mardi 5 février 2013

Rwanda - Génocide : deux anciens ministres rwandais acquittés en appel

(Liberation 05/02/2013) Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza avaient écopé de trente ans de prison en première instance pour leur implication dans le génocide perpétré contre le minorité tutsi.
Le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a acquitté lundi en appel deux ex-ministres initialement condamnés notamment pour «entente en vue de commettre le génocide» de 1994, illustrant la difficulté de prouver comment a été planifié le massacre de 800 000 personnes.
En septembre 2011, les juges de première instance avaient condamné Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza, respectivement ministres du Commerce et de la Fonction publique en 1994, à 30 ans de prison pour «entente en vue de commettre le génocide» et «incitation directe et publique au génocide» perpétré contre la minorité tutsi du pays.
La chambre d’appel du TPIR, présidée par le juge américain Theodor Meron, a lundi «infirmé leur condamnation» et «ordonné leur libération immédiate». «Personne ne dira plus que le gouvernement a planifié le génocide», a réagi Justin Mugenzi après l'énoncé du verdict d’appel.
Le procureur général du Rwanda, Martin Ngoga, a déploré «une tendance (de la Cour d’appel) à exonérer les dirigeants politiques (rwandais de l'époque) de leur responsabilité dans le génocide», qui jette une ombre sur le bilan «en général important» de l’ensemble du TPIR.
Jean-Pierre Dusingezemungu, président de l’association Ibuka de rescapés du génocide, s’est dit de son côté «consterné par cette décision» qui «est une façon de soutenir les négationnistes» et dans laquelle il voit «un refus de montrer que le génocide a été préparé». Au moins trois responsables rwandais de l'époque, le Premier ministre d’alors Jean Kambanda, son ministre de l’Information Eliézer Niyitegeka et un ancien maire et haut fonctionnaire, Jean-Baptiste Gatete, ont été déclarés coupables d'«entente» et le verdict a été confirmé en appel.
D'autres condamnations examinées en appel
Plusieurs autres condamnations pour «entente» prononcées en première instance, sont en cours d’examen par la Chambre d’appel qui a déjà annulé un certain nombre d’entre elles, estimant souvent les preuves insuffisantes. L'«entente en vue de commettre le génocide», infraction prévue par la Convention de l’ONU sur le sujet, est une infraction distincte du génocide lui-même. Elle n’implique pas que ledit génocide ait effectivement été commis ou que les auteurs de l'«entente» y aient pris directement part.
Selon certains juristes, la preuve de l’entente est rendue difficile à apporter devant le tribunal, qui de par son statut ne peut examiner que les faits s'étant déroulés durant l’année 1994. Dans les cas de Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza, les juges de première instance s'étaient appuyés sur la participation des deux hommes au Conseil des ministres du 17 avril 1994, qui avait révoqué le préfet de la province méridionale de Butare, Jean-Baptiste Habyarimana, un tutsi qui avait jusqu’alors empêché dans sa région les massacres qui avaient commencé dans le reste du pays.
Ils avaient également pris en compte leur présence officielle, 48 heures plus tard, à une réunion publique dans la ville de Butare, durant laquelle le président par intérim Théodore Sindikubwabo avait appelé dans un discours incendiaire au massacre des Tutsi de la zone.
«Justice a été rendue»
Alors que ces juges avaient vu dans ces deux faits une «entreprise criminelle» en vue de l'élimination des Tutsi de Butare, les magistrats d’appel ont estimé que le limogeage du préfet, s’il avait contribué à la généralisation des tueries à Butare, pouvait avoir été motivé par «des raisons politiques et administratives». Ils ont également suivi la défense qui affirmait que les accusés ne connaissaient pas à l’avance le contenu du discours qu’allait prononcer Théodore Sindikubwabo - présumé décédé en exil à la fin des années 1990.
Mugenzi et Mugiraneza n'étaient rejugés en appel que pour les deux crimes pour lesquels ils avaient été condamnés. Ils avaient déjà été acquittés en première instance de plusieurs autres chefs d’accusation, notamment génocide, complicité et crimes contre l’humanité.
Deux autres ex-ministres jugés en même temps qu’eux en première instance, Jérôme Clément Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères en 1994, et Casimir Bizimungu, alors ministre de la Santé, avaient été acquittés de l’ensemble des accusations pour manque de preuves. «Justice a été rendue. Cette décision gonfle la poitrine», a réagi Casmir Bizimungu, présent dans la salle lorsque le verdict d’appel a été rendu contre ses deux anciens collègues.
Le génocide au Rwanda a été déclenché après l’assassinat du président rwandais hutu de l'époque, Juvénal Habyarimana, dont l’avion avait été abattu le 6 avril 1994 au-dessus de Kigali. Selon l’ONU, d’avril à juillet, environ 800 000 personnes, essentiellement tutsi, ont été tuées par des extrémistes hutu. Le TPIR, mis en place par une résolution de l’ONU du 8 novembre 1994, a clos l’ensemble des procès de première instance et doit encore juger une quinzaine de dossiers en appel avant de fermer fin 2014.

(AFP)

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