(Afrik.com 03/06/2010) mercredi 2 juin 2010 / par Franck Salin
Interview d’El Hadj Baba Hamadou, ministre camerounais du tourisme
Forêts denses, montagnes, savanes, réserves d’animaux, plages de sable fin… Une multitude de paysages et de cultures se côtoient au Cameroun. Une richesse qui justifie le slogan, « Toute l’Afrique dans un pays », choisi par le ministère du tourisme pour vendre la destination. Pourtant, le tourisme y est une activité peu développée qui ne représente que 2,5% du PIB. Moins de 500 000 touristes visitent le pays chaque année. Un chiffre en progression depuis cinq ans, mais qui reste modeste comparé à ceux qu’affichent les pays leaders dans ce secteur sur le continent. Pour changer la donne, l’Etat camerounais a décidé d’employer les grands moyens.
Développement des infrastructures et de la formation, contrôle accru des établissements, privatisations, conquête de nouveaux marchés… Le Cameroun a décidé, depuis quatre ans, d’appliquer une stratégie diversifiée pour développer l’activité touristique sur son territoire. A la manœuvre, El Hadj Baba Hamadou, le ministre camerounais du tourisme. En poste depuis décembre 2004, cet ancien enseignant originaire de Ngaoundéré, dans la région d’Adamaoua (Nord), ne manque pas d’ambition. Il a reçu Afrik.com dans ses bureaux, à Yaoundé. Entretien.
Afrik.com : Pourquoi, avec un tel potentiel, le Cameroun ne fait-il pas partie des grandes destinations touristiques en Afrique ?
El Hadj Baba Hamadou : C’est effectivement un paradoxe pour notre pays qui dispose d’un potentiel hors du commun. Les raisons de ce retard sont nombreuses. Nous ne pouvons pas toutes les citer. Plus de 500 000 personnes vivent du tourisme ici, une activité qui représente 2,5% du PIB. Un pourcentage insignifiant comparé à ceux d’autres pays qui vivent du tourisme, certes. Mais le Cameroun a une économie très diversifiée, qui fait que le tourisme n’est pas toujours bien perçu. Après l’indépendance, l’Etat s’est engagé à promouvoir cette activité. Depuis les années 70, face à la faiblesse des investissements privés, il a développé les infrastructures, les hôtels, les routes, les parcs nationaux, pour ouvrir le pays au tourisme international. Chacune des régions du Cameroun a été dotée de grands hôtels, comme le Mont Fébé, un cinq étoile à Yaoundé. En 1989, un ministère du tourisme a été créé, en remplacement du secrétariat d’Etat au tourisme. Malheureusement, la crise économique des années 90 a plombé le tourisme. Tous les pays africains en ont souffert, et les ressources ont été affectées en priorité à la santé et à l’éducation. Mais grâce à l’action du gouvernement et aux efforts de la population, la crise a été jugulée. Ce programme a été douloureux, mais nous avons tenu bon. Et le chef de l’Etat a décidé en 2005 de faire élaborer une nouvelle stratégie pour le tourisme, exécutée depuis quatre ans.
Afrik.com : La fréquentation a-t-elle progressé depuis 2005 ?
El Hadj Baba Hamadou : En 2004-2005, quand je suis arrivé, le Cameroun accueillait environ 220 000 touristes par an. En 2008, il en accueillait 486 530 ! En 2009, 481 000 touristes sont venus au Cameroun. Une légère baisse due la crise. A noter aussi qu’en 2008 notre compagnie aérienne (la Camair, ndlr) a cessé de voler.
Afrik.com : Quels sont les principaux axes de la stratégie que vous voulez mettre en œuvre ?
El Hadj Baba Hamadou : Notre nouvelle stratégie se décline en douze points. La consolidation d’un cadre institutionnel par la création toujours attendue d’un office national du tourisme. L’adoption d’un code d’investissement spécifique au tourisme – tous les pays qui ont fait du tourisme un moteur économique en ont un. La révision de la loi sur l’activité touristique. La loi actuelle comporte des lourdeurs qui sont des freins à l’activité touristique. Par exemple, le ministère du tourisme réunit tous les mois une commission nationale technique des établissements de tourisme, et c’est cette commission qui donne les accords nécessaires pour construire et ouvrir un hôtel, créer une agence de tourisme, obtenir des agréments de guides touristiques… Nous espérons que dans le cadre de la politique de décentralisation, ces responsabilités seront transférées de la commission aux régions. La même loi prévoit la classification des sanctions en fonction de l’importance des infrastructures incriminées, et enfin l’allègement des procédures elles-mêmes : simplifier et diminuer le nombre de documents administratifs nécessaires. Un autre point de notre nouvelle stratégie est la consolidation de notre place dans les principaux marchés émetteurs, et également la conquête de marchés nouveaux. Nous sommes allés en Chine, au Japon, en Amérique… Nous nous y attelons depuis deux ans. Nous travaillons aussi à renforcer la formation des acteurs du tourisme, dans les secteurs publics et privés. Et nous organisons à cet effet des séminaires interrégionaux [1] et des séminaires spécifiques portant sur des sujets particuliers tels que l’accueil des visiteurs ou les métiers du tourisme.
Afrik.com : La formation de professionnels est un point clé dans tout développement de l’industrie touristique. Quels efforts faites-vous en la matière ?
El Hadj Baba Hamadou : Nous avons à Ngaoundéré une école sous-régionale de tourisme et d’hôtellerie qui appartient à la Cemac (Commission de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale, ndlr) depuis 2002. Et à côté de ça, il existe bon nombre de formations privées. Les jeunes s’y intéressent de plus en plus. Donc l’Etat a prévu d’ouvrir des lycées professionnels de tourisme, à Kribi, à Limbé, dans nos sites balnéaires. Et nous avons lancé une licence professionnelle de tourisme dans quatre de nos six universités.
Afrik.com : Vous voulez développer un tourisme de masse ou élitiste ?
El Hadj Baba Hamadou : Nous privilégions un tourisme élitiste.
Afrik.com : Quels efforts faites-vous pour développer les infrastructures touristiques ? Et à hauteur de combien ?
El Hadj Baba Hamadou : Nous nous sommes engagés dans un renforcement du partenariat entre secteurs public et privé. Au lendemain de la crise économique, l’Etat s’est désengagé du secteur de production au profit du privé. L’Etat continue de gérer des hôtels, mais sa nouvelle stratégie lui impose de privatiser. Le personnel n’est pas formé, les hôtels tombent en ruine, donc nous avons lancé un appel d’offre pour la gestion, l’extension et la réhabilitation des hôtels et des campements touristiques qui appartiennent à l’Etat, soit une vingtaine d’établissements. Nous avons reçu beaucoup de réponses, et nous avons jusqu’au 15 juin environ pour faire notre choix. Beaucoup de professionnels nationaux et internationaux sont intéressés par l’amélioration en quantité et en qualité de notre offre hôtelière. Nous sommes en pourparlers avec les Emiratis, les Chinois sont intéressés par la construction de villages de vacances et de parcs d’attraction à Yaoundé et à Douala.
Afrik.com : En termes d’investissements, quel est le projet le plus important dans lequel vous êtes engagé ?
El Hadj Baba Hamadou : Le projet le plus lourd est celui que nous avons avec la société Ruwaad des Emirats arabes unis qui se propose de construire à Yogo, sur le littoral, un méga complexe économique et touristique avec plusieurs hôtels. Elle a demandé 10 000 hectares de terrain ! C’est une ville nouvelle qu’on va créer là-bas, ce qui nécessite de gros investissements. Des préalables ont été posés. L’Etat doit assumer l’installation des infrastructures de base, construire une route jusqu’au site et assurer l’électrification et l’adduction d’eau. Si nous sommes prêts en 2011, en 2012 ils commencent.
Afrik.com : Les billets d’avion et les séjours au Cameroun restent chers. Discutez-vous avec les compagnies aériennes et les tour-opérateurs pour faire baisser les prix ?
El Hadj Baba Hamadou : Nous y travaillons. Mais malgré cela (la cherté des voyages, ndlr), les gens viennent. Nous avons pu approcher Nouvelles Frontières et nous attendons leurs premiers touristes pour fin mai. Jusqu’à maintenant, le Cameroun était vendu par de petites agences européennes. Nouvelles Frontières est le premier gros tour-opérateur qui dessert notre pays ; il s’intéresse aux pygmées et propose un circuit sur 12 jours à 1267 €. A la foire de Berlin, nous avons rencontré deux gros tour-opérateurs qui viendront en juillet. Nous pensons donc avoir bientôt un tour-opérateur en Allemagne. En Suisse, nous avons signé un contrat avec l’agence Apadana. D’autre part, Camairco, la nouvelle compagnie aérienne camerounaise, doit débuter ses activités en 2011. Quand il y avait la Camair, nous pouvions établir des prix de groupe intéressants. Avec la nouvelle compagnie nous pourrons reprendre cette politique.
Afrik.com : Le prix des visas pour le Cameroun est aussi très élevé. Une baisse est-elle envisageable ?
El Hadj Baba Hamadou : Il existe au Cameroun un conseil national présidé par le chef de l’Etat. Il a été créé à cause de la transversalité du tourisme, une activité qui nécessite des routes, des avions, etc. Ce conseil regroupe douze ministères, y compris celui des finances. La question de la cherté des visas y est revenue constamment. Maintenant leur prix est très élevé, tous les voyageurs se plaignent. Nous espérons que, l’année prochaine, il sera revu à la baisse.
Afrik.com : Vous êtes donc confiant quant à l’avenir du tourisme au Cameroun…
El Hadj Baba Hamadou : Au Cameroun, nous avons 245 000 chambres, plus de 400 hôtels classés, sans compter ceux qui fonctionnent en marge de la légalité. Une opération de classement a été relancée en 2008. Elle avait été arrêtée depuis 17 ans. Par exemple, le Mont Fébé a perdu une étoile, il est descendu à quatre étoiles.
Cette opération sera finie cette année, et il est important qu’elle soit renouvelée tous les cinq ans. C’est important de développer la culture touristique. Le fait qu’elle ne l’ait pas été suffisamment après l’indépendance nous handicape. Mais nous sommes de plus en plus exigeants sur la qualité de nos établissements, nous sensibilisons les Camerounais à l’accueil des touristes, nous organisons des séminaires de formation… Les choses changent !
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