(Le Monde 26/06/2010)
La sécurité alimentaire, grande oubliée des sommets internationaux ? Samedi 26 et dimanche 27 juin, dans l'Ontario (Canada), il sera question de régulation du système financier, de taxes sur les transactions financières, mais peu de faim dans le monde. Tout au plus les ONG s'attendent-elles à de nouvelles déclarations d'intention.
La "déclaration de la présidence canadienne" rappelle pourtant l'appel lancé au G8 de L'Aquila (Italie) en 2009, afin de réunir 22 milliards de dollars (16,6 milliards d'euros) pour lutter contre l'insécurité alimentaire dans le monde et insiste sur la nécessité d'"intensifier les efforts pour mettre en œuvre [cet] engagement".
Et pour cause, il ne s'est pour ainsi dire encore rien passé depuis. Ce n'est pas sans raison que le 15 juin, le directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), Jacques Diouf, lançait un coup de semonce : "J'espère qu'ils [les pays du G8] tiendront leur promesse car, pour l'instant, cet argent n'est toujours pas arrivé à destination, déplorait-il. Espérons que cet effort finisse par se concrétiser."
Seul prémice de réalisation des engagements du sommet de L'Aquila : l'annonce, le 22 avril, d'un "programme global pour la sécurité alimentaire", doté d'un montant initial de 900 millions de dollars, réunissant les Etats-Unis, le Canada, l'Espagne, la Corée du Sud, pays auxquels s'est joint la Fondation Bill et Melinda Gates. On en connaît, depuis le 23 juin, les premiers destinataires (Bangladesh, Haïti, Rwanda, Sierra Leone, Togo).
PROMESSES NON TENUES
"Mais, sur le terrain, il n'y a toujours aucune concrétisation… comme si l'annonce d'investir tenait lieu d'action !, dénonce Bernard Bachelier, directeur de la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM). On ne sait toujours pas sous quelles modalités vont être mobilisés les 22 milliards promis à L'Aquila : sous forme de dons, de prêts ?" Il y a pourtant urgence car la situation continue de se dégrader.
FARM comme les ONG Oxfam ou encore Action contre la Faim ne manquent pas d'alerter sur la dégradation de la situation : dans le monde, la barre du milliard de personnes souffrant de sous-nutrition a été franchie pour la première fois en 2009. Et le spectre de la famine menace désormais 10 millions de personnes dans l'est du Sahel (au Tchad, au Niger, dans le nord du Burkina Faso et le nord-est du Mali).
"Il est temps que les pays développés se mettent d'accord sur les mécanismes permettant de dégager les sommes promises", insiste Jean-Denis Crola, chargé du plaidoyer justice économique chez Oxfam, qui appelle les pays du G20 à s'accorder pour qu'une partie des retombées de la taxe sur les transactions financières – si elle était adoptée – soit consacrée à l'insécurité alimentaire.
Ne se faisant cependant guère d'illusions sur les mesures concrètes qui pourraient sortir des G8 et G20 de ce week-end, les ONG appellent la France, qui présidera le G20 en 2011, à se ressaisir et à prendre à bras le corps ce dossier pour le sortir de l'enlisement.
En juin 2008, lors de la Conférence sur la sécurité alimentaire mondiale, Nicolas Sarkozy ne lançait-il pas un plaidoyer en faveur du "développement des agricultures locales", présenté comme "la seule solution, la solution durable, responsable" à cet "impératif" de sécurité alimentaire ? Dans le cadre de l'appel d'Aquila, Paris s'est engagé à consacrer 1,5 milliard d'euros à cette fin, sur la période 2009-2011. Reste que si le président de la République a promis qu'en 2011 un "G20 agricole" précèderait le G20, la France ne montre pas la voie.
L'aide publique au développement (APD) française consacrée au secteur "Agriculture et sécurité alimentaire" est loin d'être à la hauteur de toutes ces promesses. Selon une étude de l'Oxfam, cette aide est à son plus bas niveau depuis 2007, année du déclenchement de la crise alimentaire : elle s'élevait en 2009 à 410 millions d'euros, contre 483 millions d'euros en 2007, soit une baisse de 15 %. "Non seulement le montant de cette aide est en baisse mais aussi sa qualité. Car elle est déployée sous forme de prêts auxquels ne peuvent accéder ceux que la France prétend vouloir aider, relève M. Crola, auteur de l'étude. La France doit mettre en cohérence ses discours et ses actions."
Laetitia Van Eeckhout
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