(Le Pays 06/02/2013)
Dans la tradition yoruba, célébrée et incarnée par Wole Soyinka, Abiola Ircle et Olabiyi Yaï, la sagesse est une quête permanente et inachevée, reposant sur cet enseignement moral fondamental : « Adaniloro Koni l’Obgbon ».
Littéralement, cela signifie : celui qui vous blesse vous enseigne aussi la sagesse. Ce détour par la culture yorubu n’est pas inutile car, il a le mérite de la profondeur et de la clarté, surtout, quand il s’agit de l’ONU. Sans sagesse, il ne peut exister de paix entre individus, encore moins de paix entre peuples, Nations et Etats. Contrairement à la vie des Etats, l’ONU ne peut se glorifier de sa force. Partout, elle entend travailler au bonheur de l’humanité entière, par la pacification universelle en rallumant le flambeau de la paix. En recevant le vice-président américain à Paris, Joe Biden, le président français, François Hollande n’a pas caché son souhait de voir des forces onusiennes prendre, dans de brefs délais, le relais des troupes françaises. Certes, il a obtenu le soutien américain, jusque-là timoré, voire inexistant.
Depuis leur échec somalien, les Américains se méfient, comme de la peste, des conflits qui ravagent la terre africaine. Leur vision stratégique des enjeux géopolitiques qui secouent le continent est fortement utilitariste. L’Afrique, c’est d’abord des marchés énergétiques à préserver et qu’importe qu’elle soit stable ou instable. Avec les autres Etats européens et les Américains, la France qui se trouve en grande difficulté sur le plan économique intérieur, entend mutualiser les coûts de cette guerre. Cette annonce rapide d’un retrait français au profit des casques bleus onusiens dans le Nord-Mali est-elle vraiment opportune et adaptée à la nature même de la guerre qui est menée ?
Vu que nous sommes face à des combattants djihadistes pas du tout définitivement vaincus, et qui misent sur une guerre d’usure, quelle peut être concrètement l’utilité de ces casques bleus ? En vérité, face à la nature de cet ennemi invisible, cette annonce nous paraît prématurée et creuse là un puits de l’impuissance. Actuellement, malgré leurs avancées spectaculaires, on ne peut pas dire que les troupes française et africaine maîtrisent totalement la réalité du terrain au Nord-Mali. Et, tous les stratèges occidentaux émettent de sérieuses réserves, voire des doutes sur la capacité réelle des armées africaines, encore moins onusiennes, à croiser le fer avec les djihadistes. Ici, il n’y a pas de combattants constitués en face, mais une International de fanatiques qui ne recule devant aucune méthode pour faire triompher sa cause.
La guerre qui commence au Nord-Mali est une guerre qui ne peut être gagnée que par l’usage de drones, adossé aux opérations de commandos aguerris et spéciaux. C’est pourquoi, on ne pourra pas, avec ou sans l’ONU, se passer de l’expertise et du professionnalisme des Forces spéciales françaises. D’ailleurs, Hollande le sait mieux que quiconque : les casques bleus onusiens seraient incapables de sécuriser et de préserver les intérêts français dans la bande sahélo-saharienne. Non, Hollande ne doit pas perdre le Nord, sinon, le Mali perdra son Nord. L’expérience de la lutte antiterroriste est tout à fait nouvelle pour les Africains. Que le péril djihadiste ne disparaîtra pas par un coup de baguette hexagonal magique ! Que la dictature de la raison, tant rêvée et vantée par Freud, ne s’imposera pas subitement aux groupuscules terroristes ! Certes, cela n’est qu’une terrible vérité, mais les Occidentaux doivent l’accepter et assumer toute leur responsabilité.
Sinon, un retrait précipité, mal défini, créera de la confusion, mais aussi et surtout un vide dont profiteraient les djihadistes pour mieux se réimplanter dans le Nord-Mali. Et, l’affection sans bornes des citoyens maliens envers la contribution victorieuse française risque fort de se muer en haine et ressentiment. Méfions-nous, les opinions sont versatiles et amnésiques. Quant à l’ONU, son rêve de voir le droit, la liberté, la paix, la fraternité régir les rapports entre les hommes et les peuples, n’a jamais réussi à se transformer en réalité intangible. Nous, Africains, n’avons pas bons souvenirs des opérations de pacification onusiennes, notamment au Rwanda d’avant, pendant et après le génocide perpétré contre les Tutsis. Et, récemment, on a vu les casques bleus onusiens totalement figés comme « des bouts de bois » face aux rebelles congolais du M23. Aujourd’hui, il faut inviter l’ONU à faire son examen de conscience et à tirer les leçons de son inertie et de ses échecs répétés en terre africaine.
Certes, l’idéal onusien est noble : l’humanité n’est pas faite pour s’entre-déchirer dans des guerres incessantes, des conflits absurdes, mais pour s’unir dans l’amour, la justice et la paix. Mais soyons réalistes : la philosophie, les principes et les moyens d’action onusiens ne sont nullement en harmonie avec les exigences de la lutte contre l’International djihadiste. Concrètement, on ne voit vraiment pas comment les casques bleus pourraient protéger efficacement les populations civiles du Nord-Mali, et de surcroît sécuriser toute cette vaste bande. Le Mali ne sortira pas si facilement des ténèbres du djihadisme, tellement ses causes internes sont multiples et profondes. Que peuvent des casques bleus face aux créateurs, propagateurs et collaborateurs de la doctrine djihadiste ? Rien. Le Mali a trop souffert et souffre encore pour retomber dans les mêmes horreurs. Mais plus que d’une reconstruction matérielle, le Mali d’aujourd’hui a besoin d’une restauration spirituelle authentique.
Car, le peuple malien, bien qu’attaché aux valeurs de la laïcité, sait également que, dans l’épreuve et la détresse, l’homme n’est pas dépourvu du secours divin. Le malheur est souvent une invitation à scruter les sentiers de la sagesse, qu’elle soit onusienne ou malienne. Sans renoncer à son identité fondatrice, le peuple malien s’est toujours désaltéré à la source de ses riches traditions pour concilier foi et raison. Le djihadisme n’est qu’une parenthèse historique qui aura échoué à briser ce lien dialectique. Donc, que Dieu vienne en aide au peuple malien, que sa lumière l’éclaire, que son esprit l’inspire, que sa volonté le guide et que sa force le soutienne ! Rien n’est joué d’avance, ni perdu d’avance, ni gagné une fois pour toutes. Restons attachés à l’humanité réelle car la guerre contre le djihadisme, au Mali va durer. N’enterrons donc pas le cadavre, et laisser ses pieds dehors.
« Le Pays »
© Copyright Le Pays
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire