(Le Monde 05/02/2013) Captées par les caméras de la chaîne de télévision ONTV, les
images de l'humiliant passage à tabac d'Hamada Saber en pleine bataille rangée
entre forces de police et manifestants autour du palais présidentiel
d'Ittihadiya, vendredi soir 1er février au Caire, ont provoqué un scandale en
Egypte. L'homme, âgé de 48 ans, a été dévêtu et molesté par les forces de la
sécurité centrale pendant plusieurs minutes.Mais, vécue en direct par les
téléspectateurs égyptiens et repassée en boucle, la scène a provoqué un tollé.
Elle est venue rappeler aux différentes forces politiques du pays, signataires,
la veille, à l'invitation du cheikh d'Al-Azhar et avec les félicitations du
président, d'une charte d'honneur national condamnant la violence, que des
intentions aux faits, il y a un pas encore loin d'être franchi.
Au sommet
de l'Etat, c'est la contrition. Mesurant l'impact du dérapage, le ministre de
l'intérieur s'est empressé de condamner un "acte isolé" et a ouvert une enquête.
L'exécutif n'a pas osé suivre le procureur général dans la défense d'une version
plus favorable aux policiers. "Le gouvernement ainsi que toutes les forces
politiques ont échoué à répondre aux demandes de la jeunesse", a concédé le
premier ministre, Hicham Qandil, lors d'une visite inédite samedi sur les lieux
des affrontements.
La présidence s'est dite elle-même, dans un
communiqué, "attristée par les images choquantes de certains policiers traitant
un manifestant d'une manière qui n'est pas conforme à la dignité humaine et aux
droits de l'homme". "C'est la première fois qu'ils admettent que la police a eu
recours à des pratiques non acceptables, même s'ils en font un cas individuel",
souligne Florian Kohstall, politologue et directeur de l'antenne de l'Université
libre de Berlin au Caire.
"LA MÊME PROPAGANDE QUE SOUS LE RÉGIME D'HOSNI
MOUBARAK"
Le ton a nettement changé depuis le dernier discours télévisé
de Mohamed Morsi, le 27 janvier, lorsque, après trois jours de manifestations
violentes, le président avait réaffirmé son autorité dans un accès de colère et
de nervosité, ponctuant d'un doigt vindicatif l'annonce de mesures
exceptionnelles, telles que l'imposition d'un couvre-feu dans les trois villes
du Canal, à Port-Saïd, Suez et Ismaïlia.
"On a eu l'impression d'avoir la
même propagande que sous le régime d'Hosni Moubarak. Sa réaction était plus
violente même, comparée au paternalisme de Moubarak. Il a repris la même
propagande antimanifestants, présentés comme des "voyous", des "casseurs", des
"faux révolutionnaires"", analyse Chaymaa Hassabo, professeure au Collège de
France.
A aucun moment, le chef de l'Etat n'a mis en cause la police dans
les affrontements qui ont causé la mort de 46 personnes. Il s'était même
cantonné à tweeter ses condoléances aux familles. "Comme d'habitude, son
discours arrive trop tard, une fois qu'il est acculé. Et, au lieu d'accéder à
quelques demandes du peuple, il fait un discours autoritaire où il apparaît
comme un voleur qui veut s'accaparer le pouvoir", commente Rani Moustapha, un
Egyptien de 39 ans.
A SUEZ, DES MATCHS DE FOOTBALL NOCTURNES AVEC LES
MILITAIRES
Les injonctions du président Morsi ne semblent plus
convaincre les Egyptiens. Après l'imposition du couvre-feu, des habitants de
Suez ont organisé des matchs de football nocturnes avec les militaires. "Il y a
un vrai problème de légitimité. Les Egyptiens ont blagué en disant : "On sort
pour regarder le couvre-feu"", commente Chaymaa Hassabo.
L'image du
palais présidentiel livré pendant des heures, samedi soir, à des attaques aux
cocktails Molotov, sans riposte de la garde présidentielle, est le meilleur
symbole de la désacralisation de la fonction présidentielle. "Mohamed Morsi est
dans la continuité de Moubarak, qui n'a jamais réussi à imposer son autorité,
commente M. Kohstall. Dans les médias, il y a une forte résistance contre lui.
Il a multiplié les procès contre les journalistes pour insulte, ce que même
Moubarak n'avait pas fait."
Les moqueries sur son manque de charisme, ses
discours creux et tout en longueur, son respect pointilleux de la grammaire ont
laissé place à la lassitude et au rejet. "Qu'il parle ou pas, on a perdu
confiance en lui, explique M. Moustapha. Il ment beaucoup. En devenant
président, il a prêté serment de respecter la Constitution et la loi, de prendre
soin des gens, d'assurer la sécurité du pays. Il a fait tout le contraire et a
perdu sa crédibilité. On veut des actes, plus des mots."
"IL REPRÉSENTE
LE "GUIDE" DES FRÈRES, PAS LUI-MÊME"
Nombreux ne voient en lui que la
marionnette des Frères musulmans. "La façon dont il agit, dont il se comporte,
on sent que ça ne vient pas de lui. On sent qu'il n'est pas à l'aise. Il
représente le "guide" des Frères, Mohamed Badie, pas lui-même", assure Rani
Moustapha. Son adresse, le 4 décembre 2012, à ses "soutiens" de la confrérie
venus manifester devant le palais présidentiel, concurremment aux marches de
l'opposition, a été vue comme un grave faux pas. Qu'il s'est bien gardé de
reproduire.
"La communication des Frères peut changer, estime Florian
Kohstall. Aujourd'hui, ils savent qu'ils ne peuvent plus ignorer la place Tahrir
et qu'ils doivent sortir de l'isolement pour tenir jusqu'aux élections
législatives." Prévues au printemps, elles laissent peu de temps au président et
aux Frères musulmans pour se rétablir dans l'estime des Egyptiens.
Hélène
Sallon - Le Caire, envoyée spéciale
L'opposition suspend le dialogue national
Au lendemain des violences policières de vendredi 1er février, le Front
du salut national (FSN), qui regroupe l'opposition libérale et de gauche, a
exclu de "discuter de la question du dialogue (...) avant que l'effusion de sang
ne cesse, que les responsables rendent des comptes et que ses revendications
soient satisfaites". Il a affirmé s'associer aux "appels du peuple égyptien à
une chute du régime de la tyrannie et [à la fin de] l'hégémonie des Frères
musulmans". - (AFP.)
L'opposition suspend le dialogue national
Au
lendemain des violences policières du vendredi 1er février, le Front du salut
national (FSN), qui regroupe l'opposition libérale et de gauche, a exclu de
"discuter de la question du dialogue (...) avant que l'effusion de sang ne
cesse, que les responsables rendent des comptes et que ses revendications soient
satisfaites". Il a affirmé s'associer aux "appels du peuple égyptien à une chute
du régime de la tyrannie et [à la fin de] l'hégémonie des Frères musulmans". –
(AFP.)
Par Hélène Sallon - Le Caire, envoyée spéciale
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