(Liberation 05/02/2013)
Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza avaient écopé de trente
ans de prison en première instance pour leur implication dans le génocide
perpétré contre le minorité tutsi.
Le tribunal pénal international pour
le Rwanda (TPIR) a acquitté lundi en appel deux ex-ministres initialement
condamnés notamment pour «entente en vue de commettre le génocide» de 1994,
illustrant la difficulté de prouver comment a été planifié le massacre de 800
000 personnes.
En septembre 2011, les juges de première instance avaient
condamné Justin Mugenzi et Prosper Mugiraneza, respectivement ministres du
Commerce et de la Fonction publique en 1994, à 30 ans de prison pour «entente en
vue de commettre le génocide» et «incitation directe et publique au génocide»
perpétré contre la minorité tutsi du pays.
La chambre d’appel du TPIR,
présidée par le juge américain Theodor Meron, a lundi «infirmé leur
condamnation» et «ordonné leur libération immédiate». «Personne ne dira plus que
le gouvernement a planifié le génocide», a réagi Justin Mugenzi après l'énoncé
du verdict d’appel.
Le procureur général du Rwanda, Martin Ngoga, a
déploré «une tendance (de la Cour d’appel) à exonérer les dirigeants politiques
(rwandais de l'époque) de leur responsabilité dans le génocide», qui jette une
ombre sur le bilan «en général important» de l’ensemble du
TPIR.
Jean-Pierre Dusingezemungu, président de l’association Ibuka de
rescapés du génocide, s’est dit de son côté «consterné par cette décision» qui
«est une façon de soutenir les négationnistes» et dans laquelle il voit «un
refus de montrer que le génocide a été préparé». Au moins trois responsables
rwandais de l'époque, le Premier ministre d’alors Jean Kambanda, son ministre de
l’Information Eliézer Niyitegeka et un ancien maire et haut fonctionnaire,
Jean-Baptiste Gatete, ont été déclarés coupables d'«entente» et le verdict a été
confirmé en appel.
D'autres condamnations examinées en
appel
Plusieurs autres condamnations pour «entente» prononcées en
première instance, sont en cours d’examen par la Chambre d’appel qui a déjà
annulé un certain nombre d’entre elles, estimant souvent les preuves
insuffisantes. L'«entente en vue de commettre le génocide», infraction prévue
par la Convention de l’ONU sur le sujet, est une infraction distincte du
génocide lui-même. Elle n’implique pas que ledit génocide ait effectivement été
commis ou que les auteurs de l'«entente» y aient pris directement
part.
Selon certains juristes, la preuve de l’entente est rendue
difficile à apporter devant le tribunal, qui de par son statut ne peut examiner
que les faits s'étant déroulés durant l’année 1994. Dans les cas de Justin
Mugenzi et Prosper Mugiraneza, les juges de première instance s'étaient appuyés
sur la participation des deux hommes au Conseil des ministres du 17 avril 1994,
qui avait révoqué le préfet de la province méridionale de Butare, Jean-Baptiste
Habyarimana, un tutsi qui avait jusqu’alors empêché dans sa région les massacres
qui avaient commencé dans le reste du pays.
Ils avaient également pris en
compte leur présence officielle, 48 heures plus tard, à une réunion publique
dans la ville de Butare, durant laquelle le président par intérim Théodore
Sindikubwabo avait appelé dans un discours incendiaire au massacre des Tutsi de
la zone.
«Justice a été rendue»
Alors que ces juges avaient vu
dans ces deux faits une «entreprise criminelle» en vue de l'élimination des
Tutsi de Butare, les magistrats d’appel ont estimé que le limogeage du préfet,
s’il avait contribué à la généralisation des tueries à Butare, pouvait avoir été
motivé par «des raisons politiques et administratives». Ils ont également suivi
la défense qui affirmait que les accusés ne connaissaient pas à l’avance le
contenu du discours qu’allait prononcer Théodore Sindikubwabo - présumé décédé
en exil à la fin des années 1990.
Mugenzi et Mugiraneza n'étaient rejugés
en appel que pour les deux crimes pour lesquels ils avaient été condamnés. Ils
avaient déjà été acquittés en première instance de plusieurs autres chefs
d’accusation, notamment génocide, complicité et crimes contre
l’humanité.
Deux autres ex-ministres jugés en même temps qu’eux en
première instance, Jérôme Clément Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères
en 1994, et Casimir Bizimungu, alors ministre de la Santé, avaient été acquittés
de l’ensemble des accusations pour manque de preuves. «Justice a été rendue.
Cette décision gonfle la poitrine», a réagi Casmir Bizimungu, présent dans la
salle lorsque le verdict d’appel a été rendu contre ses deux anciens
collègues.
Le génocide au Rwanda a été déclenché après l’assassinat du
président rwandais hutu de l'époque, Juvénal Habyarimana, dont l’avion avait été
abattu le 6 avril 1994 au-dessus de Kigali. Selon l’ONU, d’avril à juillet,
environ 800 000 personnes, essentiellement tutsi, ont été tuées par des
extrémistes hutu. Le TPIR, mis en place par une résolution de l’ONU du 8
novembre 1994, a clos l’ensemble des procès de première instance et doit encore
juger une quinzaine de dossiers en appel avant de fermer fin
2014.
(AFP)
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Liberation
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