(AgoraVox 07/02/2013)
La République Démocratique du Congo devrait connaître des
bouleversements majeurs en 2016. L’actuel Président, Joseph Kabila, devra
quitter le pouvoir et on se bouscule déjà dans sa succession. En principe, il
n’aura pas le choix puisque la Constitution limite le mandat présidentiel à 5
ans une seule fois renouvelable (article 70), et Joseph Kabila aura achevé son
second mandat. L’article 220 renforce le dispositif en interdisant toute
révision constitutionnelle qui porterait sur le nombre et la durée du mandat du
Président de la République. Mais les choses ne sont pas aussi simples, et
plusieurs scénarios peuvent tout à fait permettre à Joseph Kabila de se
maintenir au pouvoir au-delà de 2016.
Scénario 1. Une nouvelle
transition et de nouvelles élections
Faisant le constat de la crise de
légitimité qui ravage le pays, Joseph Kabila peut engager un nouveau processus
électoral. L’opposition continue de réclamer de nouvelles élections. Le
Président prend l’opposition au mot et organise de nouvelles élections,
rectificatives de celles de 2011. Une démarche qui nécessiterait, peut-être, la
formation au préalable d’un gouvernement d’« union nationale » qui piloterait
une période de transition dans la perspective d’un nouveau scrutin, auquel le
Président sortant sera, bien entendu, candidat.
Compte tenu de l’état
actuel de l’opposition (divisée), et du scrutin à un seul tour (article 71[1])
Joseph Kabila peut tout à fait l’emporter à nouveau. D’autant plus que ses
adversaires ou leurs formations politiques, piégés par un gouvernement d’union
nationale, partiraient dans la bataille électorale avec un certain handicap. Il
sera bien parti pour un nouveau mandat.
Scénario 2. Cas de circonstances
graves
« Lorsque des circonstances graves menacent, d'une manière
immédiate, l'indépendance ou l'intégrité du territoire national ou qu'elles
provoquent l'interruption du fonctionnement régulier des institutions, le
Président de la République proclame l'état d'urgence ou l'état de siège sur tout
ou partie du territoire national » (article 85).
Bien entendu,
l’ordonnance proclamant l’état de siège ou l’état d’urgence expire au bout de 30
jours[2] mais peut être prolongée indéfiniment de 15 jours sur autorisation du
parlement (article 144), sous le Contrôle de la Cour constitutionnelle (article
145).
A ce propos, le Congo étant en proie aux violences récurrentes, les
« circonstances graves », même en plein cœur de Kinshasa, ne sont pas à chercher
bien loin.
Quant au contrôle que devraient exercer le Parlement et la
Cour constitutionnelle, le Président n’a pas à s’inquiéter. Sa formation
politique, le PPRD et alliés, est majoritaire au parlement tandis que la Cour
constitutionnelle n’a pas encore fait la preuve de son indépendance vis-à-vis du
Chef de l’Etat. Elle a approuvé les élections frauduleuses de novembre 2011,
manquant ainsi une occasion historique de s’illustrer comme un infaillible
rempart du droit face à l’arbitraire du régime.
Il faut bien reconnaître
que le « droit » au Congo est tellement malmené que même la Constitution ne
semble pouvoir « tenir » face au cours des évènements. Elle est même menacée de
caducité, une faiblesse que le Président peut, là aussi,
exploiter.
Scénario 3. La caducité de la Constitution
Ce scénario
s’apparente à celui de la crise. Un grave conflit ravage le pays, et la seule
façon de s’en sortir est de négocier un accord politique sur l’exemple de
l’accord de Pretoria à l’origine de l’organisation institutionnelle
actuelle.
C’est une éventualité qui peut se produire à tout moment. Le
Congo n’a pas les moyens militaires de faire face à une offensive rebelle. Si
les insurgés parviennent à s’emparer de quelques villes stratégiques (Goma,
Bukavu, Kisangani), ce qui est déjà arrivé, le pays serait tellement « chamboulé
» que le cadre institutionnel actuel ne sera plus de mise. Il faudra élaborer
une nouvelle Constitution en tenant compte de nouvelles
exigences.
Ce scénario, improbable en
apparence, est pourtant le plus avancé. Peu d’observateurs relèvent que les
pourparlers de Kampala sont une violation flagrante de la Constitution.
L’article 52 dispose à quiconque d’« utiliser une portion du territoire national
comme base de départ d'activités subversives ou terroristes contre l'Etat
congolais... » L’article 64 est encore plus précis : « Toute tentative de
renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible
contre la nation et l'Etat. »
Or, le gouvernement négocie avec le M23, un
groupe armé responsable de « crimes imprescriptibles » (voir en plus rapports de
l’ONU). Ainsi la Constitution est-elle « malmenée » par ceux-là même qui ont la
charge d’en assurer le respect. De là à envisager sa révision/abrogation il n’y
a qu’un pas à franchir. Bien évidemment, pendant le processus devant mener à
l’élaboration d’une nouvelle Constitution, le Président resterait en
place.
Scénario 4. Le passe-passe à la « Poutine »
Joseph Kabila
peut procéder comme son homologue russe, Vladimir Poutine. Il fait élire un
proche à la présidence, il devient Premier ministre ou président du sénat mais
conserve l’effectivité du pouvoir. Il attend 5 ans au bout desquels il se
représente, en homme neuf, à la présidence de la république. Pour un « nouveau
mandat » de 5 ans, renouvelable. Un scénario ahurissant pour la démocratie mais
parfaitement conforme à la Constitution.
Mais tout ceci n’est possible
que si l’opposition et la population concèdent à subir les évènements au lieu de
les anticiper.
Boniface MUSAVULI
par MUSAVULI jeudi 7
février
2013
[1]
L’article 71 a été modifié par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 pour prévenir
entre autres les risques inhérents à une élection à deux tours (exaspération des
passions et risque de division dans le pays).
[2] La durée de 30
jours que couvre l’ordonnance proclamant l’état de siège ou l’état d’urgence est
prévue à l’alinéa 4 (et non à l’alinéa 3) de l’article 144.
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