère, observe les Blancs du coin de l’œil.
Willy Boder
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